Rencontre à “fantasyland” : Sarko & Tony Blair, furtivement

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Rencontre à fantasyland : Sarko & Tony Blair, furtivement…


25 juin 2006 — Nicolas Sarkozy voit secrètement Tony Blair! Agitation considérable chez ceux qui y ont pris garde. De multiples enseignements sont aussitôt tirés de ce complot permanent, — sur la tactique électorale, sur l’Europe et le marché libre, sur les pensées profondes des uns et des autres, sur les aléas des traductions.

C’est The Observer, qui a eu le scoop, qui nous régale de la chose, — en nous laissant entendre que même l’élection présidentielle française dépend de l’omnipotente lumière anglo-saxonne.

« In an effort to salvage his bid for the presidency from the chaos of France's centre-right government, Interior Minister Nicolas Sarkozy has met Tony Blair twice in the past few weeks for advice, The Observer can reveal.

» The overture is likely to be regarded with deep suspicion by many Frenchmen, who see Blair as the epitome of the detested free-market 'Anglo-Saxon' model. The unofficial meetings, covering both policy and campaign advice, have taken place despite calls from President Jacques Chirac for them to stop. Chirac is opposed to Sarkozy becoming the centre-right's 2007 candidate for President.

» The most recent encounter was last weekend when Sarkozy was on a private visit to London to mark his reconciliation with his wife, Cecilia. Officially, he laid a wreath at Charles de Gaulle's statue in Covent Garden and met only Home Secretary John Reid. In fact, as one of Sarkozy's aides confirmed yesterday, France's most ruthlessly ambitious politician also met Blair. The aide, Gerard Longuet, said that comments made by Blair during their meeting had “inspired” a keynote speech by Sarkozy to his Union Pour Un Mouvement Populaire.

» Longuet said the men had discussed the euro and Blair allegedly said: “We're not in Euroland and have better growth and less unemployment than you. How can you expect my voters to agree [with the French approach to Europe]?” The aide added: “Nicolas was struck by the argument. He remains impressed by Mr Blair's forthrightness.” »

Dans cet extrait, on découvre toutes les ambiguïtés extraordinaires des appréciations franco-britanniques, — autant “franco” que britanniques, — autour de la politique de Sarkozy, du libéralisme, de la politique britannique et ainsi de suite. (On n’est ou on n’est pas dans euroland mais on se trouve sans aucun doute dans Disneyland, section fantasyland).

En effet, il est tiré de cette rencontre les enseignements suivants :

•  Sarkozy est allé s’abreuver à la source même du démoniaque “marché libre” et de l’hyper-libéralisme (Tony Blair). («  The overture is likely to be regarded with deep suspicion by many Frenchmen, who see Blair as the epitome of the detested free-market ‘Anglo-Saxon’ model. »)

• Le même Sarkozy en a tiré comme enseignement principal le contenu de son très récent discours d’Agen (le 22 juin), cette fois-ci avec l’aide de la traduction de Gérard Longuet («  The aide, Gerard Longuet, said that comments made by Blair during their meeting had “inspired” a keynote speech by Sarkozy to his Union Pour Un Mouvement Populaire. »)

Que nous dit Sarko à Agen? Consultons, par exemple, Le Figaro. Les éditions du 23 juin nous disent ceci, après un titre (« Nicolas Sarkozy tempère son libéralisme ») qui sonne assez drôlement au regard de la visite qu’il a rendue à Tony Blair, telle que rapportée et commentée par The Observer :

« Une charge contre l'euro dans une région qui a dit non à la Constitution européenne... Hier, à Agen, pour son troisième discours de futur candidat à la présidentielle, Nicolas Sarkozy était sur les terres de la gauche. Il en a profité pour surprendre son monde. Il s'en est pris vivement à l'orthodoxie monétaire appliquée selon lui par l'actuel gouverneur de la banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, dont il n'a pas prononcé le nom. “Il n'y a aucune raison pour que la zone euro soit la variable d'ajustement des déséquilibres économiques du monde. Avons-nous déjà oublié le franc fort à tout prix qui nous a coûté cher en emplois, en pouvoir d'achat, en déficits et en endettement public ?”.

» Une quasi-déclaration de guerre dont les accents ont rappelé les discours d'un Philippe Séguin qui fustigeait, aux côtés de Jacques Chirac, en 1994, le dogme monétariste. “Être européen, c'est poser le principe que, si la dette publique doit être remboursée, ce ne peut-être que par la croissance”, a ainsi expliqué Nicolas Sarkozy, en s'inscrivant en faux contre l'idée, aujourd'hui au coeur de la doctrine libérale européenne, d'une stricte “discipline budgétaire” quand la conjoncture est mauvaise. En matière de lutte contre les déficits, il faut, dit-il, “privilégier la logique économique sur la logique comptable”. »

Well, well… Ainsi, Sarko est allé à Londres voir le dragon du libéralisme, il a été formidablement impressionné par ses arguments jusqu’à en être “inspiré” pour son discours d’Agen ; voici donc ce fameux discours d’Agen où il développe des thèses souverainistes type Séguin-1992, qui s’inscrivent “en faux contre […] le cœur de la doctrine libérale européenne”. Well, well… Concluons : Tony Blair est un souverainiste, un interventionniste, un “patriote économique”, — une sorte de Séguin-1992 ou, pour faire plus moderne, une sorte de Villepin d’outre-Manche. Après tout, on comprend que Sarko lui rende visite.

