Rice est lasse

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Rice est lasse


14 mars 2005 — Washington use son homme, — et “sa femme” par conséquent, quand c’est le cas. C’est un signe peu encourageant pour une nouvelle administration, avec un (une) nouveau (nouvelle) secrétaire d’État, quand celle-ci, comme Condi Rice, donne des signes certains de lassitude (plus que de fatigue, nous parlons d’une lassitude de l’esprit). Tiendra-t-elle quatre ans? Partira-t-elle avant? Déjà, sa nomination pour succéder à Powell a été entourée de rumeurs selon lesquelles c’est l’insistance de son Président qui l’avait décidée; lorsque le Président insiste comme GW semble l’avoir fait, on ne peut refuser. Cela n’empêche que la secrétaire d’État est lasse. Voyons cela.

• Dans une interview au Washington Times la semaine dernière, Rice “oublie” d’affirmer de façon précise qu’elle ne sera pas candidate à la présidence en 2008. Les commentaires sont précis à cet égard, alors qu’elle-même ne l’était pas du tout, — mais ceci expliquant cela après tout: “Rice declines to rule out 2008 run”. Voici les déclarations et l’interprétation :


« [Rice] seemed bemused by speculation that a Rice candidacy could set up an unprecedented all-woman matchup with Sen. Hillary Rodham Clinton, New York Democrat, who is widely expected to seek the presidency. “I never wanted to run for anything — I don't think I even ran for class anything when I was in school,” she said. “I'm going to try to be a really good secretary of state; I'm going to work really hard at it. I have enormous respect for people who do run for office. It's really hard for me to imagine myself in that role.”

» She was then pressed on whether she would rule out a White House bid by reprising Gen. William T. Sherman's 1884 declaration: “If nominated, I will not run; if elected, I will not serve.” “Well, that's not fair,” she protested with a chuckle. “The last thing I can — I really can't imagine it.” »


• …Elle ne peut imaginer qu’elle pourrait être désignée candidate mais d’autres imaginent pour elle. Rice est obligée de se précipiter et elle fait très fort. Au cours de deux interviews durant le week-end, elle martèle: “je ne serai pas candidate”. Sur ABC hier : « I don't know how many ways to say no. I don't have any desire to run for president. I don't intend to. I won't do it. I won't. » Sur NBC, quelques heures plus tard, expliquant à nouveau son refus: « I know what it takes to run for president. I've watched it up close. ».

• Dans le même second interview (NBC), elle va plus loin et laisse échapper ces mots qui trahissent une très grande lassitude: « ...one of these days very soon I am going to want to return to being an academic again and to get back to the California life, and the world of ideas. » Le “very soon” pourrait-il faire croire à la possibilité d’un départ anticipé, avant 2008?

• Certaines précisions sur la nomination de John Bolton comme ambassadeur US à l’ONU montrent indirectement la lassitude de Rice. Il est aujourd’hui acquis que Rice ne voulait pas de Bolton auprès d’elle (on avait parlé de lui comme n°2, ce fut Zoellick qui eut le poste). On a donné aussitôt une interprétation politique du fait. Nous devons aussi penser à l’interprétation simplement humaine de la chose: Bolton est un homme insupportable, comme sont tous les êtres radicaux, excessifs et intolérants, et l’avoir comme adjoint suppose un véritable calvaire. La chose a épouvanté une Condi Rice déjà si lasse. Elle a sauté sur l’occasion d’une proposition de le nommer à l’ONU. Newsweek présente cette explication du point de vue politique, et c’est ainsi qu’elle est interprétée; on pourra aisément distinguer que l’explication humaine et psychologique (la lassitude de Rice) a aussi sa place, et peut-être beaucoup plus importante selon nous:


« John Bolton was proposed to be the U.S. ambassador to the United Nations by Vice President Dick Cheney, Bush adviser Karl Rove and White House chief of staff Andrew Card, a Bolton confidant tells Newsweek in the current issue. Secretary of State Condoleezza Rice didn't especially want to be introducing Bolton as American's next ambassador to the U.N., some Bush administration officials say, and she had refused to make him her chief deputy despite what even Bolton's friends admit was his intense campaign to win that post last fall. No surprise, then, that Rice seemed ill at ease last week, her smile dimmer than usual, says one official at the announcement. “It was utterly inconceivable that this was her initiative,” said the official. »


