Reich, le chômage, BP, BHO et la nostalgie de FDR

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Robert Reich, l’un des économistes “officiels” US les plus à gauche, offre sa solution, à la fois pour le chômage aux USA et pour la catastrophe du Golfe du Mexique. Sa proposition ressemble fameusement aux idées de Franklin Delano Roosevelt durant la Grande Dépression. Elle implique par ailleurs un état d’esprit qu’on doit mettre en correspondance avec celui qu’on observe par ailleurs, dans cette même rubrique, ce 7 juin 2010.

• Pour ce qui concerne le chômage, Reich est très pessimiste. Le 4 juin 2010, il pose un diagnostic très sombre sur les derniers chiffres de l’emploi. Il constate l’aggravation du chômage et, surtout l’aggravation du chômage de longue durée… «The Labor Department reports this morning that the private sector added a measly 41,000 net new jobs in May. (The vast bulk of new jobs in May were temporary government Census workers.) But at least 100,000 new jobs are needed every month just to keep up with population growth. In other words, the labor market continues to deteriorate.

«The average length of unemployment continues to rise – now up to 34.4 weeks (up from 33 weeks in April). That’s another record. More Americans are too discouraged to look for a job than last year at this time (1.1 million in May, an increase of 291,000 from a year earlier.)»

Etc, etc. Reich est pessimiste et considère que la Grande Récession s’installe durablement, avec un pourcentage de chômage “officiel” qui dépassera très vite les 10%. Ses propositions sont clairement dans le droit fil de la doctrine de FDR : «So what’s the answer? In the short term, more stimulus… […] In the longer term, we need a new New Deal that will bolster America’s floundering middle class.»

• Le 6 juin 2010, Reich aborde le problème de la catastrophe du Golfe et propose une solution originale pour le travail nécessité par la pollution des régions côtières. Il s’agit de mobiliser les jeunes gens au chômage, notamment ceux qui sortent des universités, et les envoyer dans les régions sinistrés, – et envoyer la facture à BP… Le rappel de l’époque du New Deal est là aussi évident, même malgré l’évocation de BP.

«Friday’s job report was awful. For most new high school and college grads finding a job is harder than ever. Meanwhile, states are cutting summer jobs for disadvantaged young people. What to do with this army of young unemployed? Send them to the Gulf to clean up beaches and wetlands, and send the bill to BP.

»Florida’s panhandle beaches are already marred with sticky brown globs of oil. Workers with blue rubber gloves and plastic bags are already losing the battle to keep them clean. Pelicans and other wildlife coated in oil tar are dying by the droves… […]

»Yet we’ve got hundreds of thousands of young people sitting on their hands right now because they can’t find jobs… […]

»The President should order BP to establish a $5 billion clean-up fund, and immediately put America’s army of unemployed young people to work saving the Gulf coast. Call it the new Civilian Conservation Corps. (The old CCC — created by FDR at another time of massive unemployment and environmental stress — gave millions of young Americans jobs and training to reforest lands that had been degraded, provide emergency flood relief in the Ohio and Mississippi valleys, and build the infrastructure for our national parks.)»

Notre commentaire

@PAYANT L’intérêt des réflexions de Robert Reich, c’est qu’il rapproche, voire intègre deux événements jusqu’alors considérés sans lien entre eux, et qu’il les place dans la perspective historique inévitable de la Grande Dépression (FDR). Toutes ces réflexions, y compris le rappel de cette époque mythique de la Grande Dépression (autant la catastrophe des événements économiques que, pour certains, l’intervention miraculeuse de FDR), témoignent d’un climat effectivement à la fois très tendu et fortement nourri du mysticisme qui accompagne la perception des USA chez les esprits nourris de la psychologie américaniste. (Mysticisme effectivement, justement en rappel de cette autre référence signalée ce 7 juin 2010. De même que l’amiral Allen transforme l » “oil drill” en “Ennemi”, de même FDR avait-il personnalisé la Grande Dépression en un “Ennemi” contre lequerl il engageait la population américaine à se mobiliser et à se battre.)

