Révolution par l'Église — Rubrique Analyse, de defensa Volume 18, numéro 20 du 10 juillet 2003

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Rubrique Analyse, de defensa Volume 18, numéro 20 du 10 juillet 2003


Le rôle nouveau possible de l’Église est un sujet qui nous intéresse particulièrement. Il s’agit d’une question qui figure parmi les thèmes essentiels de compréhension de notre temps. Ce tte question de l’Église est particulièrement importante :

• A cause des rapports d’influence fondamentaux de l’Église dans la crise de la globalisation (et rapports plutôt dans un sens de résistance) ;

• à cause de l’attention permanente apportée par l’Église au maintien des traditions comme structures sociales et spirituelles essentielles, à l’heure où les sociétés ont à faire face à des attaques déstructurantes sans précédent ;

• à cause des liens politiques particuliers de l’Église avec des pays qui comptent essentiellement dans la crise d’aujourd’hui, et l’on pense précisément à la France et au Mexique.


Révolution par l'Église

Peut-être pour la première fois, les intérêts temporels de l'Église de Rome correspondent à ses engagements spirituels et à sa fonction de protectrice des déshérités. C'est un moment de grâce pour l'Église, qu'a très bien vu, ou senti, le pape Jean-Paul II.


Jean-Paul II fut, avant et pendant le conflit irakien, l'un des plus actifs propagandistes de la cause anti-guerre, et sans aucun doute le plus prestigieux et le plus respectable. Son attitude, largement rendue publique, exprimée toujours avec fermeté et parfois avec héroïsme, constitua l'un des plus graves problèmes de conscience de Tony Blair (très croyant et qu'on dit proche de se convertir au catholicisme, comme sa femme). Fin février, Blair alla à Rome où il fut reçu en audience par le Saint-Père. II tenta vainement de justifier sa politique d'un point de vue théologique.

La proximité entre le Pape et Chirac fut grande pendant cette crise, ce qui est une autre indication significative. Les deux hommes partagèrent une réelle et profonde conviction de l'illégalité et de l'immoralité, voire de la stupidité de ce conflit, enfin du danger qu'il recèle pour l'évolution des relations internationales. Le 25 mars, le Président français envoya une lettre au Pape, où il écrivait notamment : « Parce qu'ils partagent sur l'ensemble de ces sujets des points de vue très largement convergents, le Saint-Siège et la France devront continuer à oeuvrer ensemble pour faire prévaloir la primauté du droit, la justice et le dialogue entre les peuples. » On ne pouvait mieux dire et l'on doit admettre que l'alliance de facto entre Paris et le Saint-Siège est un facteur très important, aujourd'hui, de la politique internationale.

On sait que le vieux Pape, dans ses activités courantes, réunit des foules qu'aucun homme, quelle que soit la cause qu'il représente, n'est capable de réunir. Traité de “réactionnaire” de façon routinière par les bons esprits postmodernes se référant à des causes importantes (l'avortement), le vieux Pape rassemble des millions de jeunes gens lors de ses déplacements. Aucun bon esprit postmoderne n'est capable d'approcher ce phénomène (le rassemblement de “jeunes”), pourtant résolument postmoderne.

Ce n'est pas le seul Jean-Paul II qui est en cause. Il ne s'agit pas seulement d'un pape exceptionnel. Mais Jean-Paul II, à la fois par choix et par tempérament, correspond à merveille à l'Église au moment où celle-ci se trouve au coeur d'une révolution, — ou d'un moment de grâce, c'est selon.


Depuis la Renaissance, l'Église s'est trouvée continuellement sur la défensive, souvent en porte-à-faux ou en contradiction avec elle-même

Nous n'allons pas parler de choses de peu d'importance pour notre propos, — la popularité statistique de l'Église, les statistiques de fréquentation, des vocations, etc. L'Église ne peut se définir en chiffres, ou plutôt : les chiffres n'en donnent qu'une image très partielle, et dégradée par rapport à l'ambition du propos. Nous parlons de quelque chose de bien plus important : l'influence de l'Église, son poids, sa position à la fois temporelle et spirituelle dans un bouleversement politique et culturel dont le plus proche précédent, — en intensité mais malheureusement pas en qualité, — est évidemment la Renaissance. Bien sûr, et ceci explique cela, c'est à partir de là qu'il faut conduire notre enquête.

