Rencontre du 3ème type : 737Max, Shanahan & F-35

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Rencontre du 3ème type : 737Max, Shanahan & F-35

16 avril 2019. – Chacun sait que la situation mondiale, et donc particulièrement la situation du Pentagone et du CMI qui lui est associé, est affreusement compliquée dans les innombrables dédales et détails qui la caractérisent, et extraordinairement simple lorsqu’on parvient à se sortir de ce marigot pour en venir aux grandes lignes, – c’est-à-dire aux grandes crises, puisqu’aujourd’hui tout est crisique. Nous pensons qu’il y a un exemple de cette vaste observation au travers d’une interview et des remarques que suscite (dans notre chef) cette interview.

L’interview nous permet en effet, sans que la personne interviewée l’ait voulu ou bien en ait eu conscience, de réunir en une seule grandes crise plusieurs évènements crisiques qui sont souvent traités, – et par nous-mêmes, du reste, dans certains cas, – d’une façon séparée, très cloisonnée. Les événements crisiques concernés sont essentiellement d’une exceptionnellement grande cuvée : la crise générale du Pentagone, dans sa dimension budgétaire et bureaucratique ; la crise du F-35 (JSF) ; la crise du Boeing 737Max ; la crise de la structure de l’administration Trump au travers d’une méthode du président consistant, comme c’est le cas au Pentagone, de ne pas remplacer un ministre ou un directeur d’agence partant (pour désaccord avec le président), pour laisser la direction à son adjoint simplement investi du “faisant fonction de...” (ministre).

(Le cloisonnement des crises est un dé-rangement naturel et inéluctable, parce que dû à la complexité des choses et à la tendance du jugement à parcelliser les problèmes, qui occulte très souvent la véritable gravité des sujets traités, et au-delà la prégnance absolue de la Grande Crise d’Effondrement du Système. Notre travail constant doit être de revenir au rangement révélateur.)

Il s’agit donc ici d’une interview par Sputniknews.com du journaliste indépendant Dave (David) Lindorff, généralement considéré comme proche de la dissidence antiSystème. L’interview date du 26 mars 2019 mais les principaux éléments considérés sont toujours en place. La cause principalede l’interview est l’ouverture d’une enquêtedes autorités de régulation du Pentagone à l’encontre de l’adjoint au secrétaire à la défense “faisant fonction de secrétaire à la défense”, Patrick Shanahan, pour “conflit d’intérêts”, c’est-à-dire corruption. Shanahan, qui a dirigé pendant 31 ans la divisions “avions civils” de Boeing, est soupçonné d’avoir favorisé Boeing, notamment et principalement dans la décision de l’USAF d’acquérir une nouvelle version du F-15, le F-15X

Le texte de l’interview est précédé d’une introduction qui met en perspective cette situation de l’actuel “faisant fonction de ministre” du Pentagone.

« Le ministère américain de la défense a récemment ouvert une enquête à la suite d'informations selon lesquelles Patrick Shanahan, secrétaire à la défense par intérim, aurait favorisé Boeing, où il a travaillé pendant plus de trois décennies, au détriment de ses concurrents. “Le Bureau de l'Inspecteur général du ministère de la défense a décidé d'enquêter sur les plaintes que nous avons récemment reçues selon lesquelles le ministre de la défense par intérim Patrick Shanahan aurait pris des mesures pour promouvoir son ancien employeur, Boeing, et dénigrer ses concurrents, prétendument en violation des règles de déontologie” , a déclaré Dwrena Allen, porte-parole de l'inspecteur général du ministère de la Défense, cité par Politico.
» Le 13 mars, un groupe de surveillance indépendant, Citizens for Responsibility and Ethics, a demandé la tenue d'une enquête sur la base d'un rapport publié en janvier par Politico, affirmant que Shanahan, alors qu'il était secrétaire adjoint à la Défense, avait dénigré Lockheed Martin lors de réunions du ministère de la Défense et avait cité Boeing en exemple, indique le rapport. Le rapport cite également un article paru en décembre dans lequel Bloomberg affirmait que Shanahan avait fait pression sur l'US Air Force pour qu'elle achète des Boeing F-15X, même si l'armée de l'air avait déclaré ne pas être intéressée par cet avion. Avant d'entrer au ministère de la Défense, Shanahan, ingénieur de formation, a travaillé pendant 31 ans pour Boeing dans le domaine de l'aviation civile. Il a signé un accord éthique se récusant de toute intervention dans des décisions impliquant Boeing.
» Sputniknews.com en a discuté avec David Lindorff, un journaliste d'investigation américain.

