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78617 avril 2007 — La crise climatique devient stratégique. “Enfin”, pourrait-on dire, alors que la chose est largement documentée, — jusqu’à avoir été envisagée dans le rapport sur les “Competitive Strategies” de Fred C. Iklé, n°3 du Pentagone, en 1988. Cela n’est pas à mettre à l’actif de la vigueur de l’esprit postmoderne.
• Onze généraux et amiraux US à la retraite se sont regroupés pour lancer un appel qui met en garde les autorités occidentales contre l’aggravation de l’instabilité et du chaos à cause des effets de la crise climatique. Le Financial Times nous en fait rapport ce jour
«Climate change threatens to prolong the war on terrorism and foster political instability that some governments will be unable to cope with, an influential panel of 11 retired US generals has warned.
»“On the simplest level, it has the potential to create sustained natural and humanitarian disasters on a scale far beyond those we see today,” said the panel, which includes retired General Anthony Zinni, former commander of US forces in the Middle East, in a new study.
»“The US must commit to a stronger national and international role to help stabilise climate change at levels that will avoid significant disruption to global security and stability.”
(…)
»The new US military report, however, which was commissioned by the government-financed Center for Naval Analyses, lays out strong support for the link. It describes climate change as “a threat multiplier for instability in some of the most volatile regions of the world”, which will “seriously exacerbate already marginal living standards in many Asian, African and Middle Eastern nations, causing widespread political instability and the likelihood of failed states”.
»Making matters worse, the military experts warn that climate change offers a challenge much more complex than conventional security threats because of its potential to create “multiple chronic conditions, occurring globally within the same time frame”.
»As governments fail, they say, the US may be drawn more frequently into unstable situations abroad, and at home could experience “mounting pressure to accept large numbers of immigrant and refugee populations”.
»Admiral T. Joseph Lopez, the former commander-in-chief of US Naval Forces Europe and of Allied Forces, Southern Europe, said: “Climate change can provide the conditions that will extend the war on terror. In the long term we want to address the underlying conditions that terrorists seek to exploit, but climate change will prolong those conditions. It makes them worse.”
»Jonathan Pershing, a director at the World Resources Institute, an environmental think-tank in Washington, said the report marked a “major shift in thinking. It will garner attention to climate change in policy arenas that have not looked at these issues in the past, which is very important”.
»Douglas Johnson, research professor of national security affairs at the Strategic Studies Institute, said: “A few years ago, no one gave a flip ... Now, [climate change] is becoming a serious possibility, so we ought to have a plan for it.”»
• Parallèlement, — et paradoxalement, pourrait-on croire, — une polémique est en développement entre Britanniques et Américains. La question est celle de la guerre contre la terreur. Justement, le terme est inapproprié, disent les Britanniques, dans tous les cas Tony Benn, le ministre au développement international du gouvernement Blair. (Dans un discours à New York, rapporté par The Independent de ce jour). Si cela paraît au premier abord une simple question de phraséologie, il apparaît aussitôt que la remarque recouvre une question fondamentale de tactique qui place le Britannique (et bien d’autres avec lui dans son pays et dans son parti) en opposition fondamentale avec les USA et leur tactique de l’écrasement par les bombes. (Ah oui, Tony Blair a pris ses distances d’avec les déclarations de Benn. Anecdotique.)
Le débat implicite est d’importance. Autant sinon bien plus que les Américains, les Britanniques sont conscients des effets de la crise climatique sur la situation stratégique, éventuellement sur le terrorisme. Mais leur approche de la lutte anti-terroriste est de plus en plus différente de celle des USA, à mesure de l’évidence des catastrophes afghane et irakienne, et à mesure de l’imminence du départ de Blair. Il s’agit d’un conflit potentiel majeur entre les deux alliés, qui ne fera que s’aggraver à mesure de l’aggravation de la crise climatique. Il caractérise la crise au cœur du système anglo-saxon, — c’est-à-dire au cœur du système de la globalisation.
Quelques mots sur et de Tony Benn…
«The International Development Secretary called, during a visit to New York, for the strategy to be redirected at winning the trust and support of communities where the terrorists prospered. He said he would not use the phrase “war on terror” — a favourite expression of President George Bush — because it helped to unite fragmented terrorist groups under one banner.
(…)
»Mr Benn risked a diplomatic rift by lecturing the White House about the need to develop a more intelligent response to the challenges posed by terrorism. He said relying entirely on “hard power” — military force or economic measures — would not work. What was needed, he said, was “soft power” — listening and finding common ground on values and ideas. Mr Benn said: “In the UK, we do not use the phrase 'war on terror' because we can't win by military means alone and because this isn't us against one organised enemy with a clear identity and a coherent set of objectives. It is the vast majority of the people in the world ... against a small number of loose, shifting and disparate groups who have relatively little in common apart from their identification with others who share their distorted view of the world. By letting them feel part of something bigger, we give them strength.” He said later: “Words do count and that is why, since this is not something we can overcome by military means alone, we need to find other ways of describing what the challenge is.”»
Les Anglo-Saxons sont englués dans des contradictions fondamentales qui leur sont propres et qui sont de leur responsabilité absolument historique. Une rapide réflexion là-dessus, à la lumière de ce qui précède, et en commençant par une intéressante comparaison avec la France.
