Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
587Ce qui paraît à la fois logique et inévitable depuis le début des sidérantes aventures de la NSA au Brésil, révélées par Greenwald & Cie, se concrétise. Les premiers jalons sont posés pour une éventuelle coopération entre le Brésil et la Russie pour un avion de combat, disons russo-brésilien, qui pourrait être considéré à partir de l’hypothèse d’un développement du modèle russe de cinquième génération (le Soukhoi T-50, programme russe avec déjà une coopération indienne), ou d’une extrapolation de ce programme. La chose (l’exploration d’une coopération) a été dévoilée après une rencontre entre le ministre russe de la défense et le ministre brésilien de la défense. Le ministre russe a fait une visite fructueuse en Amérique du Sud, continent d’ores et déjà antiaméricaniste où la Russie voudrait renforcer ses ventes stratégiques d’armement. De façon plus concrète pour un autre domaine, la rencontre au Brésil devrait déboucher sur la finalisation, début 2014, d’un contrat entre le Brésil et la Russie pour un ensemble de missiles sol-air pour une valeur annoncée de un $milliard, avec transfert de technologies.
Pour ce qui concerne l’avion de combat, une dépêche AFP du 16 octobre 2013 dit ceci, en y ajoutant un cas hors-domaine où un geste des Russes pourrait faire avancer le dossier : «Brazil said Wednesday it hopes to develop state-of-the-art combat aircraft with Russia, and purchase surface-to-air missile batteries from Moscow. [...] “We are very interested in discussing projects relating to fifth generation (combat) aircraft with new partners,” Defense Minister Celso Amorim told reporters after talks here with his Russian counterpart Sergei Shoigu. “The issue was mentioned as a basis for discussion, but it is for the medium term.” [...]
» [Shoigu] stop in Brazil also coincides with Rousseff pressing for the release of a Brazilian biologist detained in Russia along with 29 other Greenpeace activists after protesting Arctic oil drilling. Ana Paula Maciel was one of 30 activists from 18 countries arrested by Russia in late September and charged with piracy after authorities said they had found “narcotic substances” on the Dutch-flagged Arctic Sunrise, used in their protest.»
La même dépêche mentionne évidemment le contrat actuellement en cours, pour 36 avions de combat pour le Brésil, dits de “quatrième génération”. (Ce concept de “générations” est douteux dans sa signification opérationnelle. Son développement argumentaire constitue plus une manœuvre de relations publiques des USA d’il y a quelques années, pour verrouiller le JSF dans la présentation de son exceptionnalité supposée. L’exceptionnalité du JSF est d’ores et déjà admise, dans le domaine de la catastrophe technologique proche de l’impasse bien entendu, mais le mythe de la “génération” comme facteur rupturiel de progrès survit, de la quatrième des chasseurs actuels à la cinquième des chasseurs nouveaux “du futur”. L’argument de RP s’insère du fait de la catastrophe-JSF dans l’image d’un mythe de plus en plus érodé et de plus en plus contestable, cela dans un contexte de mise en cause générale de la fiabilité fondamentale de l’avancement technologique à ce stade, voire d'une impasse pure et simple du technologisme.)
Le contrat 36 avions/4ème génération a connu bien des vicissitudes. Le Rafale était en 2009 un énorme favori, quasiment choisi selon une cohérence française stratégique prometteuse où même la Russie était incluse (voir le 4 septembre 2009) ; il devint bientôt un favori perdu et sans doute sans plus aucune chance à cause de l’effondrement du sens stratégique indépendant de la France (voir le 24 mai 2011). Le F-18 lui a succédé comme favori, selon la logique habituelle des pressions US sur une nouvelle présidente (Rousseff), soucieuse d’améliorer ses relations avec les USA. Tout cela été pulvérisé par la crise Snowden/NSA, touchant d’abord directement le F-18 (voir le 13 août 2013), puis, d’une façon radicale, les relations du Brésil avec les USA (voir le 25 septembre 2013).
... Ainsi tiendra-t-on les assurances du ministre brésilien de la défense sur la poursuite de ce contrat plutôt comme un vœu pieux de l’establishments militaire brésilien que comme une prévision assurée. D’ailleurs, la partie américaniste, comme indiqué également ci-dessous, ne prend plus de gants pour signifier sa position désespérée.
«Amorim said he hoped the fourth-generation aircraft bidding process would be “finalized soon.” But Boeing's bid to win the contract appears to have been damaged by reports of extensive US spying on Brazil. The allegations, based on documents leaked by fugitive US intelligence analyst Edward Snowden, led President Dilma Rousseff to cancel a state visit to Washington, putting Boeing's bid on hold, Boeing Brazil chief Donna Hrinak said last week. “The postponement of the visit means that any progress about the issue (aircraft contract) was also postponed,” Hrinak, a former US ambassador to Brazil, said during a seminar on the Brazilian economy.»
