Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se défait

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se défait

3 mai 2022 (18H20) – Dans son dernier texte (“Strategic-Culture.org”, le 2 mai 2022), Alastair Crooke analyse avec un désenchantement profond mais élégant, sans laisser apparaître la moindre rancune, la situation française avec la ré-élection d’un président exceptionnellement impopulaire et souvent détesté jusqu’à la haine ; puis élargissant son propos à l’UE, qu’il décrit comme plongée dans une atonie surpuissante, impossible d’aller de l’avant dans un simulacre de solidarité absolument faussaire, impossible de revenir en arrière, immobilisée dans une immonde Mer des Sargasses conceptuelles et communicationnelle.

Il constate une complète paralysie, – « Les impasses aveugles de la politique européenne », – dans une situation où les crises s’empilent et se développent à une rapidité extrême, dégradant à mesure la situation générale. Son analyse concerne essentiellement les conséquences et les effets de Ukrisis, beaucoup plus que les questions internes ; mais l’extraordinaire paralysie et le furieux immobilisme, – à la fois narcissique, bienpensant et terrorisé, – des pouvoirs concernés sont une marque commune de ces deux niveaux de situation. Il s’agit bien d’une in-activité politique surpuissante et incandescente pour un sur-place hystérique, illustrée par l’affairement et le bouillonnement d’une formidable activité communicationnelle, évoluant entre le “non-Être et le Néant”, « aplatie par l’énorme poids du rien » (selon la belle formule de Joseph de Maistre, si à mon goût par sa capacité d’adaptation illustrative de nos ‘temps-devenus-fous’).

 « Le résultat des élections françaises a une fois de plus démontré les rigidités de la société européenne qui rendent presque impossible l'émergence d'un gouvernement fort et volontaire (c'est-à-dire transformateur), comme celui de de Gaulle, au niveau national. Cependant, lorsque ces rigidités nationales sont combinées à l'incapacité institutionnelle européenne supranationale, du type “taille unique” [ou “taille zéro”], de répondre aux spécificités de situations complexes, nous obtenons un immobilisme total, – l’impossibilité de changer de politique de manière significative, dans la majorité des États de l'UE. »

Alastair termine son texte de cette façon, et notamment avec la dernière phrase mise en paragraphe de conclusion, « Events, events dear boy, command », avec “dear boy” interprété pour mon compte disons à l’anglaise selon la tradition oxfordienne des élèves en blazers croisés et blasonnés, dans le genre « jolly good fellow » qui correspondait bien à MacMillan, exquisément britannique malgré sa trahison (ou “à cause de” ? – on verra plus loin) :

« Ces crises se succèdent, de plus en plus vite, bien au-delà des capacités de réaction des structures rigides et des mentalités de l'UE. L'Union européenne "fonctionne" institutionnellement, si tant est qu'elle le fasse, de préférence exclusive par “beau temps”. Elle est mise à l'épreuve jusqu'au point de rupture, par l'arrivée due la tempête [le “perfect storm”], pour laquelle elle n'est tout simplement pas adaptée, que ce soit au niveau supranational ou national.

» Les événements, les événements cher vieux garçon, commandent. »

L’expression « Les événements, les événements cher vieux garçon » (« Events, events dear boy») est célèbre. Ce fut la réponse de Harold MacMillan, bombardé 10 Downing Street en novembre 1956 ; après le départ d’un Anthony Eden malade et saboté gravement dans la crise de Suez par le même MacMillan sur instructions US, et MacMillan disant à la question, – d’ailleurs plus réflexion involontaire et fataliste que réponse après tout...

