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4575• Une improvisation sur une situation hypothétique bien connue, autour de l’éventuel déploiement de quelques F-16 au profit des Ukrainiens. • Cela est considéré au moment où le constat sur la puissance militaire de la Russie et la résolution russe de mettre fin aux prétentions occidentales est de plus en plus documenté. • On retrouve notamment des appréciations de Larry Johnson à la suite d’un voyage en Russie. • Les changements métahistoriques clairement identifiés en théorie produisent des effets considérables dans la réalité des situations stratégiques.
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On observe un point précis du comportement des Russes dans la situation ukrainienne générale, qui est leur insistance à rappeler solennellement quel serait leur comportement en cas d’emploi de F-16, venant de forces aériennes de pays de l’OTAN et donnés à l’Ukraine pour un emploi de guerre. Ils l’ont encore fait récemment dans une enceinte officielle surveillant structurellement la situation de la sécurité européenne, l’OSCE (Organisation de la Sécurité et de la Coopération en Europe). La réunion était un Forum de l’OSCE organisé ce dernier week-end.
« La Russie envisagera la possibilité de considérer comme objectifs militaires hostiles des bases aériennes en Pologne, en Roumanie et en Slovaquie qui permettraient l’utilisation de chasseurs F-16 des forces armées ukrainiennes, dans le cadre d’une participation à part entière au conflit armé en Ukraine. C’est ce qu’a déclaré Konstantin Gavrilov, chef de la délégation russe au forum de l’OSCE sur la coopération dans le domaine de la sécurité militaire, tenu à Vienne.
» Gavrilov a souligné que la partie russe prévient fermement que l’utilisation de matériels américains transférés aux militants du régime de Kiev depuis le territoire de ces pays membres de l’alliance sera considérée par Moscou comme leur pleine participation au conflit et obligera la Russie à prendre des mesures de rétorsion appropriées.
» Le diplomate russe a noté [pour expliquer son intervention] qu’en raison de la destruction importante d’aérodromes sur le territoire ukrainien, des opinions ont commencé à apparaître selon lesquelles les forces armées ukrainiennes envisageaient d’utiliser des bases aériennes dans les pays voisins de l’OTAN – Pologne, Roumanie et Slovaquie.
Les Russes s’estiment fondés à considérer qu’une telle situation du déploiement de F-16 ridiculiserait la thème habituel de la narrative américaniste-occidentaliste selon lequel l’OTAN est une organisation offensive puisque du matériel de haut niveau même si un peu usé serait utilisé pour des missions à caractère offensif. Ce matériel viendrait de pays de l’OTAN, à partir d’une décision prise au sein de l’OTAN (lors d’une réunion des ministres de la défense dà Ramstein). Ce sont le Danemark et les Pays-Bas qui se sont engagés à livrer des F-16 à l’Ukraine l’année prochaine.
L’insistance des Russes à répéter cet avertissement de matière solennelle indique leur détermination à cet égard, d’autant qu’effectivement l’emploi de F-16 nécessiterait très probablement des points de déploiement et d’entretien hors d’Ukraine. Les Russes eux-mêmes y veilleraient, en attaquant les bases ukrainiennes encore susceptibles d’accueillir des F-16, tout en sachant fort bien qu’aucune ne disposerait ni de la logistique ni du personnel nécessaire pour les F-16.
La question qui nous intéresse est de savoir jusqu’à quel point de leur jugement les Russes veulent éviter une telle situation conflictuelle avec des pays de l’OTAN (au moins les deux pays ayant livré les F-16 et les trois ou quatre pays-hôtes temporaires) ; et à partir de quel point de leur jugement se satisferaient-ils après tout de disposer d’un casus belli, même pour un affrontement temporaire.
A partir de ces hypothèses, on en vient à l’évaluation de la situation à venir en Ukraine, et surtout de la situation de la puissance russe et de son utilisation, de la stratégie générale de la Russie, de ses conceptions civilisationnelles essentiellement vis-à-vis de l’“Occident-collectif” par rapport aux intentions de ce bloc (dit-bloc-BAO) vis-à-vis mais à l’encontre de la Russie. Bien entendu, ces remarques ne sont pas gratuites ni d’aimable fioriture. Il s’agit d’introduire quelques observations appuyées sur des évaluations sérieuses, – et bien lire, s’il vous plaît, de “gens sérieux”, – sans lien paralysant avec la pensée obligatoire du Système et hors des atteintes de la pandémie antirusse pour laquelle Pfizer ne nous a pas encore proposé de vaccin.