(Pas de surprise, d’ailleurs. Pour Sarko, le chemin est tracé entre le discours de Nîmes en mai, où le mot “nation” claquait toutes les deux phrases, et le discours d’Agen, en juin, où il fait du nationalisme monétaire anti-Maastricht.)

Bien, oublions nos journalistes MSM qui ne sont pas vraiment sérieux et tentons nous-mêmes de l’être un peu plus.

Les ironies entre virtualisme et réalité

Nous barbotons dans une mer d’ambiguïtés qui s’alimente au mélange détonant de la réalité et du discours virtualiste. Aujourd’hui, les hommes politiques ne font absolument plus la différence entre virtualisme et réalité. Ils foncent, et advienne que pourra.

Entre France et Royaume-Uni, le Channel est certainement la partie immergée du globe qui est la plus foisonnante de ces ambiguïtés.

• Les Français n’ont toujours pas compris que les Britanniques ne sont pas des libéraux économiques. Ils donnent à leur business tout ce que leur business leur réclame, au prix de douloureux réveils lorsque la réalité les y convie (cas de BAE et de la politique d’armement UK). Pour le reste, ce sont des hyper-nationalistes, acharnés à la défense de leurs intérêts nationaux. Autrement dit, lorsque les Britanniques critiquent les Français, ils le font parce qu’ils craignent la concurrence et non pas parce que les Français trahissent la doctrine que personne ne respecte.

• Les Britanniques n’ont toujours pas compris ce que les Français cherchent dans l’Europe. Blair aurait dit à Sarko : « We're not in Euroland and have better growth and less unemployment than you. How can you expect my voters to agree [with the French approach to Europe]? »… L’approche française de l’Europe ? C’est-à-dire: sacrifier toute la souveraineté française à l’Europe, à commencer par le franc? Les Britanniques savent-ils qu’au-delà des dîners en ville et des éditos du Monde, les Français (et aussi les Allemands, mais pour d’autres raisons) se posent de graves questions sur l’Europe, si l’euro les entraîne dans une politique monétaire imposant des contraintes insupportables aux situations nationales sans leur apporter des gains de puissance au niveau des relations extérieures? Plus largement dit : les Britanniques ont-ils compris que le “non” du 29 mai 2005 est fondamentalement un refus d’une politique qui entame la souveraineté nationale au profit d’une Europe qui sacrifie tout à l’hyper-libéralisme économique? (L’on devrait bien savoir, à Londres, si l’on était attentif, que les Français sont souvent très satisfaits des batailles anti-européennes que livrent les Britanniques au sein des institutions lorsqu’il s’agit de défendre la souveraineté nationale contre Bruxelles.)

• L’Europe enfin. C’est un épouvantail pour tout le monde, chacun avec son interprétation. Les Britanniques en font un super-État interventionniste sans voir qu’il s’agit d’une machinerie bureaucratique, — le contraire d’un État puisque privée de légitimité, — dont l’effet est uniquement d’une déstructuration économique dans le sens de l’hyper-libéralisme nihiliste et prédateur. Les Français en font une machinerie au service des Britanniques pour étendre à l’Europe et au monde entier la doctrine hyper-libérale du “modèle anglo-saxon” ; le problème est que les Britanniques n’appliquent en rien ce modèle et que leur activisme au sein de la machinerie européenne n’a qu’un but, dont devraient s’inspirer les Français pour leurs propres intérêts: renforcer leurs intérêts nationaux.

Ne cherchez ni cohérence, ni logique, ni complot dans cette bouillie pour chats. Cherchez et trouvez aussitôt le désordre d’une époque perdue entre sa construction virtualiste, à laquelle croient en premier les virtualistes, et les très durs écueils de la réalité.

D’où ceci : cette époque tordue dans le désordre et si difficile à décrypter à cause de ce désordre est propice au surgissement et à l’affirmation des grands courants. Tous y répondent, sans nécessairement le savoir, — est-il d’ailleurs bien utile qu’ils le sachent ? Cela risquerait de les effrayer. En France, le “nationalisme économique” de Villepin, les leçons blairistes traduites en Séguin-1992 d’Agen par Sarkozy, les formules militarisées de discipline du désordre français de Ségolène, — tout cela est un acquiescement au verdict des votants du 29 mai 2005.

Les Britanniques, eux, donnent des leçons aux Français en ne s’apercevant pas qu’ils ne cessent de s’inspirer des Français pour sortir du chaos de contradictions où ils se trouvent. Il y a l’exemple du JSF comme celui de l’“identité perdue de la nation britannique”.

Il est assez ironique de constater que la “nouvelle génération” de politiciens français dont tous les idéologues germano-pratins attendent la fantasmagorique grande réforme libérale de la France, nous apporteront un virage vers les intérêts nationaux et l’identité nationale, chacun à sa façon. Non parce qu’ils sont vertueux, mais parce qu’il est impossible de faire autrement. Les électeurs ont déjà décidé.

Quant aux Britanniques, notre sentiment est qu’ils nous réservent des surprises qui les surprendront eux-mêmes.