« Lorsque Harold Macmillan est devenu le premier ministre de la Grande-Bretagne, on lui a demandé ce qui déterminerait l’orientation de son gouvernement. Il a répondu avec une langueur édouardienne : “Les événements, les événements cher vieux garçon”. Comme il le savait bien, sans nul doute. Un événement, – la débâcle de Suez en 1956, – l’avait catapulté au 10 Downing Street. Un événement, – le scandale sexuel du ministre de la défense Profumo, – allait le catapulter hors de Downing Street en 1963. »

La différence avec aujourd’hui est que l’action humaine avait son importance dans les événements qui déterminaient les choses. La débâcle de Suez était pour une part non négligeable contenue dans la trahison de MacMillan au profit et sur ordre des Américains (ou bien jugeait-il, MacMillan, que cette “trahison” était une inéluctable obligation de tout politicien bienpensant conduit à s’aligner, inéluctable obligation suprême, sur les USA, parce que, inéluctablement, « right or wrong, my country »). Quant au scandale Profumo dont j’entendis bien des échos dans ma jeunesse tant l’affaire fit grand bruit, avec des filles du tonnerre (Christine Keeler) disions-nous à l’époque, les coups de sang et autres retours d’âge d’un ministre de la défense déjà âgé mais toujours sémillant avec les dames (tout de même fort bien rémunérées, les dames), avaient beaucoup fait pour l’événement.

Aujourd’hui, rien de semblable, que l’excellent Crooke marque par l’ajout qu’on ressent comme ironique du verbe « ...commandent ». Les événements sont seuls à commander, sans la moindre intervention conductrice ou correctrice des sapiens sapiens isolés sur un ‘Radeau de la Méduse’ déguisé en yacht d’un demi-$milliard récemment saisi des mains pourtant tout à fait néolibérales d’un oligarque russe résidant pourtant à Londres, – mais russe et bien russe, et donc impardonnable puisqu’accouché de l’Enfer du Diable.

Cette idée que les événements “commandent” m’est très chère et, selon moi, doit être prise au pied de la lettre, dans son exacte et puissante signification. Pour bien fixer la constance de cette idée dans mon chef, depuis quelques années déjà, je vais faire quelques citations, et qu’on me pardonne si j’use et j’abuse de moi-même, ce n’est ni vanité ni autosatisfaction ; tant ce que je dis et redis ici me paraît comme une aveuglante évidence où je n’ai rien de moi, que tout le monde peut et doit identifier, le plus simplement, le plus droitement du monde...

Donc, une rapide revue de détails que j’espère n’être pas trop lassante.

• En 2016 à propos de Donald Trump, que j’estime être l’exemple parfait du personnage “agi par les évènements”, sans rien y comprendre, et parfaitement heureux de sa situation de figurant flamboyante pouvant ainsi se contempler dans le miroir avec satisfaction :

« Ce que je propose au commentateur, et donc également à moi-même, c’est d’abandonner toute référence politique des acteurs-figurants comme ne pouvant être qu’un trompe-l’œil et un faux-nez à la fois. Ce n’est ni tromperie, ni ruse de leur part, mais simple constat de l’évidence, sans qu’il faille pour autant porter un jugement de valeur sur leur comportement. Le fait quasiment dynamique est que les événements, non seulement n’ont plus de rapport avec nous, mais également qu’ils vont beaucoup plus vite que nous et beaucoup trop vite pour nous, et qu’ils sont impossibles à prévoir en aucune façon.

» Le commentateur doit donc accepter ce fait de l’impossibilité complète de l’acteur-figurant d’agir sur les événements, c’est-à-dire qu’il faut qu’il se considère comme un événement lui-même, par conséquent sans chercher à expliquer pourquoi il fait cela et quels sont ses buts notamment selon l’étiquette qu’on leur attribue, puisque l’acteur-figurant est agi par les événements, animé par eux plutôt qu'il n'agit sur eux et ne les anime. »

• Au début 2020, à l’apparition du Covid enfantant bientôt le covidisme qui va transformer nos chefs de gare et chef de guerre, Macron en premier (« Nous sommes en guerre ! » – déjà, petit homme...)

