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3478Le diplomate français Gérard Araud a une grande expérience des Etats-Unis. Ces deux derniers postes ont été de grand prestige et intimement lié aux USA, sous deux angles différents, et donc d’autant plus instructifs : ambassadeur de la France aux Nations-Unis, à New York City, de 2009 à 2014 ; ambassadeur de France auprès des Etats-Unis, à Washington D.C., de 2014 à 2019, jusqu’à sa retraite d’avril 2019.
Araud fut certainement réputé pour ses prises de position extrêmement bellicistes, et aussi pour un pro-américanisme notamment renforcé lors de sa tenue de l’ambassade de France en Israël, de 2003 à 2006. Dans son poste à l’ONU, il eut notamment d’excellentes relations avec l’ambassadrice des USA, également très va-t-en guerre et assez brutale, bien que réputée comme adorable dans la vie sociale privée, Samantha Powers, – revue récemment. Le Wiki sur son nom (Araud), assez raisonnablement bien fait si l’on veut, nous dit notamment ceci :
« Il est alors décrit selon Le Figaro comme “le tenant au Quai d'Orsay d'un ‘néo-conservatisme’ à la française, inspiré par les positions de ce courant politique américain influent au début du mandat de George W. Bush.” De même pour Slate pour qui Gérard Araud est “l’un des diplomates les plus va-t-en-guerre de Paris”. En 2011, il explique ainsi que le régime syrien n'a plus d’avenir soutenant que Bachar al-Assad “doit partir... parce qu'il ne peut plus être partie d'une solution”. »
Araud vécut en direct et sur le vif le choc et peut-être la révolution, mais dans tous les cas le chaos, que fut l’élection de Trump. Sa première manifestation de la nuit de l’élection, tweetée comme il convient, fit grand bruit et fut interprétée comme un jugement d’agressivité et de discourtoisie vis-à-vis du nouveau président, et donc comme une faute diplomatique. Est-ce le cas ? Voici ce qu’en dit le Wiki à nouveau, pour nous faire constater qu’après tout ce n’était pas si mal vu :
« En novembre 2016, il commente l'élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis par deux tweets : “Après le Brexit et cette élection, tout est désormais possible. Un monde s’effondre devant nos yeux. Un vertige” et “C’est la fin d’une époque, celle du néolibéralisme. Reste à savoir ce qui lui succédera”. Ces mots choquent aux États-Unis comme en France et il est alors la cible de nombreuses critiques lui reprochant de manquer au devoir de réserve auquel il est soumis. »
Il est de toutes les façons certain qu’Araud fut toujours très sensible à l’humanitaire jusqu’à parfois paraître humanitariste, ce qu’on vit notamment durant son séjour à l’OTAN (1995-2000), vis-à-vis de la guerre en ex-Yougoslavie. Le problème de l’humanitarisme est que les causes impliquées sont souvent manipulées parce qu’elles sont très aisément manipulables, et elles peuvent transformer la diplomatie en un affectivisme dévastateur, où les intérêts concrets et proprement dits de la stratégie et de la politique des acteurs en cause (dont son propre pays, par exemple) peuvent être oublies. D’autres diront que la condition affichée d’homosexuel d’Araud, affichée et rendue publique d’une façon remarquablement spectaculaire puisque Araud l’intégra dans sa vie professionnelle, pour en faire l’un des premiers ambassadeurs ouvertement homosexuels en poste à Washington, –ils diront donc que cela n’était pas pour le rapprocher de The-Donald, ce qui n’est pas assuré.
...Voire en effet, tout cela, et de toutes les façons déjà d’un autre monde, à une époque et dans un monde où le Temps brûle les étapes et nous laisse cois, où les ‘mondes’ se succèdent puisque chaque saison il semble que nous soyons dans un “monde nouveau”. Car, pour en revenir à l’objet précis de notre propos, l’interview d’Araud dans Figaro-Vox du 8 janvier 2021, par Alexandre Devecchio et Pierre Valentin, nous montre une opinion extrêmement pondérée, qui est loin de prendre en mauvaise part l’actuel président-finissant des Etats-Unis, qui lui reconnaît même une sorte de génie (« Son génie a été de comprendre en 2016 l’existence d’un malaise américain que personne n’avait vu venir »), qui lui concède sans aucune mauvaise grâce une excellente conduite de l’économie américaine, et d’autres petites gracieusetés du genre. On aura compris qu’on est à mille lieues du climat des plateaux de conversation des élites-parisiennes, des experts et sachants, des grands-journalistes du domaine, du Monde à BFM-TV, où l’on s’évanouit de fureur et d’horreur au rythme des frissons de révulsion au seul nom de la bestiole. Bref, certains pourraient penser qu’Araud a bien changé, quoi qu’il en pense et quoi qu’il en dise. (Une voix amie nous suggère de comparer ce parcours d’opinion à celui de Pierre Lellouche, également proaméricaniste acharné dans la première partie de sa carrière, devenu ensuite de plus en plus indépendant de cette opinion, et de cette position. Peut-être que la fréquentation serrée de l’américanisme épuise aisément son homme.)
