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180824 décembre 2008 — On lit par ailleurs dans notre Bloc-Notes de ce même 24 décembre 2008, une présentation et quelques commentaires d’un rapport de l’ancien lieutenant colonel de l’U.S. Army et professeur au U.S. Army War College, Nathan P. Freier , pour le Strategic Studies Institute (SSI) de l’U.S. Army, notamment à propos du concept de “dislocation stratégique” des USA. Ce concept se réfère au thème de la “surprise stratégique”, caractérisant la situation stratégique de notre temps, et alors avec la situation des USA en temps de crise envisagée dans le champ de l’hypothèse de la “dislocation stratégique”. Ces divers termes techniques et quelque peu pompeux, – mais le thème, après tout, justifie la pompe, – recouvrent une hantise aussi vieille que les USA, qui est l’intégrité structurelle des USA. La “surprise stratégique” ultime serait effectivement la dislocation des USA, c’est-à-dire un éclatement de cette puissance sous la poussée de mouvements violents alimentant les tensions centrifuges toujours sous-jacentes dans ce pays. La référence de la guerre de Sécession est fondamentale dans cette perception psychologique.
Cette analyse stratégique est fondamentalement eschatologique dans la mesure où elle se réfère à des événements incontrôlables par la pensée stratégique, parce que non réductible à une pensée, ou à un projet hostile aux USA qu’on pourrait identifier, évaluer et mesurer. Des troubles nés de la crise économique en cours et aboutissant à des tensions centrifuges nourrissant une “dislocation stratégique” n’ont, au départ, aucune référence stratégique plausible et ils sont, par nature, étrangers au champ de la réflexion stratégique. C’est la pression de la crise qui oblige la pensée stratégique à s’y référer, et à s’y référer en avouant son incapacité à rien prévoir. La “surprise stratégique”, lorsqu’elle envisage la “dislocation stratégique” des USA, admet qu’elle se trouve devant une situation eschatologique. Pour autant, elle laisse entendre et laisse voir qu’elle envisage que cette situation peut, sinon doit rapidement se développer puisqu’elle la lie à la crise actuellement en cours, dont on ne cesse pas de mesurer la rapidité du développement.
La crise eschatologique en cours aux USA nourrit également, dans le domaine mieux identifié de son sujet apparent (la situation économique) des prévisions également de caractère “apocalyptique”. L’intérêt de cette remarque est, dans le cas qui nous occupe, d’observer que les services officiels de la sécurité nationale ne se dissimulent plus de leur intérêt à eux, et inquiet, pour le domaine. Cela rejoint effectivement le cas du rapport du SSI.
Il en est ainsi, également, de ce rapport de l’analyste économique James Rickards, présenté le 17 décembre sous les auspices de l’U.S. Navy et de l’Office of Secretary of Defense (OSD), et dont a rendu compte, ce même 17 décembre, le site Politico.com. (Précision, effectivement, sur la présentation publique de ce rapport prévisionnel: «His lecture comes as part of an annual “Rethinking Seminar” produced by the Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory»; Rickards fait donc partie du “circuit” des experts reconnus, gravitant autour du Pentagone.)
«What’s the worst that could happen?
»That’s a question that James Rickards spends a lot of time pondering these days, as he sifts through the national security implications of the financial crisis facing the United States. Rickards will lay out his worst case scenarios in a lecture sponsored by the Navy and the Office of the Secretary of Defense for Policy tonight. And his forecasts aren’t for the faint of heart.
»Rickards calls it the “A to Z” problem: What are the threats that could make the U.S. economy look less like America and more like Zimbabwe? He sees them everywhere – in the Chinese ownership of vast amounts of American debt, in Russia’s increased centralization of its economy, in Al Qaeda’s long-established fascination with damaging the U.S. economy.»
Rickards envisage quatre scénarios catastrophiques possibles pour la crise de l’économie US, avec ses conséquences diverses. L’un d’eux est baptisé “The Existential Crash” …
«A pessimist by nature, Rickards believes that many economic forecasters are wrong, and the recession will get far worse than predicted.