En effet, la perspective de ce contrat 36 avions de combat/quatrième génération nous paraît extrêmement réduite. Elle est aujourd’hui réduite de facto au seul Gripen si l’on tient compte de l’effondrement successif probable des offres Rafale et F-18. Un tel achat d’un avion suédois tenu par des contraintes US draconiennes interdisant tout transfert de technologies sur près de 50% de l’avion (moteurs et électronique sont US) n’a plus guère de sens politique ni industriel dans le contexte actuel, alors que le Brésil est dans une position socio-économique tendue, avec une agitation de rue qui rend impopulaire toute dépense publique qui n’est pas vitale. Bien entendu, le climat politique général (la Suède est dans le bloc BAO et sous obédience US affirmée) est un facteur très important allant contre ce choix. Bref, c’est tout le marché des 36 avions de combat/quatrième génération, entièrement appuyé sur des offres du bloc BAO alors qu’il était au départ diversifié par la perception d’une stratégie française indépendante, qui est menacé d'effondrement par la politique du bloc BAO.
La démarche russe a ainsi tout son sens et sa logique, et la probabilité est que le contexte politique va pousser au développement de l’examen du projet envisagé, sinon à son accélération, le moyen terme pouvant notablement se raccourcir. Le vrai problème est d’ordre de la politique industrielle. Le programme russe de cinquième génération, le T-50, est largement orienté vers une coopération avec l’Inde, avec les transferts de technologie qui vont avec, et déjà largement avancé. Le Brésil pourrait-il s’y insérer ? Pourrait-on envisager une version spéciale de coopération pour le Brésil, ou une coopération à deux passant à trois ? La politique dit “oui”, d’autant qu’il s’agit de trois pays-BRICS et que la Russie veut donner une dimension stratégique au BRICS. Les domaines industriel et technologique, avec une bureaucratisation touchant parfois à la paralysie (surtout dans le cas de l’Inde) suggèrent bien plus de réserves alors qu’un tel domaine de la coopération à ce niveau nécessite une très grande souplesse. Plus encore, les problèmes fondamentaux de blocage technologique des projets avancés, illustré magnifiquement par le JSF, jettent une ombre universelle sur tous les projets de cet ordre. Quoi qu’il en soit, il reste que la question est non seulement posée mais ouverte.
Elle est aussi ouverte que la question précédente semble se fermer. La question qui concernait la pénétration stratégique du Brésil par un pays occidental au travers du contrat de quatrième génération actuellement en discussion, semble effectivement avoir obtenu une réponse catastrophique. L’orientation politique des pays concernés ayant évolué vers le standard bloc BAO, on a pu mesurer la profondeur de la catastrophe de la politique française avec Sarkozy à partir de 2009/2010, avec Hollande suivant fidèlement ces traces. Il n’y a guère de commentaire à faire devant l’évidence du constat, sinon à observer une fois de plus que l’“intelligence française” est capable d’accoucher en période de basses eaux son double inverti absolument radical, dans le chef de l’aveuglement et de la fermeture de l’esprit. Quant à la partie américaniste, l’aventure en cours de la désintégration de la NSA, avec ses effets collatéraux colossaux dont celui du Brésil est le fleuron, ne fait que confirmer dans le sens du bouquet de la chose la constance d’un aveuglement qui doit tout, lui, à la sottise profonde d’une politique US de brute force malgré les atours du soft power dont elle prétend se parer (voir le 9 octobre 2013).
Cette affaire des chasseurs brésiliens est exemplaire, quatrième et cinquième générations confondues, ou même sixième pour les experts rêveurs qui pensent, les braves gens pleins d’espoir, à la situation d’ici 10-15 ans... Elle est exemplaire de l’effondrement de la politique de la civilisation occidentale prise comme un bloc (bloc BAO), et dans un temps incroyablement court. Elle est exemplaire aussi de l’affirmation diversifiée et très puissante, et aussi rapide, des pays qu’on a peine à qualifier encore d’“émergents”, notamment les BRICS, et la Russie et la Brésil dans ce cas, dans ce cadre spécifique des renversements politiques. Elle est exemplaire enfin, – cela ne peut être dissimulé car c’est finalement le principal, – de la rapide détérioration de tous les attributs de la “contre-civilisation”, que ce soit les conditions stratégiques, le technologisme, les conditions courantes de la “gouvernance”, etc., et cela aux dépens des principaux producteurs de la chose (le bloc BAO) mais aussi des autres (y compris les BRICS), l’ensemble du monde étant simplement confronté à la réalité terrible d’un effondrement civilisationnel sans aucun précédent historique dans son ampleur et sa rapidité.
Mis en ligne le 18 octobre 2013 à 06H53