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924Puisque notre ami Jean-Paul Baquiast nous met à la question sur un point bien intéressant, je m’y soumets bien volontiers… Voir sur le Forum du F&C du 13 janvier 2011 , également en date du 13 janvier 2011, sous le titre : «Le J20 n'est-il pas un leurre ?»
«Je ne le pense absolument pas, mais en fait je n'en sais rien. Je constate seulement que quelques spécialistes aéronautiques, cités par Space War, prétendent avoir relevé différents éléments curieux faisant penser à un “enfumage”. En France, quelqu'un comme Valérie Niquet prétend que le niveau de RD en Chine est si bas qu'ils ne pourraient même pas faire une voiture électrique sans espionner. (Voir ce lien.).
»What is your opinion, dear Philippe? Une nouvelle façon qu'aurait le système occidentaliste de s'aveugler?»
C’est vrai que l’histoire de la technologie et l’histoire de l’aéronautique sont encombrées de faux-semblants, de recherches en paternité, etc. Il y aussi quelques solides préjugés : les Russes sont des paysans (moujiks), ils n’entendent rien à la technologie ; les Chinois, idem, et en jaune en plus (sans connotation raciste, on vous le jure). Quant aux yankees, c’est le pinacle de la chose, il n’y a rien de plus sacré à cet égard, ils ont tout inventé, tout fait, – tout beau, sans rire.
Peut-être est-il utile de rappeler que l’histoire de l’aviation et de la technologie de ce domaine est également (en plus d’être l’histoire d’authentiques créateurs) une suite ininterrompue d’emprunts, de chapardages, etc. Antony Fokker, l’inventeur en 1914 du “tir à travers le cercle de l’hélice” qui est le pas décisif pour créer l’avion de chasse, a piqué son “invention” à Roland Garros, qui en avait conçu l’idée, avant de l’appliquer effectivement, en recevant chez lui son ami Jean Cocteau, lequel remarquait que l’image d’un tableau au mur du salon disparaissait et réapparaissait à la vue au gré du mouvement des pales d’un ventilateur. Les Russes sont des moujiks mais Igor Sikorsky était Russe et il a inventé pas mal de choses, du bombardier lourd à l’hélicoptère… Les Américains n’auraient pas été si exceptionnels si les Anglais ne leur avait pas refilé notamment le radar et le moteur à réaction pendant la guerre, et s’ils n’avaient pas raflé la crème des savants nazis, von Braun en tête, en 1945. Nous n’aurions pas nos dégâts collatéraux évités dont nous sommes si fiers si les Chinois n’avaient pas inventé la poudre il y a un certains nombre de siècles, tandis que les USA qui n’existaient pas inventaient déjà le fil à couper le beurre… Et ainsi de suite, quant à la gloire universelle différemment distribuée selon qui nous agrée et qui nous inquiète, selon les modes du “parti des salonards”… Extrêmement parisien, tout ça, avec l’autorisation officielle de la hiérarchie de dire que les Américains sont formidables, depuis que Sarko est parmi nous, pas au-dessus mais au pair.
Passons et venons-en au principal, qui est la question qu’explorent les spécialistes et experts : et si le J-20 était un leurre ? Question qui se résume à ceci : grand Dieu, quelle est donc l’utilité réelle des spécialistes et experts ? Expliquons-nous… Je m’explique.
Ai-je assez insisté, dans le texte en référence, sur le fait que je ne considérais en aucune façon le J-20 comme un véritable “instrument de guerre”, destiné à une future “bataille suprême” entre la Chine et les USA ? Bien sûr, il y a ces phrases : «La question n’est pas ici de déterminer la possibilité d’un conflit ou de tout autre événement brutal de cette sorte, mais bien de déterminer le sort de cette énorme zone d’influence jusqu’ici dominée par les USA, leur flotte et, surtout, leur supériorité aérienne. […] La question stratégique devient alors celle de l’influence. Comment les différents pays de la zone vont-ils se déterminer en fonction de ce changement tectonique qui s’amorce de l’équilibre des forces ?»
