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753Nos deux textes dans notre rubrique “Faits & Commentaires” concernant l’Inde et, dans le prolongement, l’affrontement à l’entraînement d’unités de l’USAF et de l’IAF (Indian Air Force), ont attiré beaucoup de commentaires de nos lecteurs. Ces deux textes concernaient, l’un, le 9 août, un scénario d’affrontement entre l’Inde et les USA, l’autre, le 10 août, des précisions sur l’affrontement USAF-IAF.
Nous développons ici quelques remarques supplémentaires sur l’aspect plus précis de l’affrontement USAF-IAF, mais, aussi, plus largement, sur les perspectives de cette question générale dans le cadre des relations internationales.
Auparavant, nous publions ci-après deux commentaires de lecteurs, déjà présents dans notre Forum, et qu’il nous semblait intéressant de mettre à cette place, dans cette rubrique, pour mieux les mettre en évidence et les placer dans un contexte propre, qui est celui de nos remarques, — lesquelles suivront.
Commentaire de notre lecteur “SD”, figurant dans le “Forum”, en commentaire du texte F&C du 9 août
« Je dirais que ce ne serait pas la première fois que les pilotes de l'Air Force se font botter le derrière... La première, c'était vers la fin des années 80, avec des mirages F1CR français participants a Red Flag. Plus récemment, les Rafales de la marine ont surclassé les F-14 et F-18 en combat aérien. Enfin, un exercice mettant en oeuvre quatre F-15 contre un unique F-22, s'est achevé par la victoire complète du F-22, sans même que les pilotes de F-15 aient pu localiser l'origine de la menace...
» Que faut-il en retenir ?
» Un: F-15, F-14, F-18 première génération, F-16 première génération, sont des appareils dépassés face aux Mirage 2000-5, Rafale, Gripen, SU-30 M/K/I. Il y a un rattrapage US sur l'électronique (antenne à balayage, contre mesure) mais ce qui est mis en défaut ici se sont bien les qualités de vol (taux de virage, rayon de virage, incidence ...).
» Deux: en conséquence une victoire US ou une dérouillée dépend du scénario de l'exercice. En combat tournoyant, il est clair que les appareils US (sauf peut-être certains F-16 E/F et F-18 E/F) sont surclassés (manque de jus, qualité de vol inférieure). Dans un scénario d'engagement longue distance, les choses s'équilibrent. Je dis “s'équilibrent” car un appareil comme le SU-30 MKI indien possède des missiles d'origine russe (R-77) de qualité équivalente [à l’AMRAAM américain] (tout comme le MICA français). La différence se situera au niveau de la qualité du radar et sa sensibilité au brouillage. Dans le cas indien, il semble que le scénario engagé fut celui d'un combat tournoyant. Et en effet, F-15 versus SU-30 MKI, il n'y a pas photo; le Sukhoi vire bien plus serré, possède plus de puissance motrice, et l'agilité naturelle de l'avion est encore plus impressionnante grâce à ses tuyères orientables.
» Trois: en effet, les scénario d'entraînement type RED FLAG, MAPPLE FLAG ou COPER THUNDER ne correspondent pas à la réalité du combat aérien moderne, dans le sens combat aérien, c'est à dire avion contre avion. 90% des scénarii concernent l'attaque au sol dans la profondeur, où des assaillants doivent délivrer un armement de précision en essayant de passer au travers de la défense adverse. Il ne s'agit pas réellement d'affrontements de défense aérienne à défense aérienne en vue d'acquérir la supériorité.
» Quatre: les agresseurs sont en général équipés d'appareils qui ont une voire, deux générations de retard sur les matériels en ligne. Les spécialistes US semblent oublier, que des forces aériennes comme le Qatar, les Émirats, les Indiens, les égyptiens, les Russes, les Chinois sont relativement bien équipée de machines aux qualités équivalentes ou supérieure au F16 et F15. C'est une réalité quelque peu “oubliée” ou “ignorée”.
» Cinq: la supériorité aérienne est un art, qui ne s'apprend pas en standardisant un cursus de formation dans une école, aussi prestigieuse soit-elle. Le combat aérien est une confrontation d'expérience, or, a part deux ou trois MiGs isolés abattus durant les campagne du Kosovo ou la première guerre du Golfe, il me semble (avis personnel) que les pilotes US perdent cette expérience acquise durant les années Viet-nâm. Ce qui entraîne un manque d'initiative, des formations formatées et à la carte ... qui ne sont pas adaptées face à une force aérienne moderne.
» Six: les tactiques US de défense aérienne et d'engagement face à des agresseurs multiples n’ont jamais été mises à l'épreuve, si ce n'est au cours d'exercices bien délimités où chacun se doit, d'une certaine manière, d'accepter les règles strictes d'un jeu quelque peu faussé par rapport à la réalité. En général le scénario est un peu taillé sur mesure pour les machines US.
