Retour au pays

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Retour au pays

1er juillet 2023 (19H30) – Il y a une semaine, un président parlait avec pompe & sérieux de la situation en Russie. Il parlait de “fissures” qui apparaissaient dans le pays (la Russie), de sa “fragilité” (oui, il s’agit bien de la Russie). L’expression de “guerre civile”, avouons-le, lui brûlait les lèvres, et il paraissait évident que ces pauvres moujiks ne méritent que cela. Il disait gravement, comme un professeur agacé et dérangé par un chahut qui vient d’éclore dans la classe sans son autorisation, remarque à l’égard de l’élève turbulent et, – comment dit-on ? – oui, c’est cela, – “hyperactif”, et déclaré coupable avant tout acte d’enquête... Le prof parlait donc de la Russie, il y a une semaine, avec publication le 25 juin :

« Mais cela montre les divisions qui existent au sein du camp russe, la fragilité à la fois de ses armées et de ses forces auxiliaires comme le groupe Wagner. »

Et alors, qu’est-ce qu’on dit aujourd’hui ? « Tout le monde veut son ‘regime change’ sauf la Russie ! », ricane un lecteur de RT.com, en commentaire d’un texte sur le bordel français. Le chahut continue dans la classe, ma parole, mais dans un autre sens et le professeur s’est fait très discret, – sans doute une méthode plus moderne d’enseignement.

Enfin, soyons sérieux, à l’image de la situation ici ou là. Je dois faire un aveu à mes lecteurs : du jour où la guerre en Ukraine a commencé, j’ai quasiment rompu tout contact dynamique et direct avec les sources d’information françaises grand-public et borderline presseSystème, les réseaux télé, les journaux qui m’étaient encore supportables, les vidéos des grandes radios, etc.

Je compris aussitôt que je ne pouvais pas supporter le discours français sur l’Ukraine. Je ne voulais pas davantage me faire de mal, souffrir autant parce que Français moi-même, ressentir cette colère méprisante pour mon pays, mesurer sa stupidité à la hauteur de son intelligence, – plus un intellectuel très-intelligent se met à être stupide, plus il l’est, plus qu’aucun autre imbécile... Bien sûr, on me tenait informé, mais je veux exprimer ici une sensibilité symbolique extrêmement forte : que mon pays, celui de mon enfance, de ma nostalgie, etc., et malgré tous ses défauts, – qu’il tombât dans un tel trou à merde, un tel abysse fécal, trou noir et sans fond de ce qu’on nomme “pensée“ et “jugement”, cela dépassait mon entendement. Je le découvrais d’un autre univers, je me découvrais parfaitement étranger. C’est une expérience bien pénible.

Je reconnais aujourd’hui que ce que je découvrais d’insupportable était bien que ce pays, mon pays, ignorât complètement, par la façon dont il abordait la crise ‘Ukrisis’, – justement ainsi nommée du fait irrésistible de son immense mesure, presque cosmique, d’étape ultime de la GrandeCrise., – qu’il ignorât complètement l’immense enjeu auquel nous étions et sommes plus que jamais confrontés. Ainsi, je n’étais pas du même monde que mon pays, – rude découverte, d’ailleurs faite et refaite plusieurs fois, mais jusqu’alors toujours avec une réconciliation au terme, – alors que cette fois et comme chaque fois, la rupture semblait irrémédiable.

Justement, peut-être est-ce que je la tiens, cette réconciliation, dans les éclairs épouvantables du désordre furieux. C’est ce que j’ai commencé à penser depuis que la France, pour la nième fois depuis que je la fréquente, a explosé ; et chaque fois, explosion plus pressante ; et chaque fois, explosion qui devrait éveiller le monde ; et cette fois, explosion au cœur d’une explosion générale, c’est-à-dire que, pour cette fois, la France acceptant l’explosion générale du monde et de la GrandeCrise qu’elle avait tenté de nier en fabriquant son incroyable simulacre de l’Ukraine devenu sa seule préoccupation...

Je suis clair et direct aussitôt. Je ne vais pas vous pousser la chansonnette du “c’est à cause de ceci”, “c’est à cause de cela”, “ c’est lui qui est fautif”, “non c’est l’autre”, etc. Je ne m’intéresse pas aux circonstances, au terrible tonnerre des choses, à la néantisation de l’acte qui éclate sans accoucher de rien, aux rancœurs diverses et tant et tant de “Je vous l’avais bien dit”. Une seule chose m’importe : la puissance et la force de l’Évènement, qui s’inscrit alors dans un terrible ouragan métahistorique, dans un formidable ‘tourbillon crisique’ ; car c’est alors que je me dis que ce qui se passe en France est enfant indirect, disons de la main gauche, de notre ‘Ukrisis’, étape ultime de la GrandeCrise.

Qu’on me comprenne bien : je ne dis pas que la France a changé sa perception de la crise ukrainienne et de sa vraie dimension. Je dis qu’elle a marché sur une mine que la GrandeCrise a disposé partout autour du champ de bataille ukrainien, et qu’elle est maintenant plongé dans sa propre version de la crise générale. Par conséquent, il devient possible qu’elle s’éveille au monde et à la réalité de la GrandeCrise, qu’elle en mesure la force et la puissance, qu’elle comprenne que Mister Z. est un bouffon de circonstance et que sa trace ne nous mène certainement pas au cœur du grand Événement qui secoue le monde. Par conséquent, il devient possible que je sois à nouveau en pays de connaissance, que Macron retourne dans sa banque, et que le désordre nous emporte tous vers une terra incognita ou l’autre.