Sputniknews.com : « Quelle est la probabilité que ces événements malheureux entraînent une enquête approfondie sur tous les produits de Boeing, y compris les avions militaires ? »

David Lindorff : « Il y a deux questions dans la question que vous posez. L'une est de savoir jusqu'où ils devraient aller et l'autre jusqu'où ils iront parce que Boeing est une entreprise très puissante. Je pense que c'est le plus gros exportateur des États-Unis en termes de valeur monétaire, si je ne m'abuse ; c'est une part énorme de notre économie d'exportation. De plus, il s'agit également d'un énorme fournisseur de services de défense, alors le fait de prendre les choses très au sérieux et d'examiner jusqu’au bout ce qu’on peut savoir de la vérité est une gageure dans notre système politique plutôt corrompu. C'est pourtant un cas vraiment très important, où Shanahan est clairement impliqué. [...] Dans plusieurs occasions, il a vraiment insisté pour des choses qui n'avaient pas de sens comme un F-15 amélioré fait par Boeing[le F-15X] qui n’a aucune capacité de furtivité... Le F-35 est entravé dans son développement[par le F-15X] notamment parce que beaucoup de dépenses pour[le F-15X] sont engagées aux dépens du F-35 de Lockheed. Je ne veux pas dire que ce programme[le F-35] n'est pas non plus une source de problèmes. Je veux dire que si l’enquête se développe, il s’agit d’un type [Shanahan] qui, de toute évidence, est prêt à violer au moins l’éthique et peut-être la loi[au profit de Boeing], alors qu’il a dirigé pendant des années la division des avions civils de Boeing ; sans doute y a-t-il beaucoup de corruption lorsqu'il s'agit d’autoriser des avions à une mise en service commerciale normale sans être aussi sûrs qu'ils sont censés l'être. »

Sputniknews.com : « Quel est votre sentiment général et celui qui prévaut dans votre pays à ce sujet, parce qu'il y a beaucoup de points de vue et de questions spécifiques que cette affaire suscite à l'heure actuelle ? »

David Lindorff : « Oui, en effet. Encore une fois, vous avez soulevé la question de savoir s'ils iront vraiment vers la mise en cause de Shanahan. Je pense qu'une approche qu'ils peuvent adopter est de blâmer Shanahan et de faire de lui un exemple de personne corrompue, tout en prenant garde de laisser Boeing en dehors de tout cela. C'est une façon classique pour les États-Unis de traiter la corruption d'entreprise ; on ne met pas en cause l’entreprise ou le système, on met en cause un individu, on le charge au maximum et on laisse l’entreprise en dehors de cela. Une question connexe mais qui interfère sur le cas Shanahan est de savoir si l’on enquêtera systématiquement pour savoir si Boeing a corrompu des organismes comme la National Transportation Safety Agency ou la FAA, la Federal Aviation Administration, qui réglementent la sécurité et autorisent l’exploitation commerciale des avions et tout cela. Et je pense qu'il est plus que probable qu'il y a beaucoup de corruption dans ces pratiques ; il semble, par exemple, que les États-Unis aient tardé à ordonner l’interdiction de vol du[Boeing]737 Max8 qui s'est écrasé deux fois, et cela après le deuxième crash, ce qui est totalement inacceptable. Des gens continuaient à être transportés dans cet avion un peu partout dans le pays alors que les autres pays avaient décrété une interdiction de vol urgente. Cela ressemble vraiment à un cas où la pression commerciale a conduit à continuer à permettre le transport de passagers dans un avion qui n’était plus sécurisé. »

Sputniknews.com : « Pourquoi le Pentagone continue-t-il à verser de l'argent à une entreprise dont le comportement est si douteux ? »

David Lindorff : « J'ai beaucoup écrit sur ce sujet et je l'ai étudié pendant des années ; j'ai suivi un cours avec Seymour Melman, un professeur à Columbia qui s'est concentré sur la corruption innée des industries militaires et industrielles. Il est clair que le système militaire et de l’industrie de l'armement américain constitue une énorme industrie aux États-Unis ; celle-ci reçoit 350 milliards de dollars par an du Pentagone, la moitié de son budget.

