Rendez-vous à Gettysburg

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Rendez-vous à Gettysburg

5 novembre 2020 – Je crois qu’une certaine “gauche” US, celle qui vient peu ou prou de la dissidence antiSystème du temps de GW Bush, et qui, paraît-il, serait victorieuse si le vieux crouton pourri et corrompu de Sleepy Joe l’emporte, je crois que cette “gauche”-là a la plus grande difficulté à se maintenir à son aise, à côté des natures emportées, et généralement hollywoodiennes, qui déversent les pensums révolutionnaires en se référant au jeune et bondissant parti démocrate (la-Pélosi, 80 ans, Biden-président, 77 ans, etc.).

La vérité-de-situation est bien que, même si Trump n’arrive pas à s’imposer comme président reconduit grâce à ses armées d’avocats et à ses multitudes de contestations tatillonnes et bureaucratiques, contre les fraudes sans nombre des démocrates, cette gauche ex-dissidence conduisant à côté des institutionnels de la même trempe le Système à l’autel du triomphe washingtonien, aurait bien du mal à se sentir vraiment à l’aise. Ce n’est même pas une ‘victoire à la Pyrrhus’, c’est un débat profond et bien mal assuré sur le sens de ce mot, selon qui le prononce : qu’est-ce donc qu’une ‘victoire’, selon que c’est Biden ou la gauche-‘dissidente’ qui le dit ?

Je parle ici et bien entendu de l’esprit des choses et nullement “des choses”. Celles-ci, “les choses”, ce sont sous un autre nom ‘les événements” dans une époque de simulacre et de constante imposture faussaire. Il est absolument hilarant d’entendre et de voir les ‘experts’ français des USA, autour des petits fours de la TV parisienne, parler du FakeNewsisme en citant le NYT et le WaPo comme Bible(s) du journalisme respectueux des vérités, – lesquelles, on l’a deviné, sont évidemment progressistes-sociétales. Il est béant le trou noir de l’inculture parisienne, sortie du nombre de morts par Civid19 du dernier week-end ; il est vraiment très noir, le trou... Plus d’une fois, je me suis senti moi-même si honteux d’être de la même tribu que ces gens-là, si étranger à cette tribu-là dont j’avais tant rêvé dans ma jeunesse adolescente qu’elle m’accueillît dans ses grands bras ouverts ; et lorsqu’il y a un invité américaniste passant à l’une de leurs émissions, et encore plus un invité américain, je suis gêné en plus d’être honteux, et méprisant pour moi-même pour avoir accepté d’en être, ne serait-ce que spectateur, en plus d’être gêné et honteux pour le spectacle.

Je ne dis pas que Patrick Cockburn, de l’innombrable tribu des Cockburn (parents, frères, cousions-cousines, etc.) soit le plus ‘dissident’ parmi les régiments de gauchistes-dissidents de la famille, tant s’en faut dans son cas. Mais quoi, il en a un peu les gènes, et cela même si CounterPunch a trahi l’esprit de l’entreprise depuis la mort d’Alexander, frère de Patrick . (Diana Johnstone dit cela de la famille, – d’origine irlandaise mais américaniste, – en 2017, avec la mort d’Alexander : « Ce fut en effet le début de la montée en puissance de Caitlin [Johnstone, sans liens de famille avec Diana] dans les cercles anti-guerre en parallèle au début du déclin de ‘CounterPunch’, passé de la position d’un “franc-tireur intrépide” à celui de critique sarcastique des véritables héritiers de l'esprit indépendant du fondateur du site, Alexander Cockburn. »)

On voit que nous naviguons en eaux troubles et agitées à la fois, performance notable pour une eau courante. Même un Patrick Cockburn n’est pas vraiment d’un esprit débordant de félicité lorsqu’il écrit son article dans CountePunch, enfonçant discrètement une porte grande ouverte en observant que ce n’est pas parce que vous vous débarrasserez de Trump que vous débarrasserez du trumpisme, qu’en cette matière l’existence précède l’essence, – et comment ! –, et qu’elle est en bonne part constitutive de l’Amérique. Ce n’est pas un vieux crouton pourri qui sauvera la barcasse à la coque trouée parce qu’également pourrie qu’est devenu le Titanic. Cela est fort bien résumé, cette espèce d’amertume chez les gauchistes repentis, pas vraiment repentis, devant l’extraordinaire résilience du monde et de l’espèce regroupée en société :

« America’s Gettysburg Moment: Even If Defeated Trumpism Will Not Vanish » (“Un ‘Moment-Gettysburg’ pour l’Amérique: même s’il est vaincu dans cette bataille, le Trumpisme ne disparaîtra pas”)

