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156604 mai 2017 – Cela m’arrive rarement, très rarement, et pourrait-on ajouter, encore plus rarement sinon jamais peut-être après un événement de cette importance... Sauf qu’il pourrait peut-être me sembler, si j’avais l’esprit au sarcasme, qu’il n’eut guère d’importance, cet “événement de cette importance”, de même que je me méfie en général des “événements de cette importance” jusqu’à m’interdire d’en écrire là-dessus aussi rapidement qu’on le voudrait... Mais là, c’est tout différent : je me suis retrouvé plume sèche et esprit vide, sans vraiment de reproche à faire à quiconque, – sinon à moi, peut-être et encore vaguement, moi qui ai toujours une phrase à écrire... Tu quoque fili, le vertige de la phrase blanche ?
D’abord, je le confesse : je n’ai pas vu grand’chose de ce débat ; les quinze-vingt premières minutes, puis assez édifié sur le climat, le ton, l’agressivité voire la sauvagerie. J’ai décidé alors de mener à bien mon projet qui était de respecter mes horaires syndicaux malgré l’événement et d’aller me coucher. Le lendemain, aujourd’hui donc, quelques commentaires de-ci de-là, des impressions entendues au vol, enfin rien qui puise modifier la pente suivie par mon jugement, et toujours cette absence d’inspiration, un certain dégoût, ou disons un désintérêt pour faire moins dramatique, d’écrire quoi que ce soit. Notez que cette attitude, comme influencée par le climat que j’ai évoqué, s’est étendue au reste des affaires du monde dans lesquelles je n’ai trouvé aucun intérêt également, rien pour éveiller le goût du commentaire, la flamme de la reconnaissance de quelque chose qui vaille un effort de l’esprit et un éveil de l’intuition superbe. Pourtant, je ne cesse de l’écrire, nous sommes au cœur d’une crise générale, la fameuse Grande Crise Générale d’effondrement du Système... Eh bien, tout se passa durant ces quelques heures, comme si rien ne se passait.
Il y eut peut-être une sorte d’anesthésie temporaire, ou disons d’amnésie momentanée ? Je suis le premier à le dire, aussitôt, et cela au contraire de mes habitudes où je ne crains pas de fixer mon parti : je ne fais porter la responsabilité de la chose à aucun des deux débateurs. J’ai ouï-dire que ce fut bien une bataille de rue, a dogfight comme disent les pilotes de combat, et pourtant s’il y eut agressivité et sauvagerie comme cela se dit et comme j’ai pu l’entrevoir, je ne les en charge pas, aucun des deux, de la responsabilité. Je crois que l’on a connu un de ces instant où, soudain, le vide et le rien qui sont le seul enjeu de cette trajectoire effrayante que nous subissons, sont apparus, nus, tels qu’en eux-mêmes.
... Restent alors, comme on se débat désespérément pour éviter la noyade, l’agressivité et la sauvagerie du barbare, ou de l’être-ramené-au-barbare. Ils n’ont pas pu parler de leurs programmes, ou bien ils n’ont pas voulu, ou bien ils n’ont pas de programme ? Et alors ? Qui pourrait se vanter aujourd’hui d’élaborer un programme, de s’y tenir, de le présenter en y croyant vraiment, en usant ce qu’il lui reste de conviction à y croire vraiment ? On n’apaise pas les tempêtes avec de “la poudre de perlimpinpin”. (Je crois que ce fut un des mots les plus charmants, par sa désuétude, son aspect vieillot qui me touche dans ma nostalgie, – il était d’usage courage quand j’avais six-sept ans, dans le courant de mes études à la maternelle, il y a exactement deux-tiers de siècle.)
Ils étaient là, s’invectivant, je les vois sans les avoir vus, en vérité écrasés par l’énorme poids du vide qui pèse sur nous tous dans cette période innommable de l’histoire du monde, confrontés à la tâche terrifiante de discourir du rien en faisant mine de sa conviction et de son talent. On dira : “Mais il y avait bien des sujets, tout de même, qu’ils eussent pu aborder dans un certain ordre et avec dignité, en confrontant leurs différences et leurs oppositions si claires !” ; et je répondrais que non, pas en cet instant dont je dis qu’il est un instant où l’ampleur de la crise du monde est apparue et a fondu sur eux, sur les uns et les autres, sur nous tous, dans nos âmes et dans nos esprits. Il n’est nul besoin de leur avis ni de leurs confidences pour comprendre cette situation. “L’être est dévasté” me dis-je, songeant au bouquin de Mattei que je suis en train de lire, lentement, à petites gorgées tant ce livre (L’homme dévasté) est un de ceux qui vous confie la clef précieuse et si rare de l’éclairage de la dévastation du monde.
Au fait, je ne l’ai pas dit, et ainsi ai-je au moins ma conclusion : je parlais du débat qui opposait hier soir, à la télévision, les deux candidats ultimes pour l’élection du président de la République française. Requiem In Pace, douce France, et toi aussi, ardent réformateur et illusionniste des utopies rédemptrices. En cet instant, je n’entends plus que le vent mystérieux et insaisissable de la grande plaine vide... Demain, nous nous remettrons au travail après ces heures terribles où nous avons jeté un regard terrifié au fond inatteignable des abysses.