Rencontre avec l’OTAN-zombie

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Rencontre avec l’OTAN-zombie

• Une remarquable interview d’un esprit remarquable, celui du contre-amiral turc (à la retraite) Cem Gurdeniz. • Il décrit l’effondrement US et  la réduction au zombie de ce qu’elle fut de l’OTAN sans les USA.

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17 avril 2025 (17H20) – On s’arrête longuement à une interview qu’un contre-amiral turc hors du service, et devenu un éminent commentateur en même temps qu’un promoteur de sa doctrine dite ‘Blue Homeland’. Il s’agit du contre-amiral Cem Gurdeniz, que nous désignerons comme “amiral” comme c’est la coutume dans les marines militaires. ‘ZeroHedge.com, qui a repéré l’interview que Gurdeniz a donné à la publication libanaise ‘The Castle’, par l’intermédiaire d’un journaliste turc célèbre dans son pays, Ceyda Karan, fait la présentation suivante :

« Le contre-amiral à la retraite Cem Gurdeniz est l'architecte de la doctrine maritime de la ‘Blue Homeland’ et demeure un éminent commentateur géopolitique de la société turque et de la région. ‘Blue Homeland’ symbolise les revendications maritimes élargies d'Ankara en Méditerranée orientale ces dernières années.

» Ce concept controversé inclut les eaux entourant l'intégralité de Chypre, État membre de l'UE (en raison de l'occupation turque du nord de Chypre pendant des décennies), ce qui donne à la Turquie accès à d'importants gisements de gaz naturel. Ces revendications ont ravivé le bras de fer géopolitique de longue date entre la Turquie et la Grèce et Chypre, l'UE soutenant leur argument selon lequel la Turquie viole leur souveraineté.

»La doctrine de la ‘Blue Homeland’ a ainsi dressé les puissances de l'OTAN les unes contre les autres, la Turquie possédant la deuxième plus grande armée au sein de l'Alliance. Le pays reste une source d'irritation pour l'Alliance, étant en désaccord avec les États-Unis sur de nombreux fronts, notamment la politique dans le nord de la Syrie et la question kurde. »

Mais ce ne sont pas ces affaires régionales ni même intra-OTAN qui nous intéresse, mais bien la remarquable interview de l’amiral Gurdeniz qui embrasse tous les problèmes de la GrandeCrise par rapport à l’OTAN et au basculement civilisationnel que nous connaissons actuellement, – “suite à l’élection de Trump”, pourrait-on interroger ? Justement, comme nous avons coutume de le faire, nous ne donnerons pas cette réponse qui ferait de Trump un deus ex machina qu’il n’est certainement pas. Ainsi, nous ne pouvons qu’applaudir à la réponse que donne Gurdeniz à cette question :

« Trump n’est pas l’architecte de cet effondrement ; il en est le produit. Lui et son équipe comprennent que le modèle post-1945 ne sert plus les intérêts des États-Unis. Le secteur manufacturier est dévasté. La dette a atteint 34 000 milliards de dollars. »

Pour le reste, l’amiral expose avec une précision remarquable son évaluation de la crise transatlantique actuelle, et notamment du processus d’effondrement de la puissance des USA. Il s’ensuit évidemment que l’OTAN est devenue une “OTAN-zombie”, sans aucune capacité, exactement comme le colonel McGregor la décrivait.

« L’OTAN est désormais une alliance zombie. Elle existe davantage comme un mythe que comme un bloc militaire fonctionnel. Son expansion a été inconsidérée. Ses opérations – des Balkans à la Libye en passant par l’Ukraine – ont déstabilisé des régions entières et sa crédibilité s’effondre.

» L'UE, quant à elle, promeut une restructuration militaire de 800 milliards d'euros (environ 864 milliards de dollars) sous le nom de “Réarmer l'Europe”. Mais cela nécessite une austérité massive sur son territoire. Les gouvernements européens préparent leurs populations à la guerre, et non à la paix. Ils ont besoin d'ennemis pour justifier ces dépenses.

» Mais sans le leadership américain, l'OTAN ne peut survivre en tant que structure cohérente. L'Amérique de Trump ne combattra pas pour l'Estonie et n'enverra pas de troupes en Moldavie. L'Europe devra se défendre – et elle n'est pas prête. »

Toutes ces reprises et citations de ‘ZeroHedge.com’ sont accompagnées du commentaire suivant... Il faut le laisser à l’appréciation des valses d’étoiles, de généraux et d’amiraux, qui constellent les couloirs du commandement suprême SHAPE, à Mons, en Belgique.

« On ne s’attendrait pas à un commentaire aussi cinglant de la part d’un amiral d’un pays de l’OTAN, mais cela est un peu moins surprenant venant de quelqu’un qui a fait carrière dans l’armée turque. »

... Ce qui nous ramène irrésistiblement, pour ceux qui ont quelque mémoire, à un propos de l’ambassadeur russe à l’OTAN Dimitri Rogozine, – en ce temps-là, il y avait un ambassadeur russe, – le 28 juillet 2008... Certes, les aspects structurels et supra-humains ont pu être appréciés différemment depuis, mais il y a bien un schéma de l’emprisonnement des esprits, d’une façon mécanique, chose qu’a évidemment évitée l’amiral turc.

