“Révolution” ou “Guerre Civile” ?

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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“Révolution” ou “Guerre Civile” ?

10 août 2019 – On a vu hier notre analyse selon laquelle la question de la possession d’armes à feu (armes en vente libre) aux USA est passée du domaine “moral” et “progressiste-sociétal” au domaine clairement politique, lié à l’actuelle tension entre la droite et la gauche, les progressistes-sociétaux et les conservateurs, etc., notamment dans la perspective de la possibilité d’une “guerre civile”. La chose est résumée par cette phrase « Ainsi et comme on l’a vu, la question de la vente libre ou non des armes à feu devient-elle une question d’armements de ceux qui vont affronter la guerre civile, ou bien la déclencher, ou bien se défendre contre elle, etc. », avec l’apport du commentaire d’un lecteur sur le Forum du texte.

Là-dessus, je m’arrête à un texte très court publié par un collaborateur du colonel Lang, Robert Willmann, sur Sic Semper Tyrannis le 8 août. Willmann signale un texte extrêmement érudit, de la revue juridique de la Law School de Charleston (édition de l’hiver 2012), sur les événements qui conduisirent directement, à partir d’une situation politique de grande tension où l’on trouve les causes fondamentales du conflit, à ce que nous appelons la “Guerre d’Indépendance” des USA. 

(Ce que nous avons coutume de nommer la “Guerre d’Indépendance” des États-Unis, les Américains la nomment la “Révolution Américaine”, de la même façon qu’ils nomment “Guerre Civile” ce que nous appelons “Guerre de Sécession”. Ces différences d’identification ont une très grande signification, selon ce que j’en discerne. En gros nous ne voyons pas l’histoire des États-Unis comme les Américains la voient ; nous la voyons comme une partie de l’histoire universelle, c’est-à-dire en fonction des éléments extérieurs [acquérir l’indépendance contre la force “colonialiste” britannique, faire sécession de l’entité-USA pour constituer un autre pays] ; les Américains, de quelque tendance qu’ils soient [fédéralistes ou confédéralistes, statistes ou démocrates localistes]  voient leur histoire comme quelque chose de complètement autonome, détaché du reste du monde, comme existant d’elle-même, ou pré-existante à elle-même donc non-histoire... Explication évidente, géographique et a-historique, de l’exceptionnalisme des USA : les USA ne font pas partie de l’histoire du monde, ils sont destinés [“Destinée Manifeste”] par le Geste Divin à imposer leur propre non-histoire au monde. C’est ce qu’a d’américaniste la logique de la fameuse anecdote sur le “virtualisme”, Karl Rove parlant à Ron Suskind à l’été 2002 : « Nous sommes un empire maintenant et quand nous agissons nous créons notre propre réalité. Et alors que vous étudierez cette réalité, – judicieusement, si vous voulez, – nous agirons de nouveau, créant d’autres nouvelles réalités, que vous pourrez à nouveau étudier, et c’est ainsi que continueront les choses. Nous sommes [les créateurs] de l’histoire... Et vous, vous tous, il ne vous restera qu’à étudier ce que nous avons [créé] ».)

Donc, le texte de Robert Willmann... On remarque le bref mais définitif jugement que l’auteur porte sur la Constitution rédigée en 1787-1788 : tout ce qui a précédé 1787-1788 a constitué la Révolution Américaine des confédéralistes [ou “confédérés”, prémonition des Sudistes ?], ou démocrates localistes à l’image des conceptions de Jefferson, absent lors des débats sur la Constitution puisqu’ambassadeur des USA à Paris de 1785 à 1790. La Constitution de 1787-1788, qui organise une fédération avec un centre fort, est considérée par les mêmes confédéralistes/localistes, qu’on retrouve notamment chez les libertariens aujourd’hui, comme une “Contre-Révolution”, une trahison de la Révolution Américaine...

(Même chose bien sûr entre ceux qui jugent que la “Guerre de Sécession” répondait d’abord aux droits des États de l’Union, notamment celui de faire sécession, et ceux qui parlent d’une “Guerre Civile”, avec des méchants rebelles, et un gentil Lincoln, – sans doute le seul vrai dictateur qu’aient connu les USA, – découvrant brusquement, à la fin de 1862, que cette guerre qui ne mobilisait guère le public nordiste avait en réalité pour but suprême et humanitaire l’émancipation des esclaves, cause vertueuse qui allait, elle, réveiller les cœurs sensibles mais profondément endormis des salons de Washington D.C... Tout cela permettrait d’intégrer complètement le Sud, jusqu’alors libre-échangiste, dans l’ensemble capitalistique et protectionniste du Nord, – cause vertueuse, là aussi.)

 Texte sous le titre « 49 pages qui valent la peine d'être lues : Comment les efforts britanniques de contrôle des armes à feu ont déclenché la révolution américaine » : « La tentative britannique de saisir les armes à feu et les munitions de ces gens à l’esprit indépendant et affirmé a donné le coup d’envoi de la Révolution en 1775-1776 dans une petite partie de l'Amérique du Nord, cela aboutissant à l'indépendance proclamée par la Déclaration d’Indépendance, aux Articles de la Confédération, et enfin, – mais ce dernier acte qui pourrait être considéré comme une contre-révolution, – à la Constitution américaine.  Voici un article de 49 pages publié dans la revue juridique de la Charleston Law School en Caroline du Sud [Volume 6, n°2, hiver 2012] qui décrit comment la tentative de la Grande-Bretagne de contrôler et de confisquer les armes à feu et les munitions des colons, y compris par l’usage de la force contre le peuple, a constitué l’acte essentiel qui déclencha la Révolution américaine. »

Ci-dessous, un extrait de l’introduction d’une série de textes, chapitres, parties, etc. constituant l’article lui-même, extrêmement savant et documenté. On a une idée de la tendance défendue, qui est favorable à la possession d’armes comme principe de l’esprit confédéraliste /localiste, à un refus d’un centre fort et intrusif, etc.