Le corps de l’article est une suite assez étrange, mais compréhensible dans le contexte et compte tenu de la personnalité de certains des protagonistes, de positions contrastées sous la même plume, animée de la même fureur antiTrump et une certaine certitude (“certaine certitude”, terme si oxymorique pour décrire les temps courants et qui vaut son pesant de cacahuètes)  : “Oh oui, c’est une très grande victoire, nous allons nous débarrasser, avec notre triomphant ‘bon débarras, Trump !’, de la cause de tous nos ennuis, comme on referme une parenthèse maléfique dans la marche de la Grande République”, ou bien “certes, mais est-ce bien sûr, car « le fait même qu'il ait fallu le coronavirus pour vaincre Trump est la preuve, malheureusement, qu’il n’est pas l’aberration ou la parenthèse que ses adversaires pensent qu'il est »”...

Ce balancement, aller-retour de l’étrange “certaine certitude” à l’incertitude assumée, se trouve bien illustré par l’article de Cockburn. Si nous l’avons retenu, si je me suis aussitôt arrêté à lui, c’est à cause de la conclusion, qui cite cette intervention de Lincoln qui résume tout cela, lui qui est pourtant l’étendard du triomphe moral de la chose, en plus ; mentionnons-le, « Avec Dieu de notre côté »... On sait bien qu’on retrouve cette citation de Lincoln ici et , entre autres lieux de notre site dedefensa.org...

On trouvera donc le contraste dont je parle ici entre les deux paragraphes du début et celui de la conclusion, qui vous invite à vous tenir prêt à vous titrer une balle dans la tête, – au cas où...

« Les sondages sont unanimes pour prédire une victoire de Joe Biden sur Donald Trump lors de l'élection présidentielle, présentant le vote comme une répétition non militaire de la bataille de Gettysburg en 1863, lorsque le nord a vaincu le sud dans ce qui est considéré comme un tournant dans la guerre civile. La violence sera moindre cette fois-ci, mais la haine entre les antagonistes est au moins d’une intensité similaire.
» Une comparaison avec la guerre civile est appropriée car l'affrontement entre Trump et Biden fait écho au conflit armé un siècle et demi plus tôt. L'Amérique blanche s'était alors divisée en deux nations et, dans une large mesure, elle est maintenant deux nations. Le soutien principal de Trump se trouve dans le sud et dans les zones rurales ; celui de Biden se trouve dans le nord et dans les villes métropolitaines.
[…]
» “L’Amérique ne sera jamais détruite de l’extérieur”, aurait déclaré Abraham Lincoln. “Si nous faiblissons et perdons notre liberté, ce sera parce que nous nous sommes détruits nous-mêmes.”[« En tant que nation d’hommes libres, nous devons éternellement survivre, ou mourir en nous suicidant ».] La perspective d'une telle destruction est venue très près pendant les années de Trump à la Maison Blanche et n'a pas encore disparu. S'il y reste, bien sûr, ce sera un Gettysburg à l'envers, qui répondra à la terrible prévision de Lincoln. »

... Après tout, hein, « God On Our Side », tout le monde est plus ou moins d’accord, n’est-ce pas ? Triste Amérique, aussi joyeuse que nous le sommes nous-mêmes, dans nos incroyables crises en totalitarismes pour gamin de huit ans en cours de récréation, à peu près aussi tragique-bouffe que l’acné juvénile par “manque de sport” ou autres activités du même domaine, comme on disait dans le temps d’avant même ma jeunesse, où la perspective absolument secrète d’aller voir une fille prenait des allures de révolution sexuelle.

Mon Dieu, Tu as plus d’un tour dans Ton sac ! Je n’imaginais pas qu’Il imaginerait, Lui-le garnement, l’Effondrement du Système par la conjonction presque sublime de la connerie de ses membres-fondateurs et adhérents les plus influents et les plus fortunés d’une part, par l’ennui des spectateurs conviés à une société du spectacle qui ne fonctionne même plus à cause des horaires-Covid d’autre part... Tout cela qui nous faisait écrire il y a quelques mois, tension tragique en plus :

« Il est tant question de haine dans la description des situations politiques actuelles que l’on se pourrait dire que les USA en sont arrivés aujourd’hui à se haïr eux-mêmes, et dans ce cas à côtoyer inconsciemment la tentation du suicide. On est alors inévitablement conduit à se référer à la très juste prédiction de Lincoln, tant répétée sur ce site parce que jamais le destin de la Grande République n’a été mieux résumé et synthétisé que par ces quelques mots : “Si la destruction devait un jour nous atteindre, nous devrions en être nous-mêmes les premiers et les ultimes artisans. En tant que nation d’hommes libres, nous devons éternellement survivre, ou mourir en nous suicidant”. »