A cet égard, nous conseillons l’entretien Mercouris-Christoforou avec Larry S. Johnson du 14 décembre sur le canal ‘TheDuran.com’. Johnson a fait partie d’un groupe de commentateurs ‘dissidents’, divers et bien connus de nos pérégrinations, – Alastair Crooke, Pépé Escobar, etc., – invités pour quelques jours en Russie. Le témoignage de Johnson, finalement plus important et révélateur que les articles qu’il a publiés à la suite du voyage, peut-être à cause du phénomène de “libération de la parole” de cette forme d’entretien, est d’un particulier intérêt du fait de son expérience (analyste à la CIA, contre-terrorisme, parcours académique de sécurité nationale) et des relations qu’il a établies durant cette carrière. Sa visite intéressa certainement les Russes d’un point de vue professionnel, sur les domaines spécifiques du militaire, du renseignement, etc., et cela sur fond de la situation des relations entre les USA et la Russie, – celles-ci, dont Alastair Crooke dit après ce voyage :
« Les relations entre les États-Unis et la Russie sont au plus bas ; la situation est même pire que ce que l'on pouvait imaginer. En discutant avec de hauts responsables russes, il est évident que les États-Unis traitent les premiers comme des ennemis déclarés. Pour se faire une idée, il suffit qu'un haut fonctionnaire russe demande : “Qu'attendez-vous de moi ?” La réponse pourrait être : “Je souhaite que vous mouriez !”.
» La tension inhérente et l'absence d'échanges véritables sont pires qu'à l'époque de la guerre froide, lorsque les canaux de communication restaient ouverts. Cette lacune est aggravée par l'absence de sens politique des dirigeants politiques européens, avec lesquels il n'a pas été possible d'avoir une discussion de fond. »
Cela constitue une bonne toile de fond où inscrire les observations de Johnson sur la puissance militaire russe telle qu’elle est en train de se constituer. Son sentiment général peut être restitué par ce passage de la conversation où la situation des évaluaztions occidentales est également évoquée :
« L’un des aspects les plus fascinants des estimations des services de renseignement US rendus publics lundi ou mardi, c’est qu’il n’y a aucune précision ni allusion à l’actuel renforcement massif des forces militaires russes. On n’y trouve aucune allusion au fait qu’ils recrutent chaque mois, selon les estimations officielles russes, autour de 41 000 nouveaux volontaires. Ils sont en train de mettre en place une armée russe qui devrait très rapidement atteindre 1,3 million d’hommes [dans les unités terrestres de combat], pour un effectif total des forces armées en cours de constitution d’autour de 2,2 millions... »
Il y a aussi des précisions concernant l’aspect qualitatif de cette augmentation massive des effectifs qui participe évidemment avec force au classement désormais accepté de la Russie comme première puissance militaire du monde :
« Et les Russes font cela avec des capacités actives considérables d’entraînement des nouvelles recrus, avec beaucoup de temps et d’organisation pour le faire, et une spécialisation immédiate très poussée d’emploi des moyens les plus sophistiqués, si bien que leurs recrus deviennent immédiatement opérationnelles, capables d’utiliser en combat des systèmes comme les drones et toutes les nouvelles technologies... »
A Moscou, Johnson a retrouvé un vieil ami, Dimitri Konstantinovitch Simes. Il rappelle la carrière de Simes, d’abord militant des droits de l’homme mais aussi expert en matière de politique étrangère, émigrant aux USA en 1973 à cause des conditions politiques oppressives de l’URSS. Il fit une carrière intéressante aux USA (dont il devint citoyen), toujours plus ou moins proches des milieux de sécurité nationale et du renseignement, jusqu’à devenir directeur du think tank ‘Nixon Center’. Finalement, il quitta les USA après avoir été pris dans un lynch de diffamation médiatique, dans le flux des écumes infâmes du ‘Russiagate’ pour se retrouver à Moscou, dans son pays d’origine, dans les milieux du renseignement et de la communication. Ce type de parcours est aujourd’hui souvent rencontré. Le ‘Wiki’, dans son numéro courant d’infamie, résume ainsi cette dernière période, dans un style de grand renom :
« En juin 2023, M. Simes a accueilli le Forum économique annuel de Saint-Pétersbourg en Russie et a été décrit par The Telegraph comme “‘un citoyen américain d'origine russe qui est devenu un meneur de claque pour le Kremlin après avoir conseillé Richard Nixon sur les affaires étrangères”. Le Kremlin espérait trouver un hôte de renom, tel qu'un présentateur d'une grande chaîne de télévision, mais en raison de l'invasion russe en cours de l'Ukraine, aucun hôte de renom n'a accepté de venir, et c'est donc M. Simes qui a été invité à la place. »
Johnson, lui, la fait plus courte :
« En 1973, il avait quitté la Russie pour les USA pour y trouver la liberté ; cinquante ans plus tard il a quitté les USA pour la Russie, pour y trouver la liberté... C’est ironique. »
... Et il cite Simes pour résumer le sentiment général à Moscou aujourd’hui, concernant les relations avec les pays du bloc américaniste-occidentaliste, – dont il tire sa propre conclusion :
« “Il n’existe plus d’espace pour négocier entre les deux, dit Simes. Ce constat-là ne se discute plus en Russie : l’Ouest veut nous détruire, il y aura donc une bataille, et nous battrons l’Ouest pour faire cesser cette menace. Tout le monde pense ça à Moscou”. [...]
