Retour à 2007, en infiniment pire

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Retour à 2007, en infiniment pire

9 mars 2010 — De quoi BHO n’est-il pas la marionnette ? De Wall Street, on l’a assez dit; des républicains, qui le font danser au rythme des soins de santé; du Pentagone, nous le savons mieux que quiconque; du lobby sioniste, cela va de soi; dernière nouvelle, de Netanyahou lui-même, directement et par-delà son lobby, très précisément pourrait-on croire… Mais la chose n’est pas si simple puisque le même Netanyahou semble désormais n’avoir d’ennemi plus déterminé qu’un homme d’importance au Pentagone, l’amiral Mullen. La chose se complique.

Un article de Ray McGovern, le 8 mars 2010, sur Antiwar.com, apparaît comme une pièce intéressante et d’une réelle importance à propos de l’évolution de la situation autour de l’Iran, principalement avec les relations entre Israël et les USA, avec essentiellement trois personnages: Obama, Netanyahou et l’amiral Mullen. L’article est à prendre au sérieux, par son contenu bien sûr, à cause de la personnalité de l’auteur également. McGovern a été pendant 27 ans dans la CIA et il fait partie d’une association d’anciens officiers du renseignement. Il s’agit du VIPS, ou Veteran Intelligence Professionals for Sanity, qui joue un rôle critique actif de la façon dont les services de renseignement sont utilisés, avec de nombreux contacts courants dans les milieux US de sécurité nationale. Il y a toutes les raisons de croire que cet article de McGovern, a plus ou moins, et sans doute certainement, l’imprimatur de Mullen.

• Il y a d’abord un passage sur une longue visite que Mullen a fait en Israël et certaines convictions et position qu’il en a rapportées.

«Upon arrival in Jerusalem on Feb. 14, Mullen wasted no time in making clear why he had come. He insisted publicly that an attack on Iran would be “a big, big, big problem for all of us, and I worry a great deal about the unintended consequences.” At a Pentagon press conference on Feb. 22 Mullen drove home the same point – with some of the same language. […] …he included this in his prepared remarks : “I worry a lot about the unintended consequences of any sort of military action. For now, the diplomatic and the economic levers of international power are and ought to be the levers first pulled. Indeed, I would hope they are always and consistently pulled. No strike, however effective, will be, in and of itself, decisive.”»

• Plus loin, McGovern compare la position de Mullen à celle de l’amiral Fallon, chef du Central Command, qui bloqua continuellement, de mars 2007 à mars 2008, jusqu’à sa démission, toute velléité de conflit avec l’Iran. McGovern estime que Mullen a repris le rôle de Fallon comme principal opposant à un conflit avec l’Iran, et contre la moindre implication des USA dans une attaque israélienne.

• Suit un passage particulièrement intéressant. McGovern met en évidence combien Mullen serait sensible à l’aspect légaliste, c’est-à-dire illégal en vérité, d’un conflit avec l’Iran, ce qui ne semble pas être la préoccupation de tous au sein de l’administration Obama (voir Hillary Clinton). On peut avancer qu’une telle démarche n’est pas gratuite chez McGovern, qu’elle représente une conviction de Mullen et constitue même un avertissement déguisé…

«Mullen, for his part, seems acutely aware that the Constitution he has sworn to defend makes no provision for the kind of war he might be sucked into in order to defend Israel. When he studied at the Naval Academy, his professors were still teaching that the Constitution’s Supremacy Clause (Article VI, Clause 2) establishes that treaties ratified by the Senate become the “supreme law of the land.”

»It would be, pure and simple, a flagrant violation of a supreme law of the land, the Senate-ratified United Nations Charter, for the United States to join in an unprovoked assault on Iran without the approval of the UN Security Council, which surely would not go along – just as it did not go along on attacking Iraq.

»Moreover, Adm. Mullen appears to be one of the few Americans aware that there is no mutual defense treaty between the United States and Israel and, thus, the U.S. has no legal obligation to jump to Israel’s defense if it ignites war with Iran. In other words, in a strictly juridical sense, Israel is not our “ally”…»

• McGovern fait l’hypothèse que Netanyahou a conclu de ses rencontres et autres manœuvres qu’Obama est “a wuss” (“un trouillard”), qu’on peut manœuvrer à sa guise… «It is altogether likely that Netanyahu has concluded that Barack Obama is – in the vernacular – a wuss. Why, for example, does the president keep sending an endless procession of the most senior U.S. officials to Tel Aviv to plead with their Israeli counterparts, Please, pretty please, don’t start a war with Iran? […] …But his impression of Obama’s backbone – or lack thereof – is key. The Israeli prime minister must be drawing some lessons from Obama’s aversion to leveraging the $3 billion a year the U.S. gives to Israel. Why doesn’t Obama simply pick up the phone and warn me himself?, Netanyahu might well be thinking…»

D’où l’idée de McGovern selon laquelle Netanyahou est prêt à monter l’une ou l’autre provocation dans le Golfe Persique, contre la flotte US, par exemple avec des vedettes maniés par des Israéliens ou commanditées par des Israéliens pour figurer des vedettes iraniennes, dont l’action agressive serait l’occasion d’entraîner une “riposte” israélienne où les USA seraient impliqués.