«  En présentant la proposition Medvedev pour une nouvelle architecture paneuropéenne et transatlantique à l’OTAN le 28 juillet, l’ambassadeur russe Dimitri Rogozine a employé le néologisme de “technologisme” pour qualifier certaines actions occidentales en Europe que les Russes critiquent, – que ce soit l’élargissement de l’OTAN ou le système BMDE. Il faisait allusion à une sorte de “déterminisme technologique” qui serait le moteur caractéristique de la “politique” occidentale, qui serait en fait la simple description d’une situation où le système, assemblage de “système de systèmes” plus ou moins humains ou bureaucratiques, dont les références sont essentiellement technologiques, a bel et bien pris le pouvoir. La soi-disant politique est alors l’entraînement de la simple dynamique de son poids, investissant sans buts politiques les domaines qui l’intéressent. La définition est absolument acceptable; elle montre que les Russes, instruits par l'expérience, comprennent bien des choses. »

dde.org

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Interview du contre-amiral Cem Gurdeniz

The Cradle : Avec le retour au pouvoir du président américain Donald Trump et la guerre en Ukraine révélant les faiblesses de l’OTAN, comment comprendre la rupture de l’ordre mondial dirigé par l’Occident ?

Amiral Cem Gurdeniz : Nous assistons au deuxième grand effondrement de l’ordre mondial de sécurité depuis la Seconde Guerre mondiale. Le premier est survenu après 1990, lorsque l’Union soviétique s’est volontairement dissoute et que Washington a rapidement étendu son influence en Europe de l’Est. Mais aujourd’hui, 80 ans après la fin de cette guerre, les États-Unis entament leur propre repli, déplaçant leur centre de gravité stratégique de l’Europe vers l’Asie-Pacifique.

L’administration Trump en est consciente. Sa stratégie ne vise plus le contrôle mondial, mais le repli sur soi et la préparation à une rivalité entre grandes puissances dans le Pacifique, notamment avec la Chine. Il ne s’agit pas d’un ajustement tactique, mais d’un effondrement systémique. La défaite de l’OTAN en Ukraine n’a pas été une simple défaite sur le champ de bataille, mais la fin d’une illusion.
 

The Cradle : Qu’est-ce qui a brisé le consensus post-Guerre froide porté par les néoconservateurs ?

Amiral Cem Gurdeniz : L’ordre post-1990 reposait sur l’illusion de l’unipolarité. Les États-Unis ont proclamé la démocratie capitaliste libérale comme modèle universel. Dans ce système, l’Occident contrôlait la finance, la Chine était chargée de l’industrie manufacturière et les États riches en ressources naturelles étaient censés fournir l’énergie et les matières premières.

Mais ce modèle s’est heurté à des contradictions fatales. La puissance militaire américaine a échoué en Irak, en Libye et en Afghanistan. Au lieu d’apporter la stabilité, elle a apporté la destruction. La Russie a repris ses droits militaires après 2008. La Chine a connu une ascension économique et technologique, remettant en cause l’hégémonie occidentale.

Et ensemble, ils ont construit un contrepoids eurasien. Plus important encore, le Sud global a percé à jour la façade. Le génocide israélien à Gaza, ouvertement soutenu par Washington, a anéanti toute légitimité restante. Le système occidental est désormais exposé : surendetté économiquement, isolé diplomatiquement et militairement vulnérable.
 

The Cradle : Comment interprétez-vous la position de l’administration Trump face à cet effondrement ?

Amiral Cem Gurdeniz : Trump n’est pas l’architecte de cet effondrement ; il en est le produit. Lui et son équipe comprennent que le modèle post-1945 ne sert plus les intérêts des États-Unis. Le secteur manufacturier est dévasté. La dette a atteint 34 000 milliards de dollars.

Le dollar est contourné dans le commerce mondial. La puissance américaine se contracte. Trump propose un repli déguisé en force. Il veut mettre fin aux errements de l’Amérique et se concentrer sur la restauration de l’industrie nationale. Il sait que l’OTAN est un fardeau, pas un atout. Son défi n’est pas idéologique, mais existentiel. Il veut maintenir l’empire américain en vie en le réduisant à une taille soutenable.
 

The Cradle : Quel est le sort de l’OTAN dans cette équation ?

Amiral Cem Gurdeniz : L’OTAN est désormais une alliance zombie. Elle existe davantage comme un mythe que comme un bloc militaire fonctionnel. Son expansion a été inconsidérée. Ses opérations – des Balkans à la Libye en passant par l’Ukraine – ont déstabilisé des régions entières et sa crédibilité s’effondre.

