Refrain: “le réalisme est de retour”

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Refrain: “le réalisme est de retour”


21 août 2005 — De tous les côtés, on n’entend plus que ça: le réalisme est de retour. Finis l’unilatéralisme américain, l’idéologie dostoïevkienne du feu de la liberté qu’on répand dans les coeurs, les grands desseins de la démocratisation du monde. On parle de l’administration GW et de l’Amérique américaniste de Washington. Quant à GW, il faut bien qu’il vive un peu sa propre vie…

Bref, dit autrement : il faut bien se chercher une explication rationnelle pour habiller l’extraordinaire effondrement des ambitions idéologiques et impérialistes de l’administration GW. On convoque donc le mot-clé : réalisme. Les articles et les analyses abondent depuis quelques jours pour annoncer le retour de la chose qui devrait procurer, au moins pendant une semaine ou deux, une euphorie bienvenue aux partisans d’un internationalisme bien compris et de relations transatlantiques “équilibrées”.

Hier, Jim Lobe donne pour IPS un bon compte-rendu de cet événement de tendance, au sens postmoderne du terme (“tendance” = “mode”). On devrait commencer à en discuter l’exact fondement, sinon l’exacte réalité dans son éventuelle élaboration, et, plus encore, ses éventuelles conséquences, — pour s’apercevoir assez vite qu’il n’y a pas grand’chose de neuf à attendre.

Lobe cite un article de Gideon Rose, intitulé « Get Real », publié dans la revue Foreign Affair, prestigieux support des partisans de l’internationalisme. « Seven months into George W. Bush's second term, it is clear that whatever his expansive second Inaugural Address may have promised, American foreign policy has taken a decidedly pragmatic turn. », — écrit Rose, dans des termes qui font bien de l’honneur à la capacité d’élaboration et de décision de l’administration GW. Cette analyse est partagée par divers experts, qui entretiennent eux aussi l’impression d’un tournant plus raisonnable, vers une position plus “sobre”, là encore des termes qui chantent aux oreilles des spécialistes de l’analyse rationnelle dont le but, ou l’effet dans tous les cas, est de déformer la réalité en rationalisant l’irrationnel.

… Tout de même, — d’autres ajoutent le bémol nécessaire. Par exemple, Sherle Schwenninger, analyste de politique étrangère au World Policy Institute, qui commence dans le convenu en constatant: « I think Gideon has it essentially correct. Periods of hyper-idealism — in this case neo-imperialism —are followed by periods of more sober commonsense. »...

» Schwenninger also agrees that while changes in personnel at key posts throughout the administration have certainly reduced the clout of the ideologues, “a lot of [the shift] is purely dictated by the reality that the U.S. is over-extended in Iraq and doesn't have good options in either Iran or North Korea. It's reached a number of constraints, both financially and militarily.”

» That is also the assessment of Anatol Lieven of the New America Foundation, who noted a similar historical cycle in his recent book, ‘America Right or Wrong: An Anatomy of American Nationalism.’

» “I think there definitely has been a change,” he told IPS. “The American system after all is not an insane one, and that's true even of the Bush administration. If the price of another war is going to be the reintroduction of the draft in America — whose likely consequence is the loss of elections — they're going to become more cautious; they have to become more cautious. They don't have the troops; they don't have the money.” »


En effet, le “réalisme” en question se résume à cette phrase abrupte: «They don't have the troops; they don't have the money » Dans un Washington et une administration où la corruption psychologique due à la communication et au virtualisme règle tout de la vie politique, dans un climat où la pesanteur de la bureaucratie de sécurité nationale représente une force totalitaire irrésistible, les analyses élégantes et séduisantes sur les personnes (“idéologues” et “réalistes”) et les politiques rationnellement élaborées sont tout juste des ornements des apparences quotidiennes. La réalité, c’est l’énorme échec de la politique belliciste du à une erreur colossale, peut-être qui n’a pas de précédent dans l’art de l’évaluation de la puissance, sur le jugement des capacités de la puissance américaine. « They don't have the troops; they don't have the money », — que dire de plus sinon que la messe est dite, une messe austère, sinistre, une messe de temps très difficiles?

Sur le reste et lorsque GW aura fini ses vacances, on s’apercevra qu’il n’y a guère de changements : les illusions européennes se poursuivent, les échecs américains s’empilent, le désordre washingtonien s’accentue et ainsi de suite. Et Cindy Sheehan est toujours là. Malgré la pondération des analystes, le jugement ne peut être que celui-ci : la rentrée à Washington sera chaude.

Elle le sera d’autant plus que les analystes ne prennent pas en compte ce qu’ils n’aiment pas et qu’ils n’arrivent pas à transformer en données rationnelles. La psychologie de GW est un facteur essentiel, qui n’est pas pris en compte dans la thèse “retour au réalisme” (qui est d’ailleurs une resucée d’une même annonce régulièrement faite et refaite, — comme, en janvier dernier, lors de la nomination de Bob Zoellick au département d’État). La psychologie de GW est déséquilibrée, irrationnelle, appuyée sur des croyances et des certitudes plutôt qu’inclinée à douter et à peser avant de décider, ou avant de changer d’orientation. La psychologie de GW est là où le bât blesse ces belles péroraisons sur le retour du réalisme, parce que lui-même, le président, n’acceptera pas cette caractérisation et cette orientation de sa politique qui lui ôtent l’essentiel de sa croyance. Il consentira à se dire réaliste une semaine ou deux avant de repartir de plus belle, dans des croisades qu’il n’a plus les moyens de faire, — recette pour le désastre final.