Tout au long du Moyen Age jusqu'à la Renaissance dans sa dernière phase (XVIe siècle), jusqu'à la Réforme, jusqu'à la révolution scientifique et rationaliste du XVIIe siècle, l'Église était immanente à la société occidentale. Elle était la société, rien de moins. Par conséquent, les problèmes qu'elle rencontrait étaient des problèmes structurels de société, non des problèmes politiques. Avec le processus de sécularisation, la religion change de substance. Elle devient une force constitutive de la société parmi d'autres forces du même type. Ses problèmes deviennent politiques, elle n'est plus “au-dessus de la mêlée”. Les traits qui ont toujours caractérisé l'Église acquièrent une signification politique. Le besoin d'ordre, la protection des structures existantes, la protection des traditions, signifient très vite, et de façon nécessaire dirait-on, autant d'engagements politiques. L'engagement avec les forces traditionalistes puis, avec l'évolution des situations politiques, l'engagement avec les classes dirigeantes et les forces bourgeoises, puis avec les forces de l'argent et avec le capitalisme, voilà les étapes de l'engagement politique de l'Église. Il n'y a jamais eu de choix “politiques” dans le chef de l'Église mais ses positions fondamentalement traditionalistes s'expriment dans ces engagements politiques, de facto dirait-on.

Un engagement politique fondamental de l'Église est la lutte contre les forces sécularistes les plus extrémistes ou perçues comme telles, — sorte de lutte “pour la survie”, si l'on veut. L'Église lutte de toutes ses forces contre les forces socialistes puis communistes, et, en général, contre les forces révolutionnaires qui vont dans ce sens, — à commencer par sa lutte contre les révolutionnaires de la Révolution française (malgré quelques ambiguïtés). Mais cet aspect du problème prend tout son sens avec la lutte contre le communisme installé au pouvoir à Moscou, dans la mesure où cette lutte s'est imposée comme la tâche principale, et parfois exclusive de l'Église tout au long du XXème siècle. Dans cette bataille anticommuniste, l'Église a constitué une force extraordinaire et une force décisive dans plusieurs occasions essentielles. Nous acceptons sans la moindre hésitation l'idée que c'est le voyage de Jean-Paul II en Pologne, à la fin des années 1970, bien plus que la pression US (SDI, “guerre des étoiles” de Reagan, etc) et antérieurement à celle-ci de façon décisive, qui accéléra le processus irréversible de désagrégation du communisme.

Le survol de la position de l'Église dans le monde sécularisé né avec la Renaissance est donc vite fait. L'Église est du côté des forces traditionalistes parce que là est sa logique fondamentale. On l'étiquette “réactionnaire”, “conservatrice”, “complice du capitalisme”, “gardienne de l'ordre moral” et ainsi de suite, mais elle n'est rien de tout cela ; elle est traditionaliste parce que la tradition est la garantie de la structuration des sociétés selon sa vision du monde encore plus que son intérêt. Ce qui doit s'imposer à ce point du raisonnement est bien que l'Église, forcée d'adopter des positions politiques, ne fait des choix qu'en fonction de sa vision du monde : réactionnaire, conservatrice, ce sont des attitudes tactiques correspondantes à chaque temps. Le fondamental, c'est la défense des traditions, c'est-à-dire la défense des structures existantes. Cette attitude est le résultat du magistère social qu'elle exerça au Moyen Âge plus que de ses conceptions originelles. Le traditionalisme de

l'Église est le produit de son expérience des structures sociales du monde occidental, bien plus que de son expérience de révolutionnaire messianique de l'empire romain en décomposition.