« Cet article passe en revue chronologiquement la volonté de contrôle britannique des armes à feu qui a précipité la Révolution américaine : l'interdiction d’importer des armes à feu et de la poudre à canon en 1774 ; la confiscation chez les particuliers et dans les administrations locales des armes à feu et de la poudre à canon en 1774-1775 ; le recours à la violence pour effectuer ces confiscations. Ce sont ces événements qui ont transformé une situation de tension politique croissante en une guerre meurtrière.
» Chacun de ces abus britanniques donne un aperçu de la portée du Deuxième Amendement tel qu’il existe aujourd’hui. Bien que ces abus ne se répètent pas nécessairement sous leur forme originelle, ils sont des exemples d’une sorte générale d’abus, – tout comme les procès criminels des Américains devant les “Vice-Admiralty Court” britanniques établies en Amérique étaient un moyen de refuser le droit à un procès par jury.
» D’après les événements de 1774-1775, nous pouvons discerner que les restrictions ou interdictions à l’importation d’armes à feu ou de munitions sont constitutionnellement suspectes, du moins si leur but est de désarmer le public, et non dans le but normal de contrôler les importations (par exemple, augmenter les recettes fiscales ou protéger le secteur national). Nous pouvons discerner que des tentatives de désarmer les habitants d’une ville, ou de les priver de défense sont des anathèmes pour le Second Amendement ; un tel désarmement est ce que les Britanniques ont essayé d’imposer, et ce qui a conduit les Américains à partir en guerre pour qu’un tel acte ne puisse plus se reproduire. De même, des lois sur les permis de port d’armes à feu qui ont pour but ou pour effet de ne permettre qu’à une minorité de la population de conserver et de porter des armes seraient inconstitutionnelles. Enfin, nous constatons que la violence gouvernementale, – qui devrait toujours être soigneusement limitée et contrôlée, – devrait être particulièrement découragée lorsqu'elle est utilisée pour enlever des armes à feu à des citoyens pacifiques. L’utilisation de l’armée pour l’application de la loi est particulièrement odieuse au regard des principes sur lesquels la Révolution américaine était fondée. »

Pour documenter plus encore le débat et montrer combien ce Deuxième Amendement peut, selon le point de vue, être moins explicable par des mœurs d’époque, une tendance psychologique, etc., que par un type d’organisation politique fondamental (le type confédéral), et donc que dans ce cas ses adversaires peuvent être perçus comme des adversaires politiques fondamentaux plutôt que comme des humanistes-moralistes pleins de vertu évidemment moderniste, je trouve intéressant d’ajouter un échange entre deux lecteurs du texte de Willman et de l’article qu’il référence. La chose résume bien un problème qui a moins comme référence les mœurs du Far-West avant l’heure que l’organisation de l’armée confédérale suisse, qui est effectivement une “armée de milices”, où chaque citoyen étant en âge de servir garde chez lui son arme de service pour ses périodes d’entraînement, de rappel ou pour une mobilisation de guerre. (A noter que le second intervenant, Walrus, est un collaborateur régulier sous pseudo du site SST.)

• LA Sox Fana écrit... Le 08 août 2019 à 14H09

« Après avoir lu l'article, il me semble qu’il appuie l’idée que le Deuxième Amendement a été mis en place pour protéger le droit des gouvernements locaux d'avoir une milice armée et bien réglementée sous contrôle démocratique. Les hommes de Lexington et de Concord avaient pratiqué des exercices militaires en tant que miliciens locaux. Ils étaient sous commandement militaire local. La poudre était stockée dans un endroit central.
» Les Britanniques considérèrent à juste titre ces milices locales organisées comme une menace. C’est pourquoi ils essayèrent de les désarmer en leur enlevant leur poudre. Bien que bon nombre de ces miliciens possédassent leurs propres armes à feu, cela ne veut pas dire qu'ils ne faisaient pas partie de la milice locale.
» En conclusion, il n'y a rien dans ce contexte historique qui devrait laisser croire à quiconque que le Deuxième Amendement donne à une personne privée sans lien avec une milice locale contrôlée démocratiquement le droit de porter à l’épaule un fusil d’assaut M-15 chargé lorsqu’elle se rend au McDonalds local pour consommer un hamburger et des frites. »

• Walrus a écrit en réponse à LA Sox Fan... Le 08 août 2019 à 19h06

« LA Sox, Malheureusement pour votre argument, il est clair à la lecture des documents que l’appartenance à une milice n’est pas la condition sine qua non pour la possession d’armes à feu. C’est le contraire.
» Vous avez besoin d’une arme à feu pour pouvoir vous joindre à la milice en tant que membre efficient. Il est tout à fait clair que les comités municipaux ont demandé à tout le monde de s’armer du fait qu’il y avait la possibilité que n’importe qui pût être requis par la milice.
» De plus, les Britanniques étaient déterminés à confisquer TOUTES les armes en propriété privée. Ils n’ont fait aucune distinction quant à l’appartenance à la milice. Vous ne devriez pas non plus en faire. »