Par conséquent, bonne analyse et analyse très libre de Trump. Ainsi dépasse-t-on le drame intime de toutes nos bonnes âmes souffrant de l’étrange TPTS (Trump Post-Traumatic Symptom) qui hystérise le jugement en une hzaine compulsive, pour aborder l’essentielle question des rapports de Trump avec la logique politique à laquelle notre raison-subvertie nous a habitués. La seule limite que l’on pourrait alors trouver à cette sorte d’analyse que développe Araud se trouve dans la question que nous posons en fait de titre, et elle est de savoir si la vraie connaissance de Trump est possible par la seule logique de la raison qui n’est pas loin d’être cartésienne et qui s’est entretemps subvertie selon notre point de vue ; sorte d’approche critique de « raison suffisant »... Finalement, on résumera cette réserve et on l’expédiera en constatant qu’elle a peu d’importance puisqu’elle disparaît avec le constat posé dans le titre de l’interview, qui fait de Trump non pas une cause mais un effet, – ce que nous appelions déjà, en plagiant Michael Moore, un “cocktail-Molotov humain” lancé par le peuple-électeur sur l’establishment de Washington D.C., devenant par le fait ‘D .C.-la-folle’.
Le titre de l’interview était donc « Gérard Araud : “Trump n’est que le symptôme d’une crise plus profonde” ». Nous nous sommes permis de le raccourcir tout en gardant absolument intouchée l’idée avec laquelle nous nous trouvons en complet accord parfait.
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L’ancien ambassadeur de France à Washington, qui se refuse à une dramatisation excessive des événements de la veille au Capitole, rappelle que le malaise des classes populaires américaines ne sera pas apaisé par le départ de Trump. La société américaine risque fort de connaître à nouveau des tensions politiques, estime-t-il.
FIGAROVOX – « L’invasion du Capitole ce mercredi était-elle un coup d’État ? »
Gérard Araud – « On ne peut pas dire que ce soit une révolution ! Il y a eu quelques milliers de gens qui manifestaient – parce que Trump leur a demandé de le faire -–et ces derniers ont réussi à pénétrer dans l’enceinte du Capitole, à leur grande surprise. Une fois qu’ils ont été dans le Capitole ils n’ont rien fait, car ils n’avaient ni programme, ni chef. Il faut voir dans ce qu’il s’est passé hier : avant tout, c’est un énorme raté de la sécurité américaine. D’une certaine manière, c’est un évènement plutôt dérisoire. Ils sont d’ailleurs sortis sans faire de problèmes. Toutefois la prise de la Bastille était elle aussi dérisoire, donc attendons de voir ce qu’en dira l’histoire... »
FIGAROVOX – « Le bilan est tout de même lourd avec 4 morts... Trump porte-t-il une part de responsabilité ? »
Gérard Araud – « La police américaine est nettement plus brutale que la police française. Là où la police française tue 15 personnes par an, en Amérique ce chiffre monte à mille ! Quant à la responsabilité de Trump, les évènements d’hier soir sont le résumé de ses quatre années au pouvoir. Vous avez une masse populaire non négligeable qui est en révolte et qui - à la différence de nos gilets jaunes - a trouvé une incarnation politique en la personne de Donald Trump. Il les a excités pendant quatre ans et a jeté de l’huile sur le feu de leurs colères. Les évènements d’hier sont donc un dénouement logique de ses quatre années. Les États-Unis ont un Président qui est le chef des rebelles américains. »
FIGAROVOX – « Cette rébellion est-elle causée par Trump ou précède-t-elle son arrivée au pouvoir ? Lui survivra-t-elle ? »
Gérard Araud – « Même s’il occupe beaucoup d’espace médiatique, Trump n’est que le symptôme d’une crise plus profonde. Son génie a été de comprendre en 2016 l’existence d’un malaise américain que personne n’avait vu venir, car les résultats macro-économiques à la fin du mandat d’Obama étaient bons. Il a su parler aux oubliés, et son génie fut aussi d’arriver à continuer à être leur voix durant son mandat sans être récupéré par les républicains “classiques” qui pensaient pouvoir le manipuler. Cette rébellion est toujours là, et restera. Il y a un tiers des Américains qui pensent que l’élection leur a été volée. C’est là la poursuite d’une guerre civile américaine que nous connaissons depuis quatre ans. »
FIGAROVOX – « Quelles sont les causes profondes de cette rébellion ? Trump s’est-il attaqué à ces causes ? »