Tout cela nous conduit en 1989-91, dans l'esprit autant que dans la chronologie. 1989-91 marque, pour l'Église, la fin de la lutte anticommuniste. C'est un tournant d'une importance extrême, peut-être le plus important de son histoire depuis la Renaissance (la Réforme) où l'Église est devenue “acteur” d'une société en voie de sécularisation. Comme on l'a vu, la lutte anticommuniste a constitué l'aile marchante, “militante” de la hiérarchie de l'Église pendant des décennies. Parallèlement, cette bataille enfermait l'Église dans des schématismes déjà exprimés dans les époques précédentes, mais cette fois avec une force à mesure de l'intensité de la bataille. Plus qu'en aucune autre occasion, l'Église était “de droite” et perçue, à tort ou à raison (il y a beaucoup à débattre), comme l'ennemie du prolétariat dont la cause était soutenue par les communistes, — c'est-à-dire, ennemie des “pauvres” et des opprimés, dans le schématisme manichéen de l'époque. Cela fut au point où, comme on s'en rappelle bien, toute tentative de rapprochement avec les “forces populaires”, qu'elles se fassent avec ou contre l'assentiment de la hiérarchie, était dénoncée comme la perversion suprême d'une Église en train de se “marxiser”. II y avait les “prêtres rouges”, les “théologiens rouges”, etc. Le point n'est pas ici d'approuver ou de désapprouver ces jugements, mais de constater leur existence, et, par conséquent, les verrouillages qu'ils entraînaient.

1989-91 a changé tout cela. La chute du communisme a agi comme une véritable libération pour l'Église, à un point qu'on commence à peine à mesurer. Cette “libération” a été d'autant plus forte et complète qu'elle intervint au moment où le capitalisme libéral, avec les USA, c'est-à-dire le “camp” même de l'Église, se livrait à des excès sociaux et économiques qui commençaient à inquiéter l'Église, dans tous les cas à la mettre mal à l'aise ; qui commencèrent surtout, c'est l'essentiel, à lui faire réaliser certaines réalités fondamentales jusqu'alors écartées par les nécessités de la bataille.


L'étonnante intuition d'un vieillard traditionaliste  : comment Jean-Paul II a engagé l'Église sur la voie, non d'une réforme interne, mais d'une réforme de sa vision du monde

Jusqu'à Jean-Paul II, lorsqu'on parlait d'un “pape réformiste” ou d'un “pape avancé”, une définition complète et sans nuances défilait, concernant un personnage à tendances progressistes, pas loin d'être soupçonné de trahir l'Église installée comme axe “socio-spirituel” de l'Occident. De la même façon disait-on d'un “pape traditionaliste” qu'il était défenseur des valeurs conservatrices, voire réactionnaires. Jean-Paul II a changé cela. Le vieux pape est à la fois défenseur de l'avortement et avocat des peuples opprimés ou laissés pour compte contre les grands prédateurs capitalistes. Il répond à la fois à la définition d'un “pape réformiste” et à celle d'un “pape traditionaliste”.

Est-ce de la clairvoyance ? Est-ce de l’habileté ? Parlons dans tous les cas de bon sens et, surtout, d'une exceptionnelle compréhension de son temps, à un point où l'on pourrait parler d'intuition. On comprendra alors cette exceptionnelle aisance due à la simplicité de l'homme, car jamais il n'a été aussi facile, voire évident, de concilier des tendances qui paraissaient jusqu'alors inconciliables. Le constat qu'ont fait ces dernières années Jean-Paul II et l'Église, c'est le constat de plusieurs prolongements absolument révolutionnaires :

• La “globalisation” est le premier choc essentiel. D'abord, c'est un mouvement qui s'avère directement concurrent d'une des conceptions coutumières de l'Église, selon laquelle elle est elle-même une force globale, internationale, supranationale. L'Église s'en défie donc d'instinct, par esprit de concurrence. Elle y est d'autant plus inclinée qu'il s'avère rapidement que cette globalisation dont elle se garde est l'ennemie des traditions, des structures en place, ennemie de l'ordre en un mot ; d'autre part, elle est ennemie de la petite économie qu'elle est conduite à déstructurer, des petites gens qu'elle est conduite à traiter comme autant de numéros, de pièces sans importance.

• La “divine surprise” de l'événement précédent, c'est bien que cette globalisation réussit à unifier ceux qui, jusqu'ici, figuraient comme d'irréconciliables ennemis : la tradition et l'ordre d'une part, les pauvres et les opprimés d'autre part.