» Personne ne réalise à Washington qu’il est bien possible qu’il y ait un affrontement avec les Russes et que les USA le perdront. La réflexion s’arrête à “Nous, les USA, nous sommes la plus grande puissance militaire du monde”. »
C’est évidemment à ce point-là que nous voulions revenir, et en même temps revenir au propos concernant les F-16 qu’on trouve au début de ce texte. Il s’agit alors de faire la synthèse d’un événement opérationnel qui se fait au côté d’autres de la même sorte, et du sentiment général qu’on a relevé à Moscou.
La situation générale n’est pas si claire qu’elle peut paraître, même alors que les derniers réfractaires semblent accepter que l’Ukraine a perdu la partie. Cette possibilité de certitude n’empêche en rien les larbins engagés dans cette course à la folie de continuer leur service, comme ceux-là qui rangeaient les transats sur le pont du ‘Titanic’ en train de sombrer au soleil de l’iceberg. Il est vrai qu’ils sont comme des fous du roi, rois eux-mêmes et pour on ne sait quel roi, ceux qui continuent à briquer quelques F-16 des années quatre-vingts pour les envoyer sur les bases polonaises et roumaines, où les attendent les fidèles pilotes ukrainiens prêts à partir en mission pour achever les Russes.
Que se passe-t-il ? Seule la folie du vertige de la bassesse d’une basse-cour peut expliquer cet entêtement à tout faire avec de si faibles moyens pour entretenir un conflit qui n’en finit pas de mourir, pendant que Poutine détaille ce que veulent les Russes aujourd’hui, qui est bien plus qu’hier (le 22 février 2022) et bien moins que demain. Cette amplification des exigences et des ambitions rencontre l’évolution de l’esprit qu’on a décrite, où certains jugeraient qu’un affrontement sur les marges de l’OTAN ne serait pas une mauvaise chose.
Nos commentateurs ne cessent de le répéter : cette insistance à entretenir une guerre que tout le monde est bien forcé de juger perdue, avec en plus l’arrogance du suprémacisme des domestiques européens toujours aussi vibrante, ne peut qu’exacerber l’évolution du durcissement russe tel que le décrit Simes. C’est dire que si, un jour, s’il faut faire un carton de l’un ou l’autre F-16 plus ou moins batave-Otanien, ils iront jusqu’en Pologne et jusqu’en Roumanie pour le faire avec un certain entrain. Peut-être se rappelleront-ils, les Russes, qu’il existe également des bases de missiles défensifs à miraculeuse capacité offensive, dans ces deux pays et pour le compte du roi dont ils sont les fous.
Les amis des Américains au sein de l’OTAN, les Européens, se tourneront vers leur patron en déclamant sur l’air des lampions “Article 5, Article 5 !”. Ce sera alors, peut-être, le moment rêvé de pouvoir enfin méditer, exactement comme on savoure un mot d’amour, la maxime du fameux philosophe Henry Kissinger que nous vous donnons, pour l’occasion, en langue originale et en maladroite adaptation, – ayant hésité entre “fatal” et “mortel”, pour choisir le premier qui a quelque chose de décisif avant même cette mort dont on est ainsi assuré comme d’un prolongement inéluctable...
« To be American enemy is dangerous ; but to be American friend is fatal... »
« Il est dangereux d’être un ennemi de l’Amérique; mais il est fatal d’être un ami de l’Amérique... »
Mis en ligne le 16 décembre 2023 à 19H40