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289Ceux qui considèrent avec gourmandise chaque déclaration complotiste des américanistes pour la conquête de l’Europe et se tiennent à elle seule pour leur commentaire ratent sans aucun doute un des aspects les plus intéressants de la psychologie américaniste. Nous voudrions compléter par ce commentaire le F&C que nous publions par ailleurs ce même jour.
Lorsqu’on nous annonce, comme c’est le cas ici, que Gates va prendre l’Europe dans ses rets ou que McCain s’y prépare, il est intéressant de détailler les orientations du projet qui nous est présenté à ciel ouvert, sans la moindre dissimulation. Mais il faut aussitôt considérer l’absurdité de la démarche si elle est placée dans son contexte historique. Qui s’intéresse à l’histoire des relations USA-Europe dans les dernières années 1940, dans les années 1950, dans les années 1960, et ainsi de suite jusqu’à nous, sait évidemment que l’Europe a continuellement vécu “sous influence”. L’intrusion US dans les souverainetés des pays européens valait bien, à l’époque, celles de l’URSS dans les affaires intérieures des pays du Pacte de Varsovie, jusqu’aux détails les plus sordides. Alors, pourquoi ce besoin continuel, cette redondance du “complexe d’invasion de l’Europe” par les élites washingtoniennes? Question d’autant plus intéressante, “pourquoi?”, si l’on considère par ailleurs que cette sempiternelle réaffirmation avec tant de détails parfois extravagants, peut aussi avoir des effets secondaires, “collatéraux”, très déstabilisants pour la situation de sujétion de l’Europe elle-même. (Le système tient en effet sur une apparence d’autonomie des deux partis. Mettre à mal cette apparence par de telles déclarations n’est pas des plus habiles.)
A notre sens, la réponse est psychologique et nullement politique, et encore moins du domaine des machinations de l’action subversive, – ces domaines, le politique et l’action subversive, ne jouant que le rôle d’instruments. (C’est parce que la réponse est psychologique que nous parlons de “complexe d’invasion de l’Europe”.) L’idée est fondée sur la notion hypothétique d’“inculpabilité” que nous avons déjà présentée à nos lecteurs, y compris pour des affaires européennes. La psychologie américaniste ignore toute notion de culpabilité et, de ce fait, ne peut accepter l’idée coupable qu’elle ait pu soumettre l’Europe à son influence depuis plus d’un demi-siècle. (L’idée, en effet, est dérangeante pour la conscience de la chose, qui doit être nécessairement “bonne conscience” dans le cas évoqué. Elle suppose que l’acteur historique US fait bon marché de la souveraineté et de la dignité des autres, – les Européens en l’occurrence. Elle suppose qu’il s’est conduit, au nom du réalisme politique et historique, d’une façon moralement suspecte. Cela ne se peut sur les terres de l’inculpabilité, ou bien l’on risque la névrose et la dépression. C’est que nous sommes fragiles.)
Le théâtre psychologique US invente donc, depuis soixante ans, dans un projet sempiternellement recyclé et recommencé, la même offensive d’investissement de l’Europe au nom d’une cause extérieure impérative. (La cause ainsi sollicitée donne un blanc-seing moral et satisfait, selon un calcul soi-disant réaliste car l’on calcule et l’on pense, à l’impératif d’inculpabilité.) Hier, c’étaient les communistes, les Soviétiques, les gauchistes, les anarchistes, etc., qui, à chaque occasion, justifiaient une nouvelle offensive vertueuse pour conquérir ce qui l’était déjà par des moyens peu vertueux. Aujourd’hui, c’est Al Qaïda, les armes de destruction massive, l’Iran, et désormais, grâce au couple McCain-Kagan, la Russie de Poutine-Medvedev décrite comme immonde par l’historien publicitaire Kagan. A chaque fois, l’événement, bien sûr arrangé en toute bonne conscience pour le théâtre en question, donne la consigne à la bonne conscience américaniste de lancer une nouvelle offensive pour sauver l’imprudente Europe des pressions de son nouvel ennemi.
Il n’est d’ailleurs pas indifférent que ce soit l’Europe qui subisse ainsi les assauts répétés de l’inculpabilité américaniste. Il y a un lien historique entre cette inculpabilité, qui s’est forgée aux complexes initiaux des premiers immigrants anglo-saxons et américanistes, bourrés des terreurs et des angoisses des religions radicalement réformées, et la culpabilité évidente pour cette psychologie américaniste de l’Europe, cette matrice originelle tombée dans le stupre de l’immoralité. De cette façon, on peut admettre que les USA, qui nous sauvent à intervalles réguliers et bienvenus depuis 1917-1941, nous sauvent chaque fois “une fois de plus”, en venant nous imposer une influence et une domination que nous subissons déjà sans coup férir, depuis 1945 (et avant pour certaines matières). Nul n’a dit que l’inculpabilité de la psychologie américaniste n’était pas la clef de la paranoïa schizophrénique qui semble la caractéristique principale de la politique américaniste lorsqu’elle est observée dans ses fondements.
Mis en ligne le 15 février 2008 à 06H00