L'UE, quant à elle, promeut une restructuration militaire de 800 milliards d'euros (environ 864 milliards de dollars) sous le nom de « Réarmer l'Europe ». Mais cela nécessite une austérité massive sur son territoire. Les gouvernements européens préparent leurs populations à la guerre, et non à la paix. Ils ont besoin d'ennemis pour justifier ces dépenses.

Mais sans le leadership américain, l'OTAN ne peut survivre en tant que structure cohérente. L'Amérique de Trump ne combattra pas pour l'Estonie et n'enverra pas de troupes en Moldavie. L'Europe devra se défendre – et elle n'est pas prête.
 

The Cradle : Le monde évolue-t-il réellement vers un ordre multipolaire – ou est-ce encore prématuré ?

Amiral Cem Gurdeniz : La transition est réelle et irréversible. Les BRICS se développent. L'Organisation de coopération de Shanghai s'étend. Les échanges commerciaux s'éloignent du dollar. Des puissances régionales comme l'Iran, l'Inde, le Brésil et la Turquie s'affirment. Il ne s'agit pas d'un retour aux blocs de la Guerre froide. Il s'agit d'un rééquilibrage – un monde où aucun centre ne domine.

La multipolarité n'est pas une utopie. C'est une question de souveraineté. Elle permet aux nations de s'aligner sur la base de leurs intérêts, et non de la coercition. Le défi consiste désormais à bâtir des institutions qui reflètent cette réalité : de nouveaux systèmes commerciaux, des cadres de sécurité et des banques de développement non contrôlés par l'Occident.


The Cradle : Vous défendez depuis longtemps la doctrine maritime de la ‘Blue Homeland’. Comment cela s'inscrit-il dans l'avenir de la Turquie en Eurasie ?

Amiral Cem Gurdeniz : ‘Blue Homeland’ n'est pas un slogan, c'est notre impératif géopolitique. La Turquie est entourée d'eaux contestées : la mer Égée, la Méditerranée orientale et la mer Noire. Si nous cédons ces espaces, nous deviendrons enclavés et sans importance.

Les puissances occidentales, notamment la Grèce et Chypre, veulent nous piéger en Anatolie. La Carte de Séville, soutenue par l'UE, réduirait notre espace maritime de 90 %. C'est une condamnation à mort géopolitique.

Blue Homeland’ affirme nos droits, notre présence navale et nos intérêts énergétiques. Associée au Corridor central, qui nous relie à l'Asie centrale et à la Chine, nous formons un axe continental-maritime. C'est l'épine dorsale de la stratégie de la Turquie pour le XXIe siècle.


The Cradle : Quelle est votre évaluation de l’orientation économique de la Turquie dans ce nouvel ordre mondial ?

Amiral Cem Gurdeniz : Nous devons abandonner l’illusion que les investissements directs étrangers et l’intégration à l’UE nous sauveront. Ce modèle a échoué. Il a engendré dettes, privatisations et dépendance. Notre économie doit être fondée sur la production, et non sur la spéculation.

Cela implique la réindustrialisation, la souveraineté alimentaire et énergétique, et le commerce régional en monnaies locales. Nous devons protéger les secteurs stratégiques de la propriété étrangère. Notre Banque centrale doit être indépendante non seulement du gouvernement, mais aussi de toute influence étrangère.

Ce n’est qu’à ce moment-là que nous pourrons parler de souveraineté économique.


The Cradle : Qu’en est-il de la diplomatie ? La Turquie doit-elle s’aligner sur un bloc particulier ou privilégier le non-alignement ?

Amiral Cem Gurdeniz : Nous devons privilégier ce que j’appelle le « non-alignement affirmé ». Cela signifie refuser d’être le satellite de qui que ce soit. Nous gardons nos options ouvertes. Nous coopérons avec la Russie, la Chine et les pays du Sud, mais nous nous engageons également avec l’Europe et les États-Unis lorsque nos intérêts convergent.

Mais il existe des lignes rouges. Nous ne participerons pas aux régimes de sanctions contre nos voisins. Nous n'hébergerons pas de bases étrangères ciblant d'autres États. Et nous ne nous laisserons pas entraîner dans les guerres défaillantes de l'OTAN.

Notre diplomatie doit servir notre géographie : équilibrée, ferme et souveraine.


The Cradle : L'UE se présente comme un projet « fondé sur des valeurs ». Que répondez-vous à cette affirmation ?

Amiral Cem Gurdeniz : Les valeurs de l'UE sont sélectives. Concernant les droits maritimes de la Turquie, elle soutient le maximalisme grec. Concernant la Palestine, elle reste muette. Concernant les crimes d'Israël, elle parle de « légitime défense ».

Il ne s'agit pas de valeurs, mais de puissance. L'UE veut que la Turquie soit une zone tampon, un entrepôt de réfugiés et une source de main-d'œuvre bon marché. Elle ne nous acceptera jamais comme ses égaux. Et nous ne devrions pas vouloir rejoindre un tel club.

Notre dignité n'est pas à vendre.