Gérard Araud – « Nous touchons là aux limites du populisme, car s’il est une manière de prendre le pouvoir, il manque de substance et de programme. Certes, il faut savoir capter la colère, chose qu’en France personne n’a su faire avec les gilets jaunes, mais derrière la suite s’avère pour l’instant assez vide. Cependant, contrairement à l’establishment américain, je ne pense pas que Donald Trump soit mort ; il va continuer à être dans le dos des élus républicains. Pour répondre à la première partie de votre question, il y a deux causes possibles à cette rébellion. La première est économique. En effet, si quarante ans de néolibéralisme auront permis aux pays émergents de sortir de la pauvreté, les classes moyennes inférieures ainsi que la classe ouvrière des sociétés occidentales auront vu leur niveau de vie stagner, voire diminuer. Ce phénomène a provoqué une hausse du chômage et un accroissement des inégalités. Ce n’est pas un hasard si la révolte touche particulièrement le Midwest où le chômage, lié à la désindustrialisation, est fort. La seconde est identitaire. La majorité des électeurs de Trump sont des hommes blancs ; plus de 60 % des hommes blancs ont voté pour lui. Sur fond de changement démographiques, l’Amérique blanche sent qu’elle perd le pouvoir. De ce point de vue, le trumpisme peut apparaître comme le baroud d’honneur de cette Amérique-là. »
FIGAROVOX – « L’aile radicale du parti démocrate n’a-t-elle pas exacerbé, elle aussi, la question identitaire ? »
Gérard Araud – « Ce qui nous avait frappé en 2016, c’est que l’on avait d’un côté “Make America Great Again”, c’est-à-dire le degré zéro de la pensée, mais qui restait tout de même un appel à tous les américains quel que soit la couleur de peau ou leur orientation sexuelle. Or, les démocrates de leur côté n’utilisaient pas de message national, ils demandaient, pour simplifier, aux noirs de voter pour leur camp simplement en raison de leur couleur de peau ! Cela n’a pas vraiment changé. Quand on regarde leur vision de la constitution du gouvernement américain, nous avons l’impression que c’est une répartition avec deux noirs, deux latinos, six femmes et un gay. C’est d’ailleurs présenté comme cela dans la presse. On peut se demander quel est le message national des Démocrates... Les démocrates ne voient plus les citoyens américains qu’à travers leurs identités. La “cancel culture” dans les universités, même si elle reste extrêmement minoritaire, exacerbe ce phénomène. S’il y a un bon exemple des erreurs des Démocrates, c’est la question des transgenres. Si l’on doit le respect à ces derniers, ils ne représentent qu’une infime minorité de la population. En faire un sujet national n’était sans doute pas un bon calcul. »
FIGAROVOX – « Trump a-t-il fait certains diagnostics justes ? »
Gérard Araud – « Naturellement. Trump pense en dehors du système et sur un certain nombre de sujets il arrive à poser des questions légitimes que ne se poseraient pas des hommes politiques issus de l’establishment. Par exemple, Trump a posé comme question “Pourquoi les USA devraient-ils être les gendarmes du monde ?”. Lorsqu’ on est un habitant du Wisconsin, on peut, en effet, se demander légitimement pourquoi l’Amérique s’occuperait de l’Estonie ! Son bilan économique, même si l’on peut dire qu’il a été payé par un massacre de l’environnement, est excellent. Sans le COVID, il aurait été réélu. Avec le COVID, qu’il a très mal géré, il a tout de même réussi à obtenir 4 millions de voix en plus qu’en 2016. On peut également regretter que dès le premier jour les Démocrates et l’ensemble de l’establishment aient refusé de reconnaitre sa légitimité. Le problème est que le personnage est moralement peu sympathique. Trump a bien vu qu’en face certains voulaient sa peau et cela n’a fait qu’exacerber ses tendances narcissiques naturelles. »
FIGAROVOX – « L’administration Biden pourra-t-elle réconcilier l’Amérique ? »
Gérard Araud – « Au vu des personnes nommées, nous pouvons d’ores et déjà dire que cette administration est l’administration ‘Obama III’. C’est assez frappant de constater que cette administration grouille de numéros 3 qui sont devenus numéros 2, et de numéros 2 qui sont devenus numéros 1 ! Ce sont des gens très compétents, mais qui s’inscrivent dans la logique néolibérale de centre-gauche issus de l’ère Clinton-Obama. Il ne faut pas non plus oublier le fait que la crise de 2008 a été beaucoup plus douloureuse pour l’Amérique que pour la France. La question qui va se poser dans la semaine est celle de l’avenir du parti républicain, car il y a une rupture entre les conservateurs qui n’ont pas suivi Trump et les Trumpistes. Est-ce que le parti républicain va exploser ? Va t-il être trumpisé ? Va t-il se réconcilier ? Un fils de Trump a dit que les républicains qui ne choisissent pas Trump seront bannis lors des prochaines primaires... C’est intéressant car c’est le même débat que nous avons en France entre Les Républicains et le Rassemblement national. Quoi qu’il en soit, ce qui va compter désormais sera la politique de Biden, mais cette politique sera paralysée par le Sénat. Même s’il a la majorité, la plus grande partie des décisions du Sénat doit être prise par 60 % voix donc il ne pourra pas faire passer la plupart des réformes. Biden met en place un gouvernement très centriste, et s’il veut aller à gauche il se heurtera au Congrès. »
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