» Ces types achètent des politiciens, ils mettent aussi des généraux à leur conseil d'administration quand les généraux prennent leur retraite ; les généraux ont donc un intérêt dans ce rôle, ils ont intérêt à se montrer indulgents envers ces entreprises pour qu'elles conservent leurs rentes budgétaires qui leur rapportent des fortunes, et eux-mêmes avec la perspective de faire partie des conseils d’administration de ces entreprises où ils auront leur propre rente sans faire grand’chose. Pour eux, faire ce qu’il faut quand ils sont au Pentagone pour qu’on achète le matériel de ces entreprises, c’est comme se préparer une retraite de millionnaire. Il s'agit donc d'un système massivement corrompu qui ne se soucie pas vraiment de savoir si les choses qui sont achetés fonctionnent ou pas.

» Pour vous donner un exemple, le F-35 n'est pas prêt à voler, – il y a des problèmes avec le logiciel, il y a des problèmes avec les ailes qui ne vont pas durer aussi longtemps qu’elles devraient ; le coût de l’entretien est en train d’exploser et le programme coûtera probablement le double des $1 500 milliards prévus actuellement. Et ce que le Pentagone a fait, – et c'est quelque chose qu'il fait fréquemment, –  c'est de donner un statut opérationnel au F-35 pour le déployer un peu partout, dans nos unités et dans les pays étrangers qui l’ont commandé, en promettant “nous réglerons les problèmes qui surgiront avec effet rétroactif”. C’est une façon horriblement plus coûteuse de modifier des avions après coup alors que vous savez qu’ils ne sont pas au point ; mais c’est ce qu’ils ont fait, – ils l’ont mis en production et l'ont déclaré prêt au combat alors qu’il ne l’est pas. »

Sputniknews.com : « Pourquoi permet-on que cela continue de cette façon ? Mais bien sûr c'est une formule qui génère de l’argent, et encore de l’argent, et alimente l’ensemble du système. Je veux dire, comment ce truc peut-il finir un jour ? Ça ne finira jamais. C'est une question rhétorique, n'est-ce pas ? »

David Lindorff : « En fin de compte, c'est pour cela que les gens qui disent “Cela doit cesser si nous voulons avoir un monde décent” ont raison. J'écoutais un discours de Tulsi Gabbard, l’une des candidats à la présidence qui se trouve être un réserviste en service actif de la Garde nationale hawaïenne. Elle a prononcé un discours très passionné sur la façon dont nous devrions dépenser décemment tout cet argent pour nos forces armées. Shanahan, soit dit en passant, a été celui qui a annoncé que l’on avait échoué dans la tentative d’un audit du Pentagone, cette affaire dont j'ai parlé dans The Nation en décembre. Il a fait ce commentaire : “Notre audit a échoué mais nous nous y attendions.” Il en a presque fait une blague. Voilà une bureaucratie qui dépense environ $1 000 milliards par an, nous ne savons pas où et comment ils dépensent cet argent et je ne crois pas que les dirigeants du Pentagone eux-mêmes le savent. Il n'y a aucun moyen de tracer ces dépenses. C'est tout simplement époustouflant. »

Sputniknews.com : « Compte tenu des lacunes de Boeing, dans quelle mesure ces défaillances techniques sont-elles typiques du complexe militaro-industriel américain en général ? Nous en avons discuté, bien sûr ; mais quelles sont les chances que ces F-35, par exemple, nécessitent un examen plus approfondi ? En fin de compte, il y a de grandes préoccupations au sujet de la sécurité, pas seulement de la sécurité de l'élément militaire de ces avions, mais des avions en général ; la plus grande préoccupation est que ces lignes aériennes civiles avec de tels avions fonctionnent partout dans le monde alors que Boeing est une marque qui est une véritable icône, qu’elle a une réputation et un passé si glorieux. Cette très grande préoccupation en matière de sécurité pourrait vraiment ruiner la réputation de Boeing, n'est-ce pas ? »