Ce n’est pourtant pas suffisant pour expliquer le jugement général. (A ma décharge, il ne s’agissait pas du sujet de l’analyse, alors que le sujet traité ici est effectivement celui de savoir si, le J-20 étant ou n’étant pas un leurre, sa capacité opérationnelle contre les avions US devrait être à mesure de cette détermination.) Le fait est, et le fait dit brutalement, que je ne m’intéresse pas une seule seconde à la capacité réelle du J-20 à être stealth ou à ne l’être pas. Je n’ai qu’un intérêt et une estime limités pour la question de la technologie furtive. Les démonstrations du Dr. Kopp, citées dans l’article référencé, sont très intéressantes mais ne m’intéressent pas. Je les ai citées parce que je connais la notoriété du Dr. Kopp et que je sais que son jugement va influencer nombre de jugements techniques sur l’avion et la puissance chinoises, chez ceux pour lesquels ce sujet importe.
Il est vrai que d’autres “experts” disent le contraire. Trevor Moss, journaliste freelance et ancien journaliste de l’extrêmement authoritative Jane's Defense Weekly, publie un article dévastateur sur le J-20 dans Atimes.com, le 14 janvier 2011. Il ridiculise l’avion et les capacités chinoises en citant abondamment Richard Aboulafia, sorte d’icône sacré de l’expertise américaniste-occidentaliste, avec les émoluments qu’on sait et d’où ils viennent. Comme Jane’s Defence Weekly durant des années, l’authoritative Aboulafia nous a assénés pendant ces mêmes années que le JSF était la huitième merveille du monde et qu’il allait dévaster les marchés du monde entier au profit de l’invincible savoir-faire technologique des USA. Voilà qui en fait évidemment l’homme idoine à consulter pour savoir ce que vaut le J-20.
Mais encore une fois, point de ce débat-là (la qualité opérationnelle formidable du J-20, ou bien le J-20 construit en balsa qui fait son premier vol grâce à la puissance d’un élastique mise en situation de tension torsadée). Si je cite Aboulafia, c’est d’abord pour le plaisir toujours renouvelé de présenter l’imposture aux lecteurs, et ensuite parce que l’attaque si violente jusqu’à l’hystérie bon chic bon genre contre les capacités du J-20, venant après la reconnaissance de Gates que les Chinois ont surpris les USA par leurs progrès (voir le 11 janvier 2011) a une très grande signification. Cette attaque, cette appréciation radicale de la quasi-nullité chinoise venant après les alarmes de Gates répondent parfaitement à la tactique grossière habituelle du Système de la recherche du renforcement de la réputation US après une vérité qu’il était nécessaire de dire pour alerter la communauté du Système, qui attentait gravement à cette réputation. La manœuvre est si grossière qu’elle en donnerait la nausée si on avait du temps à perdre, mais il suffit de lire les textes d’Aboulafia sur le JSF dans la période 2000-2005 pour supprimer tout risque de nausée par un très sain éclat de rire, – puisque “le rire est le propre de l’homme”, comme dit François Rabelais, de Lockheed Martin.
Alors, dira-t-on, qu’est-ce qui vous intéresse dans le J-20, dear Philippe ? Première réponse générale : je ne crois plus à de grands conflits conventionnels pour des raisons diverses, selon nombre d’articles qu’on trouve sur ce site. (Voir par exemple le 25 octobre 2004 et le 2 août 2010.) Autrement dit, le J-20 ne sert à rien
Ce qui m’intéresse est l’interprétation qui est donnée à son apparition, comme celle d’un événement majeur, déclenchant les polémiques les plus vive (Kopp versus Aboulafia) et conduisant à des conclusions aussi de grande importance… (Kopp : «If the United States does not reverse course in its tactical air fleet and air defence recapitalisation planning, the United States will lose the Pacific Rim to China, with all of the practical and grand strategic consequences which follow from that.») Cela, c’est le rôle du système de la communication, ce sacré Janus. Qu’on le veuille ou non, en bien ou en mal, l’apparition du J-20, sur fond du mysticisme qui accompagne aux USA tout ce qui touche à la technologie de la furtivité, est un événement central. Tous les Aboulafia du monde, – et ils sont légions, – ne suffiront pas à le réduire, bien au contraire ils participent et participeront à cette “promotion” involontaire de l’événement.
