Rice en Europe et le “new chapter in our relationship”

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Rice en Europe et le “new chapter in our relationship”


10 février 2005 — Rice nous a offert une tournée-éclair, essentiellement en Europe. Elle a beaucoup parlé, toujours dans le même sens, toujours avec le même sourire que les journalistes ont l’amabilité de qualifier d’“offensive de charme”. Elle nous montre son nouveau visage, qui est celui de la diplomatie américaine transformée en cabinet global de relations publiques (le “message”, lui, vient de GW). Face aux Européens (comme pour tout le monde), la forme prend définitivement le pas sur la substance. L’essentiel a été dit lors de son passage à Paris, où a été donné ce qui a avait été présenté comme son “grand discours de politique étrangère”. La chose peut être illustrée par quelques mots extraits du Guardian du 9 février

« In what was billed as the keynote speech of her first official trip to Europe, Ms Rice told an audience of 550 students and diplomats in Paris that it was “time to turn away from the disagreements of the past ... to open a new chapter in our relationship, and a new chapter in our alliance”. »

Cette dialectique dégage en général une sorte de magie, avec des mots et des expressions tels que “nouveau”, “partenariat”, “nouveau chapitre”, etc. Tous les articles de nos “officiels” (en général, toute la grande presse, suivant complètement la ligne conformiste habituelle) en sont pleins, et avec l’enthousiasme qui sied. La réalité, elle, se résume à ceci, comme l’écrit le même Guardian: « [to urge] Europe and America to set aside their differences over the Iraq war and work together to spread democracy around the world. » Cela revient donc à ces deux propositions, qui sont en fait deux consignes:

• Entériner ce qui s’est passé en Irak depuis l’attaque USA-UK contre ce pays, par ailleurs qualifiée d’“illégale” par Kofi Annan.

• S’atteler à répandre la démocratie dans le monde, c’est-à-dire à appliquer le programme énoncé par GW Bush lors de son discours d’inauguration.

On reste un peu pantois devant le peu de commentaires que mérite en réalité cette tournée de Rice, — et, certainement, de la même façon, la visite prochaine de GW Bush en Europe, — par rapport au nombre de discours prononcés, d’entretiens réalisés, de déplacements réalisés, etc.

La conclusion générale, on pourrait l’emprunter au commentaire de François Heisbourg, hier soir sur I International, pour la présentation de son livre L’Europe, les Etats-Unis et le Moyen-Orient. Heisbourg parle d’un “grand schisme” entre les Etats-Unis et l’Europe, constatant que les deux zones en reviennent à la situation qui existait avant la Guerre froide et la Deuxième Guerre mondiale, la Guerre froide et l’union très forte entre les Etats-Unis et l’Europe n’ayant été qu’une “parenthèse”. Heisbourg avait participé le mardi matin, à un petit déjeuner avec Rice et en rapportait l’impression de divergences fondamentales entre Européens et Américains, notamment, — le problème “du jour”, — sur l’Iran. On pourrait y ajouter d’autres désaccords, que Rice est venue constater en Europe sans pouvoir amorcer l’ombre d’une résolution, notamment la question de la levée de l’embargo des armes européennes vers la Chine. Les Américains sont en train d’en faire un problème absolument colossal, impliquant les fondements stratégiques des deux “partenaires”, qui alimentera encore plus intensément la crise transatlantique.

La tournée de Rice avant le voyage de GW montre à quel point les relations transatlantiques sont réduites désormais à une activité de relations publiques. On notera simplement un déplacement de l’objet de cette activité de relations publiques: on parle de moins en moins de “nos valeurs communes” et, de plus en plus, de “nos objectifs communs”, qui sont bien entendu ceux des Américains que les Européens sont priés de suivre.

Il ne faut entretenir aucune illusion, une fois oubliés les articles et éditoriaux glorieux chantés autour de ces déplacements américains, — ce qui est l’affaire de quelques jours au mieux. L’Europe ne peut pas céder, non pas parce qu’elle est héroïque (cela se saurait), mais parce qu’elle est engagée, elle aussi, selon la méthode américaine, à quelques grands objectifs utopistes et complètement conformistes, qui constituent le fond de commerce des hommes politique européens dont la principale préoccupation est la réélection. Ces objectifs sont le multiculturalisme, la politique de consultation et de concertation, le “libéralisme social”, le néo-tiersmondisme (rapports avec les pays du Sud, lutte contre la pauvreté, etc), l’environnement et la crise climatique, etc. Ce sont des domaines où les Américains sont absents, pour le mieux, ou, le plus souvent, des domaines contre lesquels ils entretiennent une hostilité générale très marquée.

Les voyages de Rice-GW en Europe confirment le “schisme” transatlantique et pourraient également rendre beaucoup plus dramatiques les divers conflits plus ou moins latents entre USA et Europe. Après tout, Rice n’a pas tort: c’est bien évidemment « a new chapter in our relationship, and a new chapter in our alliance »