 « En d’autres mots, nous n’étions pas [en 1956 et en 1969, pour deux précédentes pandémies] prisonniers des événements, sinon complices de leur aspect dramatique, qui pour le confirmer, qui pour le combattre ; nous étions confrontés à eux et nous en arrangions comme nous pouvions, jusqu’à n’en plus pouvoir comme les plus malheureux dans ces épisodes. C’était le temps du monde qui poursuit sa destinée, la vie avec ses risques, parfois la mort qui termine le récit pour en ouvrir un autre ; mais jamais vraiment l’emprisonnement ni le bouleversement de soi à la seule nouvelle de la chose, à moins d’une confrontation directe.

» Quelle différence, aujourd’hui ! De là, ma stupéfaction, une fois de plus, dans cette époque qui ne cesse de me stupéfier. C’est comme si nous attendions [inconsciemment] tous ces événement comme une catastrophe inévitable, inéluctable ; comme si nous les appréhendions sans les prévoir, simplement par l’angoisse ou la folie qui nous habite déjà... »

• Enfin, d’une façon plus générale, dans le ‘Glossaire.dde’ consacré à la “structure crisique” de 2021 :

« C’est bien dans cette combinaison d’événements que l’on trouve les signes de ce que nous décrivons très vaguement et en l’absence de références plus précises, comme une dynamique événementielle d’une dimension et d’une orientation qui dépasse les actes et les volontés humaines, et toutes les tentatives d’organisation (y compris, ô combien, les tentatives complotistes). Nous sommes dans un temps maistrien (de Maistre), où le Temps se contracte au gré du ‘tourbillon crisique... »

Comme l’on voit, il y a un évolution chronologique, puisque les citations vont de 2016 à 2020, à 2021. Je dirais volontiers qu’en 2022, avec Ukrisis, c’est encore pire, encore plus écrasant. La dynamique du supra-monde galope, galope encore plus vite, galope toujours et de plus en plus vite. Les événements, de plus en plus forts, de plus en plus écrasants, nous dominent de plus en plus, nous aplatissent jusqu’à nous faire croire que l’histoire des hommes, comme la terre après tout, est plate comme une limande. Ce qui bouge, et dans quelle tempête, dans quel ‘perfect storm’ ! – ce sont les événements déchaînés, libérés de tous liens et entrave avec ce genre humain totalement raté, et eux alors réglant notre destin du haut des cieux, “en majesté” installée sur son Olympe.

L’Amérique pas moins que nous

Si l’on se trouve accablés en Europe dans les terribles secousses et soubresauts de Ukrisis, on imagine que cela se fait aux bénéfices de l’Amérique. En un sens c’est assez juste, mais à mon sens pas vraiment sérieux ; d’une façon plus générale, ce n’est pas une cause suffisante pour que cette Amérique triomphe en croyant restaurée sa puissante hégémonie. Au contraire, Ukrisis est devenue là-bas très secondaire et, de nouveau, se lève le grand et tempétueux souffle de la discorde civique, de la “guerre culturelle civile”, oppressante, hystérique, mortifère, qui ne cesse de se rallumer depuis 2014-2015 dans sa phase incandescente. Ukrisis n’a pas réussi à détourner l’attention des électeurs de novembre prochain, et la puissance des nécessités supérieures est toujours en marche.

On notera en effet, dans ce cas qui est très rarement rapporté dans nos contrées européennes où les USA sont toujours perçus comme un roc de cohésion et de puissance, et pour certains, d’inspiration, une certaine similitude avec ce qui précède dans ce que l’on a vu de notre-Europe. Là aussi, en Amérique et sous le regard aiguisé par les visions et peut-être même amusé comme on fait un bon tour de Joe Biden, « Events, events dear boy, command ».

• Enfin, amendons d’abord ce jugement qu’“Ukrisis est devenue là-bas très secondaire” en observant que Trump en parle. Ce n’est pas pour autant, pour dénoncer les Russes, mais pour déplorer que Poutine « ne respecte désormais plus le leadership américain », – à cause de Biden, certes :

« Lors d'un rassemblement dans le Nebraska dimanche, Trump a déclaré que, contrairement à l'administration de Joe Biden, sous sa direction, "l'Amérique était forte, l'Amérique était respectée, comme peut-être jamais auparavant."