» Sept: les forces aériennes étrangères ont envoyé de nombreux pilotes dans les pays occidentaux. Cela fait partie des contrats de vente. Exemple: les Singapouriens s'entraînent souvent avec les Français, beaucoup de pilotes du Moyen Orient sont passé par les cursus de formation US; idem pour la force aérienne indienne. Ces pilotes ont été bien formés, et connaissent les tactiques US, l'état d'esprit US, et ont de bonnes infos sur la qualité de leur matériel. On oublie souvent de dire que c'est aussi la qualité des pilotes et des commandants d'unités de ces forces aériennes qui ont énormément progressé ces dernières années, pas uniquement les pilotes US qui se sont ramollis. Les USA retrouvent lors de ces exercices des unités moins complexées, des pilotes plus agressifs, plus audacieux, des tactiques mieux construites et surtout mieux exécutées (plus de discipline).
» Que faut-il en retenir ? L'USAF s'est fait l'apôtre depuis les années 80 de la doctrine de l’“Air Dominance”. Il est clair aujourd'hui que cette doctrine a du plomb dans l'aile: les matériels ont pris un énorme coup de vieux face aux nouveaux modèles de Sukhoï, face au Rafale... Les pilotes US s'embourbent dans des formations un peu stéréotypées aux engagements beaucoup trop formatés et, surtout, les gouffres financiers du F-22 et F-35 oblitèrent complètement le débat en le déplaçant sous le seul regard de la technologie. Ces deux appareils ne correspondant pas aux futures menaces, et leur coût prohibitif font qu'ils ne seront déployés qu'en petite quantité, et donc si chers qu'on ne va les engager que dans des scénarios où ils pourront a coup sur emporter la victoire. Je terminerai par l'état d'esprit de l'USAF.
» Souvenez-vous, au Kosovo, un F117A avait été descendu par la défense sol-air serbes. L'analyse de cette perte, à montré que les Serbes avaient mis au point une véritable tactique anti-furtif. Certes, elle était rudimentaire, très empirique, et un peu aveugle. Mais ce qui a permis d'abattre cet avion, c'était que les responsables US faisaient passer leur F117A toujours aux mêmes endroits, toujours par les mêmes couloirs de pénétration sans même s'imaginer que la défense adverse aurait la possibilité d'exploiter cette faiblesse dans les conditions d'emploi du F117. Alors, s'agissait-il d'arrogance ? Je ne pense pas, mais il s'agissait surtout de routine, on les fait passer par ces couloirs car on a toujours fait comme ça... Point. C'est bien un manque de formation et de souplesse qui est à l'origine de cette perte. »
Commentaire de notre lecteur “Kovy”, figurant dans le “Forum”, en commentaire du texte F&C du 9 août
«Relativisons…
» Il faut relativiser, les pilotes américains ont en effet l'habitude de se faire “ratatiner” durant les exercices...ce n'est pas vraiment nouveau.
» En Inde, on parle de combat tournoyant. Or les pilotes de Su-30 sont équipés de viseurs de casque (même s'ils sont rudimentaires) et de missiles R-73 qui sont assez nettement supérieurs à l'aim-9L en terme de manoeuvrabilité (pour la fiabilité c'est sans doute autre chose mais comme ce sont des combats simulés cela ne rentre pas en ligne de compte).
» Cela donne un avantage décisif aux indiens pour le combat tournoyant... avantage qui serait sans doute largement comblé si les pilotes de F-15 avaient été équipés de viseurs HMS et d'AIM-9X.
» La même chose est arrivé récemment aux Français : les combats tournoyants entre Mirage 2000 français et F-16 Belges sont fréquents et assez équilibrés.
» Il y a peu, les Belges ont testé le missile AIM-9X couplé à un viseur de casque américain... Résultat, les Mirages se font tailler en pièces…
» Tout cela pour dire qu'en combat tournoyant, le moindre avantage est déterminant mais ne vient pas forcément de l'avion lui-même.
» Pour en revenir à l'USAF, il ne faut pas oublier que la guerre aérienne moderne est surtout une question de AEW (détection longue portée) de BVR (combat hors de la portée visuelle) et de brouillage (guerre électronique)... Trois domaines dominés par les Américains (et les Européens). Pour l'heure, les Indiens (comme la plupart des forces aériennes du monde) ne fabriquent à grande échelle ni leurs missiles BVR, ni leurs contre-mesures, ni leurs radars... Ils sont donc extrêmement vulnérables lors d'engagement BVR. »
Ces divers commentaires de lecteurs, et particulièrement les deux cités, nous ont beaucoup intéressés, en même temps qu’ils nous satisfaisaient puisque portant témoignage de l’intérêt de nos lecteurs pour les textes que nous publions. Ils nous permettent également de revenir sur le sujet abordé, de le préciser encore, de préciser surtout son cadre, son contexte, la signification que nous entendions lui donner.
Les indications techniques sont réellement d’un grand intérêt mais, pour notre appréciation, elles s’effacent un peu devant la question plus générale de l’intérêt et de l’importance disons politique, sinon générale, de ces capacités (combat aérien tournoyant, capacités électroniques pour ces combats, etc) dans le monde contemporain. C’est dans cette optique que nous allons présenter des remarques qui nous paraissent d’un certain intérêt.
