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10 février 2005 — A part sa condition d’Africaine-Américaine, qui n’a plus guère de signification dans l’occurrence qui nous occupe, Condi Rice est bien différente, jusqu’à être tout le contraire de Colin Powell. Elle bouge énormément, à une vitesse qui stupéfie ses interlocuteurs, d’une façon qui montre bien qu’elle est là comme “messagère” et nullement comme diplomate privilégiant le dialogue qui prend du temps ; partout, bien entendu, elle amène le même message qui est celui de son “patron”, qui est simple à l’image de GW, dur comme du marbre et vite compris. Un haut fonctionnaire de la Commission européenne, après la rencontre du Collège des Commissaires et de quelques directeurs généraux, hier matin, notait que « le contraste est flagrant entre son sourire, qui donne d’ailleurs l’impression d’être plutôt automatique, et ce qu’elle dit, qui est d’une dureté implacable, qui ressasse sans cesse les mêmes affirmations doctrinales. »
Rice a compris la leçon générale de Karl Rove (qui vient de recevoir une promotion et occupe désormais des fonctions encore plus importantes: « Rove, who was Bush's top political strategist during his 2000 and 2004 presidential campaigns, will become a deputy White House chief of staff in charge of coordinating policy between the White House Domestic Policy Council, National Economic Council, National Security Council and Homeland Security Council. »). Cette leçon de Karl Rove est celle de tout homme de communication: la forme doit être absolument privilégiée sur le fond, qui n’a pas vraiment d’importance et qui est de toutes les façons fixé.
Rice est donc une “diplomate de la forme”. En Europe, ce qui a compté est le sourire qu’elle a affiché partout, qui finit effectivement par paraître un peu automatique. Le reste, le fond, la politique qu’elle propose, on en a lu et entendu tous les détails dans les deux discours d’inauguration et de l’état de l’Union. Les différentes rencontres de Rice avec ses divers interlocuteurs européens montrent qu’il n’y a rien à changer à la politique américaine, qui implique un bouleversement des structures politiques au Moyen-Orient, une attitude d’une extrême fermeté avec l’Iran selon une logique qui aboutit effectivement à des mesures militaires, un anathème général contre tous les “tyrans” de la terre, un alignement sans concession ni explication superflue de tous les alliés sur les consignes washingtoniennes et ainsi de suite, — c’est-à-dire une déstructuration générale, qui fait dire à certains que Rice est ainsi la première “diplomate de type trotskiste” à parcourir nos contrées.
Avec ce comportement, Rice est en train de changer le département d’État. Cantonné (et d’ailleurs complètement marginalisé) sous Colin Powell à une position de contestation des centres de force de l’administration (département de la défense, NSC), le ministère des affaires étrangères américain est en train de devenir un instrument utile, essentiellement une courroie de transmission et de communication, de ces centres de force. Le département, lui aussi, est invité à s’intéresser à la forme (“mise en forme”, développements tactiques, etc.) et plus du tout au fond. Jusqu’ici, son rôle était d’élaborer des politiques diverses de façon à proposer des options au président. Aujourd’hui, l’impulsion vient de la Maison-Blanche, avec l’appoint de la pensée de Donald Rumsfeld. Rice exécute sa mission de relations publiques, armée de son sourire conquérant.
Le voyage en Europe a précisé définitivement le rôle de Condi Rice à la tête du département d’État et la personnalité de la secrétaire d’État. Il n’est plus question de parler de “modérés” (au département d’État, comme au temps de Powell) et de “faucons” (ailleurs), — tout le monde est aligné selon la ligne bushiste, selon une organisation mise en place avec brio par Karl Rove. Le bras armé de cette ligne est Donald Rumsfeld, notamment avec son énorme appareil d’action extérieur et clandestine (la Strategic Support Branch) qui marginalise la CIA. Rice est la chargée de relations publiques de cette puissante organisation, avec son sourire « plutôt automatique », complètement acquise à la ligne de son “patron”, sans aucun instruction ni intention d’élaborer ou de faire élaborer une politique propre au département d’État.
Le temps de Powell est définitivement enterré. Le département d’État prend sa place dans la machine bushiste, laquelle a désormais complètement la puissance du simplisme de la pensée qui l’inspire. Rice est venue en Europe pour ordonner la même chose aux alliés européens (pour l’Europe, la “nouvelle ère transatlantique” se résume à ceci : “voici les consignes du patron”).