» “Maintenant, les dirigeants d'autres pays ne répondent même pas aux appels téléphoniques du président des Etats-Unis’”, a-t-il dit, faisant apparemment référence aux rapports selon lesquels les dirigeants de l'Arabie saoudite et des Émirats arabes unis ont refusé de prendre des appels de Biden pour discuter de la flambée des prix du pétrole.

» Trump a déclaré que Biden “n'a aucune idée de ce qui se passe”, faisant référence à un incident récent au cours duquel Biden, âgé de 79 ans, a semblé offrir une poignée de main alors que personne n'était là pour la partager. Poutine, quant à lui, “parle tout le temps d'armes nucléaires”, a déclaré Trump. »

Il n’étonnera donc personne que cette intervention de Trump, devant un public enthousiaste est perçue comme une sorte de pré-annonce à une candidature de Trump-2024, effectivement évoquée par l’orateur. Le ton habituel de Trump vis-à-vis de Poutine, son hostilité au conflit en Ukraine lui valent un soutien inattendu : l’intellectuel, linguiste et activiste de gauche Noam Chomsky, jusqu’alors antitrumpiste sans concessions, parlant à Glenn Greenwald tel que celui-ci rapporte l’intervention :

« Noam Chomsky, dans une interview cette semaine, dit : “heureusement”, il y a “un homme politique occidental d’une stature importante” qui pousse à une solution à la guerre en Ukraine plutôt que de chercher la façon de la favoriser et de la prolonger. “Son nom est Donald J. Trump”, a dit Chomsky. »

Ainsi en décident les événements, car Chomsky lui-même n’aurait pas cru possible il y a peu encore, une telle position de Chomsky.

• Passons à un autre champ de bataille, féroce celui-là... Avec le rachat de Twitter par Musc, une formidable bataille s’est engagée autour de “la liberté d’expression” (‘free speech’) avec l’annonce de la création d’un ‘Ministry of Truth’, conduit par l’étonnante Nina Jankowicz (voir aussi, notre texte de ce jour). Ce furieux conflit, que personne n’a vu venir, qui s’est institué de lui-même avec une extrême vigueur, favorise la montée aux extrêmes avec une vitesse ascensionnelle foudroyante, mettant en pleine lumière le désordre de l’administration Biden et la confusion extrémiste des ‘anti-free speech’ de la tendance wokeniste/sociétale-progressiste.

Sur la vigueur de l’affrontement, on peut consulter le grand constitutionnaliste qu’est Jonathan Turley, qui est monté sur les barricades et sur ses grands chevaux. On le lit le 1er mai 2022 sur la question du parti ‘anti-free speech’ qui s’affirme de plus en plus comme tel dans une polémique furieuse sinon hystérique depuis l’achat de Twitter par Elon Musc ; lui-même, Musc, engagé dans la bataille avec une vigueur extrême qu’il ne voulait pas nécessairement, désormais en attaquant bille en tête les progressistes wokenistes et le nouveau ‘ministère de la Vérité’ (« All’s Well That’s Orwell ») :

« Il a d’abord donné un coup de pied dans la fourmilière, maintenant il attaque avec du nucléaire tactique...

» Après la riposte furieuse contre la narrative de MSNBC selon laquelle “les républicains sont des nazis”, l’homme le plus riche du monde s’en est pris à un écrivaillons type-Robert Boot qui publie un texte avec des citations de Nina Jankowicz, la cheffeuse du nouveau ‘ministère de la Vérité’ de l’administration.

» “Tout est bien, c'est du Orwell”, réplique Musc. »

Le 2 mai, Turley redouble de fureur, cette fois en prenant Jankowicz, la “Marie Poppins de la désinformation” comme cible. Il le fait en des termes qui ne dissimulent pas son humeur massacrante et le jugement catastrophique qu’il porte sur elle. Ce faisant, il met en évidence les incohérences de l’administration dans cette affaire où tout le monde semble se passer la patate chaude de la nomination de Jankowicz décidée en toute lucidité par un Joe Biden triomphant.

