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5557L’interview a quelque temps, mais vu ce qui se passe en France en ce moment, elle me paraît totalement d’actualité. Je reproduis ma réaction.
Intellectuel-système mollement opposant, médiocrement inspiré, voire littéraire, Régis Debray est une incarnation du monde médiatique qu’il fait mine d’étudier et de dénoncer.
Récemment interviewé par un journaliste, FETHI BELAID, plus inspiré que lui, Régis Debray a encore défendu sa France en demi-teinte de toujours, la république machiniste façon Chevènement et père Combes. Mais il a surtout fait acte d’abdication : le monde change, il faut changer alors, il faut étudier la technologie… Pourquoi pas, mais en Chine ou en Russie ! Parce que chez les américains, on a basculé dans le grand simulacre façon Tesla-Nasa…
Parfois quelques éclairs de perception :
« Je n’aime pas le mot péjoratif de « décadence », qui fait du tort au moment le plus savoureux, le plus créatif d’une civilisation : celui de son déclin, quand elle touche au « point doré de périr ». Et je ne porte pas de jugement de valeur sur le nouvel état du monde. »
Oui en effet le mot de décadence, qui évoque Pétrone, Juvénal ou Sénèque, est trop flatteur ici. La décadence française est décrite au dix-neuvième siècle par Flaubert ou Tocqueville, son écroulement par Céline.
Je parlerai moi de déchéance, de déchet-France ou de sous France. Le sujet ne vaut même plus qu’on le traite : il est dépassé à l’heure où l’on guette l’écroulement-système.
Il poursuit :
« Il m’arrive même de tenir pour un privilège d’avoir pu assister sur place à un changement de civilisation, même pays, même population, disons au passage de la France-République à la France-entreprise, d’une nation tribunitienne et méditerranéenne à une province transatlantique et semi-anglophone, des sociétés de pensée aux think tanks. »
Ici encore le raccourci est incertain. La France des classiques n’est pas méditerranéenne. La France est devenue méditerranéenne en devenant républicaine : parlottes, fonction publique, subventions. Lisez Taine, Le Bon ou Sorel. Quant au changement de population, même si c’est pour s’en féliciter, il faut avoir l’honnêteté de le reconnaître, non ?
Debray souligne la rapidité des transformations :
« Aucun citoyen de l’Antiquité n’a pu voir en direct la Rome du forum devenir celle des basiliques. »
Se rappeler que Guy Debord, que se flatte de mépriser Debray, parle de ce monde où les hommes ressemblent plus à leur temps qu’à leur père. Le combat était perdu bien avant le Smartphone et Instagram qui seront remplacés, si la réduction du QI voulue par les programmateurs ne suffit pas. De toute manière on peut voter FN en cliquant sur YouTube : 44% des jeunes technophiles contre 20% des retraités de mai 68 imbibés de propagande gouvernementale à la télé. Si seul du mal pouvait sortir du web et des réseaux je ne serai pas là pour le raconter ou pour faire publier mes livres par Tetyana.
Après Debray joue à « la sagesse désabusée qui bouffonne dans un journal » (Guy Debord toujours)…
« Je fais simplement le constat d’une inaptitude personnelle à me rendre utile dans ce nouveau bocal. Avec le sentiment, comme vous dites, d’avoir sauté en une vie de l’adolescence à l’obsolescence sans passer par la maturité, un peu comme ces villes du Brésil décrites par Lévi-Strauss qui passaient directement de l’état de chantier à l’état de vestige. »
On peut lui rappeler que pour Bernard Shaw il y a cent ans déjà l’Amérique était ce pays qui était passé directement de la barbarie à la décadence…
Debray avait écrit une bonne lettre à Védrine, depuis grassement récompensé par les mondialistes (il bosse pour LVMH), pour lui reprocher de nous avoir fait rentrer dans l’Otan. Il reprend légèrement sur ce thème alors que nous allons vers une guerre d’extermination en Europe :
« L’Europe unie comme acteur politique est morte de sa belle mort, comme Valéry l’avait pressenti en son temps, avec sa fulgurante lucidité. L’Europe comme entité stratégique n’a jamais pris naissance faute de se donner une frontière, une doctrine, une armée autonome et une chaîne de commandement qui n’aboutirait pas, comme l’OTAN, au bureau Ovale.