David Lindorff : « S'ils découvrent, ce qu'ils peuvent très bien faire, qu'il y a eu un problème de logiciel qui a fait plonger le 737 Max 8 en piqué et qui empêche les pilotes de l’arrêter s’ils ne sont pas formés pour les mesures extraordinaires qui doivent être prises, c’est un énorme problème qui devrait faire douter les gens des capacités de Boeing. En particulier, ils devront examiner le processus pour savoir pourquoi ils ont reçu des plaintes de la part de pilotes pendant des mois aux États-Unis et n’ont rien fait à ce sujet, – il y avait vraiment une sorte de culture d'entreprise qui consiste à camoufler ce genre de choses, – et ce serait catastrophique pour la réputation de Boeing, car comme vous l’avez dit, leur réputation en matière de sécurité était plutôt bonne. Cela pourrait tuer Boeing. » 

Le noeud coulant du fil rouge

On comprend ce que nous voulons signifier par l’idée de “cloisonnement” des crises, qui implique soit une méconnaissance, soit une indifférence, soit simplement le jugement de “hors-sujet” d’un facteur qu’on fait intervenir dans l’exposé qu’on fait de la crise. En exposant la crise comme on le fait dans le cas qui nous occupe, on décrit une action condamnable qui s’effectue aux dépens d’un sujet qui est la victime. Il va de soi que cette victime prend aussitôt aux yeux du lecteur des dimensions vertueuses : puisqu’elle est victime, elle ne peut être une “actrice condamnable” et notre soutien autant que notre jugement favorable lui sont acquis.

Ainsi, dans l’interview Lindorff précise-t-il : « Dans plusieurs occasions, il [Shanahan] a vraiment insisté pour des choses qui n'avaient pas de sens comme un F-15 amélioré fait par Boeing [le F-15X] qui n’a aucune capacité de furtivité... Le F-35 est entravé dans son développement [par le F-15X] notamment parce que beaucoup de dépenses pour [le F-15X] sont engagées aux dépens du F-35 de Lockheed. » Certes, il apporte quelques nuances : « Je ne veux pas dire que ce programme [le F-35] n’est pas non plus une source de problèmes. » Puis, plus loin, en réponse à une autre question, ceci, qui donne certaines indications sur la crise du F-35 mais ne fait pas de ce programme l’acteur central, cause profonde de sa propre crise, mais plutôt la victime de procédures du Pentagone alors que ces procédures sont en réalité forcées par l’état catastrophique du programme F-35, victime devenue ainsi cause de ces déboires : « Pour vous donner un exemple, le F-35 n'est pas prêt à voler, – il y a des problèmes... [...] Et ce que le Pentagone a fait, – et c'est quelque chose qu'il fait fréquemment, –  c'est de donner un statut opérationnel au F-35 pour le déployer un peu partout... [...] ...ils l’ont mis en production et l'ont déclaré prêt au combat alors qu’il ne l’est pas. »

Dans cet exemple qui constitue un des arguments à charge de Shanahan, les pressions pour acheter le F-15X sont jugées condamnables parce que justifiées par le seul intérêt de Boeing. Il est évident que la vente du F-15X est de l’intérêt de Boeing, mais il est faux de dire que le F-15X n’a aucune capacité de furtivité (il en a certaines au contraire, et c’est ce qui fait la spécificité de la version), tout comme il est faux de laisser entendre que le F-35 a complètement cette capacité. (Comme l’on sait, un F-35 japonais en mission quasi-opérationnelle il y a une semaine a été considéré comme perdu corps et bien lorsqu’il a disparu des écrans-radar :que faisait donc cet avion “furtif” sur les écrans-radar tant que sa mission allait bien, lui qui est censé leur être invisible, c’est-à-dire hors des capacités des écrans-radar ?). En fait, l’achat du F-15X est, à côté de toutes les corruptions possibles du monde, une mesure de bon sens face à la catastrophe qu’est le F-35, pour conserver à l’USAF quelques capacités de combat dans les temps qui viennent, au cas où le F-35, – surprise, surprise, – ne marcherait pas...