• Il est vrai que les Indiens ne sont pas les premiers à battre les Américains sur leur terrain de l’entraînement au combat aérien dont les seconds sont particulièrement fiers depuis l’intermède vietnamien (entre la catastrophique campagne de 1965-68 et le redressement de la campagne de 1972, avec l’apparition du complexe méthodologique d’adaptation au combat aérien Top Guns/DACT). Il est vrai également que les Américains sont dans un processus de décadence évident depuis leur redressement de 1968-72. Il est vrai enfin que la “victoire” indienne peut être discutée selon les paramètres, les circonstances, etc. Il n’empêche, et c’est ainsi : le retentissement public, médiatique, la publicité faite à l’information, son relais dans tous les sens, sont, eux, des phénomènes spécifiques à cette affaire. Aucune autre occasion de “USAF’s tatouille” n’a fait l’objet d’une telle publicité, d’une telle diffusion spectaculaire. Cela, c’est un phénomène intéressant.
• Est-ce parce qu’il s’agit des Indiens, pays qu’on est peu habitué (souvent à tort) à voir parmi les “grands”, notamment sur le plan des techniques modernes, parmi les puissances militaires ? Il y a de cela, sans doute, et les nombreuses “victoires” françaises sur les Américains, par exemple, sont beaucoup plus banalisées à cause de la répétition et des capacités connues des Français. Mais cette explication ne nous paraît pas suffisante. Complétons-la par d’autres hypothèses.
• Aujourd’hui, disons depuis un peu plus d’une année, la perception de la puissance américaine est celle d’une puissance sur le déclin, d’une puissance qui se trouve embourbée dans des guerres qu’elle ne sait pas conduire, dont la somme stratégique pourrait être un revers significatif en termes d’image, de réputation, par conséquent d’influence. Dans ce contexte, la nouvelle du comportement des Indiens trouve un aliment naturel de diffusion, d’autant plus que l’Inde n’est pas habituellement considérée comme une concurrente possible des USA, certainement pas à leur hauteur.
• La situation intérieure US joue sans aucun doute son rôle. Les Américains (l’USAF) ont laissé filtrer la nouvelle pour montrer au Congrès que le besoin du F/A-22 n’est pas une cause sans raisons valables. Le message est que les Américains n’ont plus la supériorité aérienne, même face aux Indiens. Vrai ou faux, le message sera entendu.
• Le paradoxe de cette situation se trouve surtout dans les effets pervers (du point de vue américain, s’entend). Le F-15 est aujourd’hui proposé systématiquement comme bouche-trou à l’exportation, en attendant le mirifique JSF qui ne cesse de traîner la patte. Il a été proposé aux Sud-Coréens, et accepté, grâce aux conditions scandaleuses du marché. Aujourd’hui, le F-15 est notamment dans la compétition singapourienne, face au Rafale et au Typhoon, tous deux européens. Inutile de dire que son comportement face aux Indiens est une formidable contre-publicité, largement diffusée.
Notre conclusion découle de la forme de nos divers commentaires. Ce type d’événements comme ce combat aérien simulé entre Indiens et Américains demande aujourd’hui, expressément, une interprétation. Il s’agit de comprendre, plus que sa signification technique (avec les limites que cela suppose), ses effets dans tous les sens, ses “effets d’image”, ses “effets d’influence”.
Soyons clairs : il nous apparaît douteux que l’on s’engage, malgré les scénarios divers qui occupent les stratèges professionnels, vers des situations où de grands affrontements aériens, du type expérimenté par les Indiens et les Américains, auraient lieu. Nous ne disons pas que c’est impossible, nous disons que c’est de plus en plus improbable alors que cette perspective était, il y a encore un quart de siècle, la seule envisagée de façon sérieuse et précise pour tout conflit digne de ce nom.
Après la disparition de l’URSS et la subsistance de plus en plus affirmée de la crainte des grands affrontements, après l’installation de nécessaires interdépendances qui, dans les domaines de la subsistance économique, rendent absurdes des conflits de haute destruction comme ceux du XXe siècle, la “révolution de l’information” a pris toute sa place. Cette “révolution de l’information” devrait en fait se définir comme la “révolution des communications + la révolution du maniement de l’information” (c’est-à-dire, pour la “révolution du maniement de l’information”, manipulation, désinformation, surinformation, conformisme, mais aussi commentaire indépendant, accès aux réseaux de voix étouffées jusqu’ici, etc).
Par conséquent, l’affaire Inde-USA n’a de véritable importance que par son écho, son effet, son interprétation, son appréciation, tout ce qui est récupération subjective et/ou tactique de l’information. Mais alors, de ce point de vue, quelle puissance et quelle importance a cette information ! Et sa diffusion, selon les remarques qu’on a faites, représente évidemment une chose d’une très grande importance.