« La nouvelle cheffe du Conseil de gouvernance de la désinformation a peut-être une bonne chanson à thème, mais Jankowicz pourrait perdre rapidement sa crédibilité. [La porte-parole de la Maison-Blanche] Psaki a d’abord admis qu’elle ne savait pas qui était Jankowicz ; le lendemain, elle s’est défendue mollement en affirmant qu’il s’agissait d’une personne ayant une vaste expérience, notamment selon des auditions d’ellle au Parlement britannique et au Congrès. (Psaki a omis de mentionner que Jankowicz préconisait la censure publique et privée.) Psaki a ensuite souligné à deux reprises que Jankowicz avait été sélectionnée par Mayorkas, secrétaire du Homeland Security Department.

» Pour sa part, Mayorkas a déclaré qu’il n’était pas au courant des positions et déclarations passées d'une personne qu'il venait de qualifier d'exceptionnellement qualifiée. »

• Un autre aspect de la situation américaniste concerne une autre subcrise de ce pays, celle de la frontière Sud. En quelque sorte, c’est la suite des « gouverneurs sécessionnistes », avec l’annonce par le gouverneur Abbott du Texas qu’il examine la possibilité de déclarer des “pouvoirs de guerre” pour l’État du Texas, ce qui constituerait un défi majeur lancé au pouvoir fédéral qui entend laisser la situation légale de la frontière Sud en l’état. Il s’agit bien entendu de faire face à l’immigration illégale que Abbott présenterait comme une “invasion du Texas”, ce qui permettrait de contourner l’article concerné de la Constitution. Il s’agit également d’une possible avancée dans la distance grandissante séparant certains États du pouvoir central, selon un processus que l’on peut qualifier de “sécession-soft”.

« Le gouverneur de Texas, Greg Abbott, étudie un plan visant à invoquer de véritables pouvoirs de guerre en déclarant une “invasion” à la frontière sud des États-Unis afin de contourner une clause de la Constitution américaine.

» Abbott pourrait déclarer une invasion pour se conformer à une clause de la Constitution américaine qui interdit aux États de s'engager dans une guerre, sauf s’ils sont “réellement envahis”.

» Les avocats d'Abbott et du procureur général du Texas, Ken Paxton, se sont rencontrés au début du mois pour débattre de ce plan, qui défierait directement le gouvernement fédéral, selon le New York Times. Il permettrait à la police de l'État du Texas d'arrêter et d'expulser les migrants, ont déclaré au journal deux personnes au courant de la discussion.

» “Si nous utilisons cette stratégie, cela pourrait exposer les forces de l'ordre de l'État du Texas à des poursuites”, a déclaré Abbott lors d'une conférence de presse la semaine dernière, confirmant qu'il “étudiait” l’idée. »

On ajoutera à cela les polissonneries d’un autre gouverneur, Don DeSantis de Floride, promulguant des lois contre diverses dynamiques du wokenisme qu’il veut faire disparaître de son État, en même temps que l’influence de Disney devenu le porte-drapeau du wokenisme-LGTBQ+ à Hollywood. Certaines consciences chatouilleuses commencent à le comparer à Vladimir Poutine, ce qui montre après tout que même absente du centre de la scène, Ukrisis n’est tout de même pas très loin et que la “sécession-soft” n’est pas un simple jeu de mots.  