Mais l’on comprend également que ce n’est pas le sujet, tout comme le F-35 n’est pas un domaine que Lindorff connaît bien. Ce qu’il connaît bien, c’est la question de la corruption au Pentagone, illustrée aujourd’hui par la mise en cause de l’actuel “faisant fonction de secrétaire à la défense” ; laquelle mise en cause conduit à la situation de Boeing dont Shanahan a été l’un des principaux directeurs pendant trente ans, et cette situation se caractérisant par l’affaire du 737Max qui est bien loin d’être terminé, et à propos de laquelle Lindorff ne mâche pas ses mots : « Cela pourrait tuer Boeing. »

Qu’on ne s’y méprenne pas : il n’est pas question, ici, dans ce commentaire, de reprocher à Lindorff d’ignorer la gravité de la crise du F-35, d’ignorer son ontologie même. Il est, là aussi,victime du cloisonnement, – et Dieu sait si le JSF, avant d’être F-35, l’a été, cloisonné ! La crise du JSF-devenu-F-35 commence à peine à se débarrasser de ses cuirasses et à déboucher sur la scène de l’actualité générale en même temps que se font connaître les premiers déboires publics (le F-35 japonais), c’est-à-dire répercutés par la communication au-delà du domaine des spécialistes-experts et des maîtres en simulacre de Lockheed Martin (LM) et du Pentagone. Quoi qu’il en soit, même sans expertise-antiSystème à ce propos, Lindorff montre bien qu’il se doute de quelque chose du côté du F-35 ; il sera vite édifié s’il est amené à s’y intéresser d’un peu plus près.

(Sur un point particulier considéré d’un point de vue à la fois quantitatif et systémique, Lindorff se trompe lorsqu’il écrit à propos des livraisons hyperrapides suivant une production directe, sans prototype : « Et ce que le Pentagone a fait, – et c'est quelque chose qu’il fait fréquemment, –  c’est de donner un statut opérationnel au F-35 pour le déployer un peu partout... » La situation du JSF est bien la marque de l’utopie radicale qui est à la base du programme, c’est-à-dire passer à la production directement à partir de la conceptualisation sur écran [avant, on disait ”de la planche à dessin”], et se retrouver avec plusieurs centaines d’exemplaires produits qui sont tous chargés de très graves défauts, auxquels non seulement il faudra remédier mais dont on n’est absolument pas assurés de les corriger, sinon de les “corriger” en en créant de nouveaux... A cet égard, le F-35 est unique, absolument unique, – et si les déploiements sont si rapides alors que l’avion est totalement au niveau de la plus complète infantilisation, c’est tout simplement pour pousser au plus loin qu’il se peut les dimensions et le volume du simulacre, avant qu’il ne commence à se trouer, ce qui serait en voie de commencement effectif avec l’affaire du JSF japonais.)

Tout cela étant considéré, que nous apporte l’interview de Lindorff qui nous paraît si important ? (Et, encore une fois nous le redisions : sans que lui-même puisse être conscient de cette importance.) Il nous apporte un fil rouge qui relie trois criseset menace toute l’énorme infrastructure du complexe militaro-industriel américaniste :

• La crise de Boeing avec ses 737Max, qui ne fait pas beaucoup de vagues mais envoie des signes indirects selon lesquels tout ne va vraiment pas très bien dans le meilleur des mondes (dernier signe en date : la décision d’American Airlines de retarder l’interdiction de vol de ses 737Max jusqu’au mois d’août). Un tweet de l’impayable Trump résume peut-être bien quoique dans un langage bouffon-simulacre, le caractère peut-être désespéré du programme 737Max dont dépend l’avenir de Boeing avec 5 000 commandes en attente : « Qu’est-ce que j'y connais en image de marque, peut-être rien (mais je suis devenu président !), mais si j'étais Boeing, je remettrais en état le 737Max, j'y ajouterais quelques fonctions supplémentaires & lui donnerais une nouvelle image en le rebaptisant avec un nouveau nom. Aucun produit n'a souffert comme lui. Mais encore une fois, qu'est-ce que j’y connais ? » (“Aucun produit n’a souffert” [dans sa réputation et son image de marque] comme le 737Max ? On imagine la mine anéantie du CEO de Boeing, qui est un ami de Trump dit-on, en lisant cet avis présidentiel sur son avion maudit.) 