Là-dessus s’enclenche la paranoïa, ou bien disons pour être plus précis dans le diagnostic, les aspects dépressif et maniaque conjointement de la maniaco-dépression qui est la caractéristique pathologique de la psychologie du système. Cela signifie, d’une part (malgré les Abloulafia auxquels on n’accorde guère de crédit puisqu’on sait qu’on les paye pour chanter ce qu’ils interprètent), que l’aspect dépressif va encore accentuer la vision crépusculaire de la montée de la puissance chinoise qu’implique l’apparition du J-20 ; d’autre part, que l’aspect maniaque va déclencher une avalanche d’alarmes, d’appels à la mobilisation, de propositions de mesure à prendre, de pressions, de cris de terreur, etc., tout cela à Washington D.C. et devant le Congrès, – toutes choses qui ne seront suivies d’aucun effet à cause de la situation catastrophique générale à Washington, sinon un peu plus de confusion dans la programmation, lorsqu’on connaît l’état du Pentagone, au niveau du budget, de l’organisation, du chaos bureaucratique… Dans ces conditions, la dépression aidant à nouveau, les stratèges du Pentagone pourraient effectivement, – non, devraient sûrement conclure qu’ils sont en danger avec leur présence dans le Pacifique occidental, et ils pourraient et devraient décider un certain retrait de la puissance US, comme le Dr. Kopp l’annonce mais pour d’autres raisons que celles qu’avance le Dr. Kopp.
Voilà où je voulais en venir. Le J-20 est un artefact d’influence fondamental, qui agit d’une façon radicale sur la psychologie malade de maniaco-dépression du Système. Qu’il soit vraiment stealth ou qu’il soit en balsa n’a aucune importance. (J’avoue que je préférerais qu’il soit en balsa parce que nous aurions, en plus de l’évolution fondamentale que je décris, un jour ou l’autre, lors de la révélation de la chose, l’occasion d’un colossal fou-rire globalisé, – voir à nouveau François Rabelais, de LM.) Je pense effectivement qu’aujourd’hui la situation géopolitique du monde se règle à ce niveau du système de la communication, de l’influence, de la psychologie et de sa pathologie, – et de rien d’autre. (Nous sommes dans l’ère psychopolitique.) Et le résultat serait donc celui qui était proposé dans le texte déjà référencé… Citons à nouveau, mais en entier, le passage déjà signalé :
«La question n’est pas ici de déterminer la possibilité d’un conflit ou de tout autre événement brutal de cette sorte, mais bien de déterminer le sort de cette énorme zone d’influence jusqu’ici dominée par les USA, leur flotte et, surtout, leur supériorité aérienne. Cette supériorité aérienne est très fortement mise en question, tandis que la flotte US se trouve désormais devant la possibilité de situations très sérieuses à cause de nouveaux systèmes anti-navires chinois développés spécifiquement pour détruire les porte-avions US et qui inquiètent affreusement l’U.S. Navy. La question stratégique devient alors celle de l’influence. Comment les différents pays de la zone vont-ils se déterminer en fonction de ce changement tectonique qui s’amorce de l’équilibre des forces ?»
…Et la réponse est bien entendu qu’ils (“les différents pays de la zone”) se tourneront vers celui que le système de la communication et la maniaco-dépression universelle du Système auront désigné, par leurs comportements divers, comme la nouvelle puissance dominatrice de la zone. Ils s’entendront bien mieux avec les Chinois qu’avec le Système en retraite.
Le J-20 aura rempli une partie importante de sa mission. (L’autre partie étant la mise en évidence de l’impuissance et de l’insuffisance chroniques de cette catastrophe qu’est le JSF face aux nouveaux adversaires qui surgissent, – mais cela est largement documenté par ailleurs et au jour le jour sur ce site, et sur d’autres, et notamment par des Kopp et des Sweetman.)
Philippe Grasset
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