»He sees an epic disaster scenario in which the U.S. gross domestic product declines by a staggering 35 percent over the next six to seven years. Crippling deflation could take hold. Unemployment, he says, could approach 15 percent. That’s a calamitous rate, but it would not be an all-time high: unemployment hit 25 percent during the Great Depression. “The national security community needs to be conversant with this,” Rickards said. “In defense, intelligence, and national security, you earn your money by preparing for things that may be remote, but pose an existential threat if they come to pass.”»
»In this scenario, the possibilities for global unrest increase dramatically as a staggering United States retreats from foreign aid and global diplomacy and the list of dangerous failed states grows sharply.»
Le texte de Politico.com observe également ceci, à partir d’une interview de Rickards: «Rickards argues that government is not doing nearly enough to prepare for the worst. “Here’s the policy problem for the United States,” he said in an interview. “We have experts in defense and intelligence, and huge depth in capital markets experience at the Fed and at Treasury. But they’re separated by the Potomac River. And they’re not talking to each other.”» D’une façon assez révélatrice de la justesse du jugement, Rickards semble lui-même être l’archétype de ce qu’il dénonce. Manifestement, il n’a pas traversé le Potomac pour aller voir qui il faut au Pentagone. Ses prévisions manquent des prolongements de sécurité nationale, sur le thème de la “dislocation stratégique” qu’envisage Freier dans son rapport du SSI.
C’est un point intéressant de constater l’éclosion parallèle d’études, de rapports officiels ou semi-officiels, de prévisions envisageant des prolongements catastrophiques pour les USA. Cela dit beaucoup du sentiment général régnant aujourd’hui dans l’establishment washingtonien. La présidence Obama est de moins en moins perçue comme la présidence qui ferme la parenthèse catastrophique de l’administration GW Bush, et de plus comme celle qui va devoir tenter de contrôler, d’orienter une destinée désormais potentiellement catastrophique.
Si elle n’établit pas encore le rapport qui devrait l’être, comme Rickards le réclame et ne le fait pas pour son compte, cette “éclosion parallèle” signale pourtant que la perception conduit à établir un lien entre les situations extérieures et les situations intérieures US. Cela indique une perception implicite, voire encore inconsciente, de la globalité systémique de la crise, de la similarité des problèmes rencontrés, de l’implication du processus de destruction dans la partie la plus fondamentale de la puissance US. La “dislocation stratégique” appréhendée par le rapport du SSI renvoie à une situation établie par 9/11 et l’Irak, donc des événements connectés à l’“extérieur” de l’Empire dans la perception qui en est donnée, aboutissant à des troubles suscitées par la crise intérieure US. Le lien est fait. Nous sommes passés du mythe de “la guerre contre le Terreur” au réalisme de la “strategic dislocation”. Les esprits mûrissent à mesure que GM et sa bande s’éloignent.
Dans les années 1974-1982, ou dans les années 1987-1992, lors des deux passages de crise les plus significatifs des USA dans le dernier quart de siècle (la crise 2000-2001 étant liée à la séquence dont nous vivons aujourd’hui un paroxysme), jamais de telles hypothèses catastrophiques ne furent envisagées. Même durant la crise de 1987-1992, alors que la vogue du “déclinisme” US (Paul Kennedy, The Rise and Fall of Empire, 1987) était à son comble, le sentiment et le jugement étaient moroses, pessimistes, mais nullement avec les accents si bouleversants qu’on perçoit aujourd’hui.