• McGovern affirme que Mullen a rapporté d’Israël un sens de l’urgence selon lequel Netanyahou, dont les tendances obsessionnelles sont désormais bien connues, est prêt à tenter le tout pour le tout. Et McGovern estime que, comme Fallon deux ans avant lui, Mullen est prêt à s’engager personnellement dans des contacts et des accords techniques avec les Iraniens pour éviter le type de provocation qui pourrait conduire à un conflit.

«If Mullen’s worries are to be taken as genuine (and I believe they are), it would behoove him to resurrect that idea and formally propose such dialogue to the Iranians. He is the U.S. government’s senior military officer and should not let himself be stymied by neoconservative partisans more interested in regime change in Tehran than in working out a modus vivendi and reduction of tension.»

…Et, après avoir énoncé les accords techniques qui pourraient être signés entre militaires US et militaires iraniens, McGovern conclut: «It might be difficult for American and Iranian leaders alike to oppose measures that make such good sense. Press reports show that top U.S. commanders in the Persian Gulf have favored such steps. And, as indicated above, Adm. Mullen has already appealed for military-to-military dialogue. In the present circumstances, it has become increasingly urgent to discuss seriously how our two countries might avoid a conflict started by accident, miscalculation, or provocation. Neither the U.S. nor Iran can afford to allow an avoidable incident at sea to spin out of control.»

@PAYANT Il y a eu de très nombreuses indications pour la période 2007-2008, selon lesquelles les militaires US, spécifiquement l’U.S. Navy et les amiraux Fallon et Mullen, ont joué un rôle central en empêchant toute occurrence sérieuse de conflit avec l’Iran. Mullen était déjà de la partie (à la présidence du JCS dès 2007) et soutenait Fallon, qui tenait le premier rôle.

Il a ensuite pris le relais de Fallon (après la démission de celui-ci) comme personnalité centrale de la contestation, mâchant rarement ses mots vis-à-vis des Israéliens, comme lorsqu’il rappelle l’affaire du Liberty détruit par les Israéliens en 1967, pour affirmer qu’une telle attaque qui représente un exemple exceptionnel de traîtrise ne se reproduirait pas. C’est indiquer clairement qu’il n’acceptera pas une “provocation” de la sorte qui est évoquée plus haut.

Plus encore, dans l’atmosphère de cet été 2008 où les bruits d’attaque de l’Iran se multipliaient, McGovern lui-même avait publié un article, relayé par d’autres indications, selon lesquelles un ordre d’attaque de l’Iran se heurterait à des refus de chefs militaires relevant d’une véritable insubordination, justifiée par le chaos régnant alors dans la direction civile. On observera que McGovern reprend aujourd’hui des arguments assez proches, toujours selon les mêmes sources. Ces arguments sont, d’un point de vue européen, assez extraordinaires, puisqu’ils renvoient à une position théorique selon laquelle une référence à des textes fondamentaux autoriserait éventuellement une insubordination contre l’autorité civile suprême. Mais la surprise est moindre lorsqu’on revient au cas américaniste, tel que la crise générale nous le révèle: un système contractuel et non régalien (on l’a vu pour un autre cas), qui n’accepte une autorité suprême centrale que si les termes du contrat commun sont respectés. Des officiers supérieurs peuvent alors envisager, en s’appuyant sur les lois, que l’autorité suprême ne respecte plus les termes du contrat et cette autorité n’est plus légitime. L’insubordination n’est plus une insubordination.