• Shanahan venant de chez Boeing/division avions civils, est évidemment associé (fil rouge incandescent) à la crise des 737Max. Avec son attitude favorable au F-15X, – qui est pourtant opérationnellement pleine de sagesse, – il est vulnérable au soupçon de corruption de type-conflit d’intérêt, dans un environnement, le Pentagone, qui est une sorte de Panthéon de la corruption et où personne, – Lindorff en témoigne, – n’est capable de retrouver trace de quelques milliers de $milliards dépensés ces quelques dernières années. Il est évident que LM, qui déteste Boeing et Shanahan autant que Boeing et Shanahan détestent LM, n’est pas le dernier à souffler à l’oreille des gens intéressés que Shanahan essaie de torpiller son beau JSF en lui prenant une part de son précieux budget pour acheter des F-15X évidemment construits par Boeing aussi bien que ses 737Max, et dont même l’USAF ne veut pas entendre parler. (A cette occasion, grand prix de sagesse et de lucidité pour l’USAF !)

• Ainsi, avec cette querelle qui nous installe au cœur de la corruption du Panthéon de la chose, retrouvons-nous le catastrophique JSF, qui reste le plus beau joyau de cet univers de la corruption. Il fixe pour nous une situation ou l’acting-secrétaire à la défense, venue d’une firme qui est en train de se débattre dans une mer très profonde avec un boulet au pied de catégorie-737Max, est en train, lui, de se révéler dans les flux de la communication comme un adversaire du F-35, – l’est-il ou ne l’est-il pas dans son jugement intime, peu importe... En effet, la seule façon efficace pour Shanahan de se défendre contre l’accusation de corruption et de conflit d’intérêt avec l’affaire du F-15X, c’est de dire la vérité, pardi, la grande Vérité ! A savoir, que le F-35 de LM est un fer à repasser grandement disgracieux et évidemment catastrophique, qui ne vaut pas un clou, et qu’il est temps de prendre des mesures pour réparer comme l’on peut la situation de l’USAF en la dotant d’une version modernisée d’un avion qui a largement fait ses preuves : et cet argument-là, répétons-le, est absolument pur comme de l’eau de roche, il scintille littéralement de vérité, – mais il descend le F-35 en flammes...

Bref, il s’agit d’une situation difficile à préjuger dans ses évolutions mais particulièrement remarquable dans son ordre de bataille. Pour se faire son jugement et apprécier dans quel sens évolue l’affrontement par rapport au Système que l’on cherche constamment à affaiblir et à provoquer, on doit écarter les complications considérables des éléments de base, accepter qu’il n’existe pas de référence extérieure (notamment morale) sur laquelle s’appuyer puisque l’on évolue dans un affrontement de simulacre et enfin réaliser que la fameuse formule des “loups [qui] ne se mangent pas entre eux” n’a plus lieu d’être aujourd’hui. Les loups tiennent le haut du pavé et, certes, ils se mangent entre eux, et goulûment, et nécessairement lorsqu’il s’agit de LM et de Boeingqui sont les deux piliers d’une industrie hyper-centralisée, hyperpuissante, hyper-favorisée et hyper-corruptrice…

Ainsi parvient-on à la conclusion que si ces crises continuent à se développer liées entre elles comme elles le sont par le fil rouge qu’on a décrit, ce fil rouge peut, de catastrophes en catastrophes touchant les deux piliers de l’industrie d’armement autour d’un Pentagone noyé dans l’in-comptabilité de sa corruption, devenir un nœud coulant crisique. La particularité de cette situation est effectivement que le moindre écart, la moindre pression, le moindre resserrement du nœud coulant menace immédiatement l’essence même, – si essence il y a, – de l’édifice naturellement décrit comme too big to fall mais secrètement d’une fragilité extrême à cause des tensions qui le divisent et le fracturent.

Effectivement, nous en revenons à la description initiale, cette fois transposée en nombre d’acteurs dans cette occurrence antagoniste, – une situation “affreusement compliquée dans les innombrables dédales et détails qui la caractérisent, et extraordinairement simple lorsqu’on parvient à se sortir de ce marigot pour en venir aux grandes lignes”. Les “grandes lignes” se nomment Pentagone, Shanahan soupçonné de corruption, Boeing et LM ; si l’une de ces “grandes lignes” cède, le fil rouge se rompt, c’est-à-dire qu’il se resserre jusqu’à l’effondrement.