• Il ressort des deux derniers événements que l'Église doit désormais songer à rompre sa Grande Alliance du temps de l'anticommunisme. Le capitalisme US, avec son irrésistible tendance à la globalisation, est désormais un concurrent qui pourrait devenir un adversaire. Mais plus encore (plus fondamental) : on découvre que ce capitalisme est l'ennemi des traditions, à la manière du modernisme (et non le progressisme) qui n'a jamais cessé d'être le grand ennemi de l'Église. (Ce capitalisme est d'origine protestante, c'est-à-dire réformiste ; il est né et se nourrit des USA, qui s'estime eux-mêmes être la modernité même.)

• Cette rupture est moins risquée politiquement qu'on pourrait croire au premier abord. Le “parti” des pauvres et des opprimés (des “anti-globalisation”, si l'on veut), ce ne sont pas que les pauvres et les opprimés. Il y a toute une gamme d'oppositions, exacerbées par le dernier grand événement, — l'attaque du 11 septembre 2001 sur les USA et la “nouvelle” politique agressive des USA. On retrouve dans la même ligne de la nouvelle opposition des organisations et des nations dont les tendances profondes se rapprochent du courant décrit ici, malgré les étiquettes officielles. Ainsi, — et l'on verra plus loin les implications de l'événement, — la France et le Mexique sont deux grands alliés “objectifs”de l'Église et du Vatican, et peut-être plus qu'objectifs.

La réussite de Jean-Paul II, c'est bien d'avoir saisi l'occasion unique pour l'Église de réconcilier sa vision du monde (la tradition et la structure) et ses engagements révolutionnaires originels (les pauvres et les opprimés), avec une situation tactique qui lui conservait influence et rang diplomatique en se trouvant aux côtés de puissances politiques qui trouvent elles-mêmes leurs avantages à cette position. D'une part c'est l'évidence, d'autre part c'est d'une audace qui rompt les conformismes, — c'est bien du bon sens.


L'Église aujourd'hui : tentative d'analyse d'une position politico-diplomatique et d'une opportunité doctrinale, — avec l'aide de l'un ou l'autre (rôle de la France et rôle du Mexique)

Aujourd'hui, l'Église se trouve dans une position complètement paradoxale. Elle est au coeur

d'un monde complètement sécularisé, en Europe beaucoup plus qu'ailleurs, et d'un monde désacralisé ; elle est au coeur, en plus, d'un monde qui ne cesse officiellement de réaffirmer sa foi dans le Progrès, la Science, toutes ces choses identifiées comme antinomiques à l'Église. En même temps, dans ce monde et même au coeur de ce monde, et sans que l'Église songe même à le suggérer, les analyses critiques, sociologiques, psychologiques de cette situation, de plus en plus perçue comme une crise de civilisation bien sûr, vont pour l'essentiel dans le sens d'un regret grandissant de cette désacralisation.

Ces analyses rencontrent des préoccupations venues de plus en plus naturellement au grand public, notamment à la jeunesse, — et, pour cela, on peut effectivement parler d'une époque qui est une “crise”. Il en résulte que l'Église qui reste dans une position de repli au sens strict des pratiques religieuses et des manifestations de la foi, apparaît de plus en plus, dans le débat de la société civile, comme un interlocuteur important, voire privilégié, dans tous les cas une référence de plus en plus respectable. Le pape recueille le fruit de cette nouvelle façon de l'Église d'être implicitement au centre du débat social, et même au centre du débat de civilisation. Il voyage et rassemble des foules immenses.

Au niveau politique actif ensuite, au niveau du pouvoir temporel, la situation est extraordinairement caractéristique d'un immense changement, dans tous les cas du point de vue de l'Église. Ce changement peut être caractérisé par deux pays qu'on a déjà nommés, qui sont dans cette occurrence qui est la grande crise de la civilisation, des alliés au moins objectifs, et sans doute plus que cela, de l'Église. Ces deux pays représentent une diversité de possibilités, de puissances, d'influences, qui font de chacun un chef de file naturel d'une forme de la même conception, qui est la conception nouvelle envisagée pour l'organisation du monde, qui est si avantageuse pour l'Église. On va identifier ces “deux formes de la même conception” par le biais d'une rapide analyse de la situation et de la position de ces deux pays.