• Les Français, aiguillonnés par leur travers épouvantable de l’intelligence (l’“intelligence française” propre aux élites françaises, une calamité en vérité par son criticisme systémique du cas français), luttent pour écarter leur sens naturel de la tragédie historique (nommons cela “la sagesse prophétique de l’Histoire”) et tenter de rejoindre ce qu’ils croient être le consensus général sur l’état du monde (la globalisation). Ils échouent en général, par bonheur, et reviennent, en souffrant horriblement de se croire ainsi détachés du monde, à l’enseignement de cette sagesse prophétique. Ainsi la campagne des présidentielles a commencé de loin sur le thème : comment faire entrer, de force, la France dans le processus triomphant de la globalisation. Cette idée, — d’ailleurs plus une illusion virtualiste qu’une “idée”, — présentée comme postmoderne est complètement dépassée et obsolète, avec au moins 15 ans d’âge. C’est en 1989-1994 qu’on pouvait croire au triomphe de la globalisation. Ce fut évidemment une idée éphémère, un effet de mode garanti par le sourire-Clinton. Aujourd’hui, la globalisation est dans une crise systémique universelle, dont la crise climatique devient un facteur écrasant, et la folie de la soi-disant intelligence française de vouloir y adapter la France a heureusement sombré dans le chaos de la campagne présidentielle de ces dernières semaines, cédant devant l’évidence des nécessités françaises.
• Les Anglo-Saxons, eux, sont les créateurs du mythe de la globalisation, qui est, on le comprend en les observant avec autre chose que l’“intelligence française”, un faux-nez hypocrite dissimulant leur ambition d’imposer leur modèle et sa domination du monde. Cette virtualisation de la réalité du monde a touché tous les domaines, y compris celui de la crise 9/11. Le modèle “guerre contre la terreur” relève de cette même démarche de globalisation, mais poussé jusqu’à l’extrême de l’absurde et de la médiocre folie des hommes qu’on trouve aujourd’hui en position d’influence à Washington. (Même des piliers du système comme Brzezinski s’aperçoivent de cela, tandis que des contradictions évidentes mesurent l’ampleur de cette crise de la perception virtualisée.) L’intérêt de la situation actuelle est que les Anglo-Saxons, et surtout les Britanniques, commencent à mesurer — au contraire des Français intelligents, — l’ampleur évidemment universelle de la crise de la globalisation. Ils cherchent à se dégager des rets de cette globalisation sans abandonner le modèle virtualiste auquel ils ont confié la destinée de leur gloire. L’exercice est difficile. C’est dans ce cadre qu’il faut placer les contorsions britanniques, et sur le fond très anti-américanistes, à l’encontre de l’expression et du concept “guerre contre la terreur”. (Les réticences de Tony Blair sont à mettre dans la catégorie “protection de l’emploi”, — l’un ou l’autre que Blair espère obtenir de ses amis de la Maison-Blanche à son départ de Downing Street, — bref, sans intérêt, à la mesure du destin “maistrien” du bonhomme.)
• Là-dessus, il y a cette rencontre avec la crise climatique. Laissons les discussions des puristes sur le sexe des anges (qui est cause de quoi dans cette crise?). La crise est là. Elle est climatiquement là et, surtout, psychologiquement là. Elle devient un facteur stratégique de première dimension. Cette crise, dans l’état climatique et psychologique où elle se trouve, est placée dans un cadre caractérisé par la complète responsabilité du système anglo-saxon (autant le système mécaniste américaniste, — le “fordisme”, ou le “Descartes descendu dans la rue” de Aron-Dandieu, — que la globalisation dont nous parlons ci-dessus, et qu’il faut étendre jusqu’à sa véritable naissance entre le Gilded Age né aux USA à la fin de la Guerre de Sécession et la “première globalisation” du début du XXème siècle avant 1914). Bien qu’il y ait cette responsabilité, — ou à cause d’elle si l’on offre une analyse prophétique de la chose? — les Anglo-Saxons, et les Britanniques surtout, sont les premiers à découvrir et à explorer les réalités de la crise climatique, ses liens systémiques avec le modèle qu’ils ont eux-mêmes développé, et ses effets potentiels cataclysmiques au niveau social et stratégique de l’état du monde tel qu’il se profile. (Nous ajouterions la dimension psychologique : cette crise systémique multiple, — globalisation et crise climatique, — est également et, on l’appréciera très vite, surtout dans la tête, dans nos psychologies. C’est un facteur de déstructuration monstrueux, qui dépasse une crise de civilisation, ou alors qui illustre le fondement de la crise de notre civilisation en tant qu’elle tend à s’affirmer éventuellement [voir Toynbee] comme la civilisation ultime de l’espèce.)
Ces évolutions découvrent la tragédie de ce début du XXIème siècle, où des événements pressants et monstrueux instruisent inéluctablement le procès du Progrès. Toutes ces crises systémiques ont leur source dans la crise du Progrès, et elles nous y conduisent par un mouvement redondant. La science occidentale, conçue dans son innocence originelle pour rendre compte de et comprendre la réalité et le fonctionnement de notre univers, a dévié perversement de sa course pour créer un univers qui lui est propre, — et ainsi beaucoup plus aisément compréhensible et manipulable, — et elle a nommé cet univers “Progrès”. Cet univers se révèle un monstrueux et catastrophique artefact, dont les effets menacent l’équilibre du monde et le destin de la civilisation qui l’a créé.