Les manœuvres militaires en France se font en anglais, dans les normes opérationnelles du Pentagone. Reste à sauver une singularité culturelle incomparable, ce mélange contradictoire, je reprends les termes de Valéry, de quatre vertus, l’imagination, la confiance, l’esprit critique et le scepticisme, mais cela aussi expire sous nos yeux, emporté et laminé par le mainstream d’outre-Atlantique. »
Puis il regrette l’affaire Johnny :
« Trois présidents de la République en rang pour dire adieu à Johnny Hallyday, ni un parolier ni un compositeur, mais un clone du King, et les Hells Angels sur les Champs-Élysées, escortés par la garde républicaine.
Personne pour dire adieu à Pierre Boulez qui a animé et dirigé la musique contemporaine, en France, pendant un demi-siècle. »
Personnellement j’ai toujours ignoré l’un comme l’autre. Et les trois présidents invoqués sont les trois résidents de la post-France évoquée par Philippe Grasset il y a peu (Hollande, Sarko, Macron dans le désordre).
Une évidente remarque :
« On ne peut plus rien attendre de notre classe dirigeante, l’énarchie au pouvoir, que du suivisme et de l’aliénation. »
Mais Taine en parlait déjà (les origines de la France contemporaine, toujours !), qui soulignait le déclin de notre littérature par les lycées (on y créa une littérature de profs).
Après une comparaison assez stupide :
« Les marranes ont à peu près tenu le coup pendant à plusieurs siècles sans se faire prendre. Les républicains peuvent aborder calmement la traversée du désert qui les attend ».
Les marranes couraient quand même le risque de se faire massacrer, et les républicains n’existent plus ; il vaudrait mieux évoquer les chrétiens traditionnels qui passent des quarts d’heure de plus en plus mauvais dans un monde de plus en plus hostile…
Après, une vieille rengaine façon années 80, quand la gauche vaguement militante ou souverainiste regrettait le virage libéral du gouvernement Fabius :
« La frontière s’estompe entre le privé et le public, qui était à la base de la laïcité. La relation-client se substitue au service public, dans la poste, l’hôpital, le rail, l’enseignement supérieur, où l’État perd même le monopole de la collation des grades et des diplômes. La notion d’intérêt général devient de l’arbitrage entre lobbies. Le retour des terroirs. Le droit communautaire déconstruit les principes de notre corpus juridique. Une diplomatie de nouveau sur les brisées du mâle dominant, et de plus idiot. Le principe national, exalté partout ailleurs dans les grands pays du monde, rendu responsable de tous nos maux. »
Debray cherche à rassurer son monde : il hait la réaction identitaire et il votera Macron contre Marion…
« Le problème, me semble-t-il, ce sera alors d’échapper, sous couleur d’un patriotisme retrouvé et d’un retour au politique, à une réaction de type indigéniste identitaire. Ce serait triste. »
Encore une phrase fausse :
« Aucun citoyen de l’Antiquité n’a pu voir en direct la Rome du forum devenir celle des basiliques. Je fais simplement le constat d’une inaptitude personnelle à me rendre utile dans ce nouveau bocal. »
La décadence romaine a duré plusieurs siècles et tous les grands auteurs l’ont ressentie. Ortega Y Gasset a justement souligné la disparition de la littérature et de la pensée au IIème siècle et l’avènement du citoyen stupide : citez-moi pour rire un grand écrivain romain des trois derniers siècles. Nous y sommes. L’affaire Debray (et tous les intellectuels de gauche de sa famille) ne fait que souligner le déclin d’une intelligentsia dilettante, molle mais finalement adaptée à ces temps de déchéance : « quand la décadence de l’explication accompagne d’un pas égal la décadence de la pratique » (Debord).
Source
https://www.lexpress.fr/culture/debray-gouverner-c-est-desormais-gerer-les-emotions-collectives_2004146.html
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