• Le Mexique est le premier de ces deux pays. Pays puissant à la limite du Tiers-Monde, et chef de file traditionnel d'un courant d'affirmation autonome tiers-mondiste, malgré sa position accolée aux USA. Au contraire, cette position accolée lui donne un accès au modernisme industriel en même temps qu'une image de pays nécessairement en butte aux pressions impériales américaines. Il y a un mélange de modernisme exacerbé et de protection naturelle de très vieilles traditions qui fait du Mexique un pays complètement de son temps, et l'un des plus capables, à la fois, de peser sur les USA et de les comprendre assez pour s'en défier de façon fondamentale.

Encore, bien sûr, n'a-t-on rien dit de l'essentiel : le Mexique est le seul pays au monde avec un pouvoir d'influence direct sur la vie intérieure des États-Unis, pouvoir qui peut aller jusqu'à des possibilités radicales. Dans le courant du mois de juin, la communauté latino-américaine est officiellement devenue la première “minorité” des USA, dépassant les Noirs. Cette minorité compte jusqu'à 80% de Mexicains ou d'Américains d'origine mexicaine, dont la nouvelle politique du président Fox (double nationalité, droit de vote au Mexique en tant que résident à l'étranger, etc) les rapproche de leur pays d'origine, par ailleurs géographiquement voisin. L'aspect mexicain et national est renforcé par l'énorme flux de l'émigration, légale et illégale, qui s'avère elle aussi en augmentation constante. Le flux migratoire est tel qu'il ne pourra pas ne pas être évoqué un jour ou l'autre (il devait l'être mais 9/11 et la nouvelle politique US ont empêché cela), et il le sera de plus en plus avec un Mexique méfiant, voire très critique de la nouvelle politique américaine.

Cette situation du Mexique et de la communauté mexicano-américaine est caractérisée par ailleurs par une pratique intense de la religion catholique, devenue aujourd'hui une religion très prosélyte aux USA grâce aux Mexicains. Le Vatican reçoit son soutien principal' de sa communauté hispanique et l'élection du futur pape pourrait bien être influencée par ce fait. Dans le Mexique, on trouve réunie cette convergence d'éléments jusqu'alors contradictoires pour l'Église, avec l'Église tenant une place essentielle.

• La France a, naturellement, des liens particuliers avec l'Église qui marquent son histoire. Elle les a conservés malgré la Révolution et la République, et l'on peut dire que la Ve République les a restaurés de façon acceptable et significative. Cette spécificité des liens est une constante historique entre la “Grande Nation” catholique et le Vatican. Mais cette constante s'exprime diversement au niveau politique, — parfois pas du tout, jusqu'à l'hostilité dans les cas extrêmes, parfois de façon marquée mais jamais avec le moindre lien de sujétion. Aujourd'hui, la France et le Vatican ont une proximité politique comme ils ont rarement eu, et s'exprimant en toute indépendance réciproque.

La France a, grosso modo, une vision quasiment équivalente de celle du Vatican de la situation internationale. Comme le Vatican, elle développe les plus grands doutes sur le processus de globalisation même si elle doit y participer de toutes les façons pour continuer à figurer à son rang. Comme le Vatican, elle a, depuis de Gaulle et au-delà, une politique devenue traditionnelle d'ouverture au tiers-monde, selon l'idée que les relations Nord-Sud, la question de l'inégalité, la crise de l'environnement, les extrémismes comme l'islamisme fondamentaliste, seraient des problèmes bien plus faciles à résoudre si les pays du Sud pouvaient mieux affirmer leur autonomie et développer leurs capacités. Enfin, sur le “nouveau” problème que pose l'activisme américain, il y a également une certaine similitude de vues. (De même, on trouve autant de similitudes et de proximité entre la France et le Mexique, comme cela s'est exprimé avant et pendant la guerre contre l'Irak.)