Chez Reich, le rappel de l’époque FDR et la proposition qu’il fait renvoient à l’état d’esprit de mobilisation et d’unité nationale qui caractérisait effectivement l’événement de la Grande Dépression après l’entrée en fonction du même FDR (en mars 1933). L’intervention du facteur de l’environnement, dans sa dimension catastrophique, n’est pas non plus inutile, pour fixer les conditions justifiant encore plus l’analogie. (Durant la Grande Dépression, il y eut notamment le Great Bowl Dust désignant une série catastrophique de grandes tempêtes de sable et de poussière culminant en 1934-1935, affectant notamment des Etats comme l’Oklahoma, qui détruisirent l’agriculture sur de vastes surfaces. Ces catastrophes ajoutèrent aux conditions de la Grande Dépression en introduisant l'élément tragique d'une crise environnementale.) Cette évolution de la réflexion chez un économiste de ce calibre, accompagnant le climat général qu’on connaît et qui ne cesse d’être exacerbé, marque un peu plus combien les esprits, aux USA, assimilent rapidement la démarche de l’intégration des diverses crises sectorielles qui affectent l’Amérique pour aller vers une appréciation radicale de la situation aux USA.

La proposition de Reich marque un aspect des pressions de la frange de gauche de l’establishment (les progressistes), qui voudrait voir Obama adopter une attitude plus réformiste, voire plus radicalement réformiste. Cette proposition implique, en effet, un état d’esprit de mobilisation qui implique lui-même une présidence Obama beaucoup plus agressive, beaucoup plus affirmée qu’elle ne l’est, Reich ayant dans l’idée qu’une telle attitude pourrait susciter un mouvement d’unité nationale autour du président, beaucoup plus vers la gauche, pouvant même attirer la dynamique de “la colère populaire” type Tea Party de son côté. D’une certaine façon, Reich propose une opération qui constituerait un acte marquant également la transformation du caractère d’Obama, exactement à la façon que réclame Frank Rich le 4 juin 2010 dans le New York Times. Rich voudrait que le président s’énerve un peu, qu’il affirme son caractère plus qu’il ne le fait, qu’il transforme sa présidence en un acte d’autorité dans ces temps de grand danger national où, selon Rich lui-même et tant d’autres, l’Amérique est un pays divisé, sinon brisé. («We still want to believe that Obama is on our side, willing to fight those bad corporate actors who cut corners and gambled recklessly while regulators slept, Congress raked in contributions, and we got stuck with the wreckage and the bills. But his leadership style keeps sowing confusion about his loyalties, puncturing holes in the powerful tale he could tell.»)

A chaque crise, à chaque tension depuis qu’Obama est président, revient à la surface cette question du caractère du président et de sa capacité, ou de son incapacité, à se transformer en ce qu’il semblerait destiné à être et qu’il ne parvient pas à être, – s’il en a le projet d’ailleurs. Il s’agit d’un président d’union nationale, non pas d’une union basée sur l’apaisement et le consensus de l’establishment mais d’une union de combat, appuyée sur une base populaire éventuellement contre le consensus de l’establishment. Le projet de Robert Reich s’appuie à nouveau sur cette orientation, mais en évoquant le précédent presque magique de Franklin Delano Roosevelt. C’est une étrange bataille car elle revient finalement à réclamer d’Obama ce qu’Obama ne parvient pas à exprimer droitement et clairement : enfin affirmer et proclamer que les USA sont dans une crise profonde et qu’il est donc obligé, lui-même, d’assumer la présidence en fonction de cette situation. C’est toujours la même quête inconsciente, non exprimée en tant que telle, d’un Obama devenant cet “American Gorbatchev” que tous réclament qu’il soit.

D’une certaine façon, on pourrait dire d’Obama, dans tous les cas à ce jour, que sa présidence représente une lutte constante de sa part pour refuser le destin historique pour lequel il a été manifestement élu, et dont l’annonce était manifestement inscrite dans son discours d’inauguration placé sous le patronage de Lincoln.


Mis enligne le 7 juin 2010 à 14H32