La mécanique psychologique est en marche, – ou, plutôt, elle continue à “marcher”. Le besoin inhérent à l’esprit du système de l’américanisme de rationaliser les choses, pour tenter de dissimuler leur caractère incontrôlable qui est si insupportable à cet esprit, produit effectivement une appréciation d’une situation qui se rapproche de l’extrême possible. Cette exploration de l’extrême catastrophique est d’autre part machinée par une obsession constante du même système, qui est l’obsession de son propre anéantissement, aussi bien visible dans la constance de la référence à la Grande Dépression ou dans l’appréciation grandiloquente et outrée des dangers comme le terrorisme. Nous avons mis à plusieurs reprises l’accent sur ce caractère psychologique proche de la pathologie, effectivement obsessionnelle, dans un sens qui se traduit presque par une fascination pour sa propre destruction. (Voir, par exemple, nos textes F&C des 22 mai 2007 et 27 décembre 2007.)
A notre sens, la destruction du système de l’américanisme n’est nullement assurée par des mécanismes objectifs, par des occurrences politiques, par des défaites de type économique, politique, militaire, etc. Il est assuré, – et il l’est complètement à cet égard, la seule chose qui nous surprenne étant la rapidité du processus, – par des facteurs de perception et d’interprétation, qui renvoient effectivement au caractère principal, et au facteur essentiel et essentiellement original de la puissance US qui est la communication, et cela dès l’origine. On comprend, dans ces conditions, l’insistance que nous mettons dans la considération et la mise en avant du facteur psychologique, qui tient un rôle fondamental dans tout ce qui concerne le système de l’américanisme.
Les planificateurs et prévisionnistes prennent leur place aujourd’hui dans le processus. C’est un signe de la proximité du phénomène du paroxysme de la crise systémique, dans tous les cas un signe que nous sommes psychologiquement entrés dans cette phase paroxystique. L’ordre d’idée déjà évoquée (par exemple, le terme de 2012 pour une “révolution” aux USA) envisage des termes extrêmement cours, disons de l’ordre du premier mandat de Barack Obama. Cette proximité rend compte également de la surprenante rapidité de la dégradation.
Il s’agit d’un phénomène qui a déjà fonctionné, mais qui reste toujours digne d’être qualifié d’étrange dans la mesure où il “crée”, par les moyens virtualistes habituels, une réalité que dissimulait le virtualisme de la communication (le virtualisme offrant l’image de l’intouchable puissance américaniste); c’est donc que la même capacité virtualiste qui interdisait la vision catastrophique, utilisée par ailleurs voire a contrario, autorise soudain, voire impose cette vision catastrophique. Les perspectives s’élargissent et s’allongent dans le temps vers des situations plus catastrophiques mais en réalité elles contractent le temps. En envisageant ces situations qui paraissaient jusqu’alors hypothétiques, sinon “dissidentes” et frappées de l’accusation de sacrilège et de relaps, et par conséquent perdues dans un lointain hypothétique, qui s’inscrivent désormais dans la réalité possible, on découvre rapidement que cette réalité peut s’avérer extrêmement proche. Plus encore, par ce processus organisant la perception de la possibilité de l’extrême de la crise, on crée une perception, on influence la psychologie dans le sens de l’attente de cet extrême de la crise. La psychologie ainsi influencée retrouve cette étrange attitude de la fascination pour la crise, on dirait même qu’elle appelle l’extrême de la crise.
Ces analyses et rapports sont effectivement des tentatives de rationalisation de l’extrême de la crise, – disons, pour faire court et leste, l’“apocalypse” du système. Cette rationalisation a pour effet indirect et involontaire d’accentuer la perception irrationnelle d’une “nécessité de la crise”, voire de nourrir un “besoin de crise” sinon un “désir de crise”. Elle tente de dompter les facteurs qui lui échappent, qui sont ces facteurs qui permettent de qualifier la crise d’eschatologique. Elle rationalise arbitrairement l’irrationnel, le justifiant d’autant, le rendant d’autant plus possible, sinon nécessaire. On en vient à songer à une conclusion qui serait que la psychologie humaine, devant l’impasse systémique que le système lui-même a créée, ne verrait plus comme issue que la crise cathartique qui briserait le système. Elle s’y emploie sans compter.
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