A partir de cette situation, notamment de la similitude de vues avec la France et en poursuivant celle-ci, on peut observer un autre domaine qui doit permettre à l'Église de jouer un rôle important. A nouveau, on rencontre le paradoxe déjà identifié.

La situation diplomatique fondamentale actuelle est caractérisée effectivement par un paradoxe considérable. La puissance dominante, l'Amérique, est traditionnellement perçue, comme une puissance conservatrice, stabilisatrice, une puissance favorisant un ordre dans les relations internationales, bref une puissance avec des caractères “impériaux” bien avant qu'on ne débatte ouvertement à propos d'une vocation impériale soi-disant nouvelle de l'Amérique. Cette vision est en passe d'être radicalement démentie. La fonction stabilisatrice de la puissance américaine s'est rapidement dégradée dans les années 1990, notamment avec la politique de globalisation imposée de façon agressive. Depuis le 11 septembre 2001, cette fois dans l'affirmation même de la politique, cette fonction a été pulvérisée. Aujourd'hui, l'Amérique se présente ouvertement, et même agressivement, comme une puissance déstabilisatrice. Cette perception concerne en même temps le capitalisme et le libéralisme anglo-saxon.

C'est face à cette situation que l'Église doit se définir, elle, comme une force stabilisatrice, ce qui s'accorde complètement avec sa mission de défense des traditions. Elle rencontre complètement la France, dont la vocation stabilisatrice s'est affirmée durant la crise irakienne, et elle rencontre même l'Europe, dont là vocation naturelle est elle aussi dans ce sens. Le paradoxe aujourd'hui est que l'unipolarité est devenue complètement déstabilisatrice, voire révolutionnaire, à l'image des États-Unis, tandis que la multipolarité recherche la stabilité dans la diversité. Dans ces courants paradoxaux par rapport aux anciennes conceptions, on voit que le courant stabilisateur de la multipolarité est le même qui recherche un équilibre des relations entre pays pauvres et riches, qui recherche la sauvegarde des traditions ou la recherche de l'installation de nouvelles traditions. C'est un courant qui tend d'abord à s'adresser au désarroi de notre civilisation pour essayer d'en comprendre les causes.


Comment l'Église va-t-elle capitaliser cette situation, si elle la capitalise ? En restant l'Église, en étant plutôt le Vatican, ou en étant une nouvelle Église ?

Si l'on admet cette situation générale complètement bouleversée comme étant un phénomène d'une importance considérable et éventuellement durable, — et c'est certainement notre analyse, — la question se pose de savoir ce que va en faire l'Église. En d'autres termes : rester l'Église ou être un peu plus le Vatican ? Ou encore, comme nous le suggérons, devenir une nouvelle Église ?

On voit que la position centrale et particulièrement favorable de l'Église n'est pas une position uniquement spirituelle et/ou théologique, même si elle l'est en bonne partie. Sa proximité de forces temporelles bien identifiées (à commencer par la France et le Mexique), sa position par rapport à des batailles temporelles également précises (la globalisation ici, la guerre contre l'Irak là), en font nécessairement un acteur temporel des relations internationales.

C'est une situation totalement inédite parce que l'Église ignore, par la force des choses, comment transformer cette position politique prépondérante en ce qui est le renforcement qu'elle recherche habituellement (les conversions, les vocations, la fréquentation, etc, tout ce qui caractérise une religion). Il y a là un champ complètement nouveau. Les millions de jeunes gens qui viennent écouter Jean-Paul II ne sont pas des convertis en puissance parce que le temps n'est plus vraiment à la recherche de la conversion. Mais alors que sont-ils ? Évidemment, nous sommes dans une interrogation qui va au coeur du désarroi de notre civilisation, qui est d'ordre complètement spirituel, qui indique qu'au-delà des opportunités et des paradoxes, l'Église devrait aussi envisager de se transformer pour répondre à cette immense crise qui nous secoue.

Notre crise est bien celle de la modernité. Ceux qui furent accusés de n'être pas modernes sont en première ligne et c'est d'eux que l'on attend une action assez décisive pour être alternative.