Nous accordons une grande confiance aux informations et au jugement de McGovern, notamment en raison de sa présence au sein de l’association VIPS, composée d’anciens officiers des services de renseignement regroupés pour suivre d’une manière très critique les manipulations politiques massives du renseignement depuis 9/11 et l’époque Bush, qui se poursuivent aujourd’hui, avec des incursions massives des services israéliens et leurs relais (Mossad, le lobby AIPAC et le reste). Ses informations expriment clairement des sentiments et des attitudes dans la haute hiérarchie militaire, ici du côté de l’amiral Mullen impliquant à la fois la hiérarchie du Joint Chiefs of Staff et celle de l’U.S. Navy, – aujourd’hui le groupe le plus puissant et le plus soudé au sein du Pentagone. On peut donc apprécier son analyse et ses informations comme se rapprochant le plus de la réalité, observant par là que nous retournons à une situation de fractionnement au sein des forces armées assez proches de celles de 2007-2008.

Simplement, au contraire de 2007-2008, nous tendrions à mettre Gates et la direction civile plus hors de ce jeu-là précisément (l’affaire iranienne et les relations avec Israël). Gates, – d’ailleurs de plus en plus proche d’un prochain départ, – s’est fortement cantonné dans les questions immédiates, comme celle de la crise catastrophique du Pentagone (JSF et le reste) et les conflits immédiatement en cours (Afghanistan). Observons également que la fraction militaire indirectement opposée à la Navy en 2007-2008 (Petraeus principalement) est, aujourd’hui, absorbée par l’affaire afghane, cette fois avec le couple Petraeus-McChrystal, et laisse plutôt la voie libre au groupe Mullen-U.S. Navy.

Le rythme d’une aggravation constante

Haussons notre réflexion d’un cran, pour constater que le catastrophique “Washington is broken” touche également l’intérieur des structures qu’on croirait monolithiques du centre de la sécurité nationale qu’est le Pentagone. Si les manœuvres de Netanyahou, ce politicien à la psychologie obsessionnelle proche de la pathologie, se précisent pour impliquer les USA dans une attaque contre l’Iran, les effets de cette attaque, peut-être avant même qu’elle ne se produise, pourraient se faire sentir au sein du pouvoir washingtonien, avec des crises internes pouvant déboucher sur l’équivalent pour ce gouvernement contractuel d’une crise de régime dans un Etat régalien. C’est pour cette occasion que l’Occident, dans son ensemble, se trouverait dans une bien étrange situation, avec ce pouvoir US en crise ouverte, avec un “pays réel” US (nous parlons de la population) dans un état d’excitation et de fureur qui le fait ressembler à un baril de poudre, mèche allumée.

La situation est extraordinaire dans le sens où l’on constate que l’administration Obama, conduite par un président dont on n’a cessé d’acclamer l’exceptionnel brio par comparaison à l’envergure de son prédécesseur, semble ne plus pouvoir cesser de produire de plus en plus d’effets qui aggravent la situation catastrophique laissée par l’administration Bush. Cette façon d’apprécier la situation conduit également, au-delà de la condamnation générale du système au milieu duquel trône le Pentagone, à introduire des nuances et à mesurer que certaines factions de ce système infernal peuvent jouer un rôle bénéfique. C’est le cas évident de l’U.S. Navy et de Mullen, pour des raisons déjà longuement exposées lors des crises rampantes de 2007-2008, avec Fallon et déjà Mullen.

Il ne s’agit pas de situations de “coup d’Etat”, ni d’“insubordination”, bien que nous ayons employé le mot. Il s’agit de situations d’atomisation du pouvoir, par délégitimation accélérée de ce pouvoir basé sur un accord contractuel dont les parties ne respectent plus rien, occupées en général à leurs seuls intérêts. Les interférences d’Israël, et plus spécialement du parti Likoud, sont scandaleusement illégales et singulièrement déstructurantes par rapport aux normes internationales et, par conséquent, au bout du compte, marquées par l’aveuglement et la sottise d’une pensée conduite par une véritable vénération pour la force. Les interférences du parti Likoud participent activement à la destruction du pouvoir washingtonien, alors que ce même parti Likoud a besoin de ce pouvoir pour continuer à exister selon la politique suivie actuellement. La contradiction caractérise systématiquement ces diverses situations.

Ajoutons ce codicille qui nous tient à cœur, on comprendra pourquoi… La stupidité des analyses et des jugements des pays européens à cet égard, concernant le pouvoir US avec les prolongements israëlien et iranien, – la France avec son flamboyant président en première ligne, on s’en doute, – constitue la seule concurrence acceptable de la politique israélienne en cours, en fait de stupidité évidemment. Tous ces gens sont en train de contribuer à la destruction de la référence sur laquelle ils appuient, tous, la légitimité d’une pensée anémiée et atrophiée, – cette référence, le pouvoir washingtonien en cours de pulvérisation.

Certes, “Wahington is broken”, mais il n’est pas le seul… Cela ne doit pas être nécessairement déploré.