Il y a, dans le rapport ci-dessus, une contradiction lorsqu’il est interprété politiquement, qui se transforme en cohérence lorsqu’il est interprété psychologiquement. Cela conforte évidemment l’hypothèse psychologique contre l’hypothèse politique. Rice, secrétaire d’État, consciente de son autorité, n’a pourtant pas pris la décision de nommer Bolton à ce poste essentiel nous assure-t-on; elle devrait en être politiquement frustrée, affaiblie et mortifiée. Au contraire, continue-t-on, et certes on a pu le constater (télévision), elle était particulièrement souriante lors de la cérémonie de nomination, plus qu’à l’habitude, couvrant Bolton d’éloges jusqu’à l’absurdité, — mais nous dirions simplement qu’elle était… soulagée? Ici, l’explication psychologique tient : surtout, ne plus avoir Bolton dans les pattes, même s’il est nommé à un poste essentiel.

(L’explication politique d’une Rice voulant neutraliser politiquement Bolton qui continue dans le même article reste aussi contestable : à New York, Bolton sera aussi « “…far from the center of power. From New York he will have almost no influence on anything that matters,” says another senior administration official. » Même s’il y a de la vérité pour ce qui concerne les luttes politiciennes washingtoniennes (toujours l’explication ethnocentrique washingtonienne), cela ne tranche rien sur le cas Bolton: dans son précédent poste et bien qu’il fût basé à Washington, Bolton était autant éloigné du centre du pouvoir, à un poste de peu d’influence, se déplaçant souvent à l’étranger pour des négociations, hors de l’attention médiatique. D’ailleurs, Bolton n’est pas un “organisateur” de pouvoir, c’est un exécutant exalté et radical. De ce point de vue, son poids, à New York, à l’ONU, sur les relations internationales, sera considérable, et d’autant plus que le pouvoir central est affaibli par ses divisions d’influence et de luttes politiciennes.)

Cet aspect psychologique est essentiel dans l’analyse des événements à Washington. La fatigue, l’usure du pouvoir, touchent essentiellement ceux qui sentent le plus, même inconsciemment qu’importe, le poids des enjeux de ce pouvoir, de la tromperie qu’implique son exercice. Rice, plutôt d’une psychologie modérée, est lasse parce qu’elle doit défendre constamment une cause dont elle doit sentir inconsciemment l’absence de substance (ne parlons pas nécessairement de “mensonges”, quoique cela serait justifié); nous disons bien “inconsciemment”, car Rice est victime comme les autres du virtualisme qui impose aux psychologies cette “absence de substance” (mensonges) comme si elle était vraiment une substance. Par contre, les radicaux, les psychologies exaltées jusqu’à la pathologie (Bolton, mais aussi GW), ne se fatiguent jamais ni ne se lassent de cette absence de substance: au contraire, eux croient complètement que l’absence de substance est une substance (c’est là leur pathologie), que les mensonges n’en sont pas et ainsi de suite.

Cela nous indique pourquoi, dès lors que des radicaux extrémistes investissent une portion du pouvoir dans une démocratie, — à cause de la faiblesse, de la décadence et de la lassitude psychologique des élites, ce qui est le cas aujourd’hui, —leur radicalisme tend à prendre le dessus, psychologiquement et, par conséquence induite, politiquement, tout en restant “démocratique” puisqu’à l’intérieur de l’institution. (Nul besoin de coup d’État qui, lui, a l’avantage de mettre les enjeux au net.) Les USA et Washington sont particulièrement exposés à ce danger parce qu’il s’agit d’une démocratie “parfaite” où n’existe aucune immanence régalienne du pouvoir qui puisse servir de référence objective contre l’extrémisme pathologique.

Cet aspect du problème psychologique du pouvoir a toujours été très fortement présent à Washington (et nous tenons d’autant plus à l’explication de la pression que fait subir aux psychologies un système entièrement basé sur la communication et la transformation de la réalité). L’historien américain Page Smith, dans son histoire de la période 1898-1920 de l’Amérique (America Enters the World), consacre son chapitre 52 (Recurrent Themes) de la fin de son étude à l’anxiété et à l’angoisse dépressive de la vie politique américaine. « Anxiety, which has been a theme troughout this work, remained high in this period… » On comprend que, la République étant devenue l’Empire dans un processus typique de décadence, la situation psychologique ait largement empiré.