« Ce n’est pas l’Ukraine, même si les médias de la bigoterie woke tendraient à présenter le gouverneur de la Floride Ron DeSantis comme un Vladimir Poutine, et le royaume de Mickey Mouse comme l’Ukraine de Vladimir Zelenski. Le fait est que, cette semaine, DeSantis a, d’une certaine manière, “violé la souveraineté” du paradis de l’éducation LGTBI+ qu’est devenu Walt Disney, au travers d’une loi lui retirant son statut d’Etat dans l’Etat. Sous couvert d’un accord connu comme “Reedy Creek Improvement Act” de 1967, les autorités corporatives jouissaient d’un régime d’exemption fiscale et de gouvernabilité très particulier pour mener à bien ce qui, au fil du temps, est devenu un centre de rééducation au transhumanisme transgenre et au racialisme d’un type qui n'aurait sans doute pas été tout à fait au goût des fondateurs.

» Tout part de la loi signée le 28 mars dernier par le gouverneur floridien. Celle-ci exige d’extirper des contenus scolaires la part d’endoctrinement woke tel que les obscénités pédophiles trans, l’apprentissage socio-émotionnel, la théorie critique de la race (éveil au racialisme ou racisme 2.0). Depuis, Ron DeSantis est vilipendé plus que d’habitude par la presse mainstream. Avec Elon Musk, qui défend la liberté d’expression, un concept considéré comme réactionnaire par la gauche woke (ex libéraux), il accapare le podium des personnes les moins respectables au regard des critères du Parti démocrate et de ses imitateurs dans le monde. »

La Russie, tout comme nous

La Russie ne fait pas partie “du lot” que constitue le bloc-BAO, qui est notre principale suite. Elle est tout de même soumise à la grande loi des « Events, events dear boy, command » ; ce n’est d’ailleurs pas excessif ni contradictoire, si l’on a à l’esprit que la Russie est, face aux pressions atlantistes-occidentalistes, en position défensive. Au reste, selon l’analyse même des dirigeants russes que le bloc-BAO repousse avec une horreur indicible, l’“opération militaire spéciale” est de nature défensive, pour prévenir l’offensive que préparait Kiev contre le Donbass.

L’ironie de cette analyse fixant la Russie dans une posture défensive, et par conséquent subissant les événements, et n’agissant qu’en réaction à eux, se retrouve symboliquement dans le schéma du conflit tel que l’a détaillé hier Scott Ritter. Parties sur un mode offensif vers Kiev, les forces russes ont rencontré une résistance imprévues et se sont trouvées dans une posture difficile pendant deux à trois semaines, avant d’en revenir à une tactique beaucoup plus prudente d’attrition des forces ukrainiennes, notamment pour l’affrontement du Donbass avec le gros de l’armée ukrainienne.

Même l’erreur majeure du renseignement russe telle que la rapporte Ritter, constitue également une symbolique de l’activité que nous décrivons. Le renseignement trompeur impliquait que les forces russes provoqueraient par leur offensive initiale des conséquences de rupture (chute de Zelenski). Les événements, qui sont maîtres de la vérité-de-situation, en ont décidé autrement. Cet échec du renseignement russe est mis par Ritter en parallèle avec l’échec terrible du renseignement israélien en octobre 1973 :

« La purge [selon ‘The Times’] de 150 officiers du 5e département du Service fédéral de sécurité russe (FSB), responsable des opérations dans ce que l'on appelle “l’étranger proche” (qui comprend l'Ukraine), ainsi que l'arrestation de Sergueï Beseda, l'ancien chef du département, laissent penser que la Russie a subi une défaillance du renseignement sans précédent depuis l’échec israélien à prévoir le franchissement égyptien du canal de Suez pendant la guerre du Kippour en octobre 1973. »

Le même schéma se retrouve : des services de renseignement devenus trop confiants selon l’expérience passé, dans la piètre valeur et l’inorganisation de l’adversaire. Les SR israéliens vivaient dans le souvenir de la Guerre des Six Jours de 1967, les SR russes dans celui de la prise de la Crimée et la débâcle ukrainienne de 2014-2015. Les événements les ont vivement ramenés à la réalité.

Lavoisier, revoyez votre copie

Ainsi en reviens-je à notre propos central, à ce titre du “Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se défait”. Qu’avait voulu dire Lavoisier avec son « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » ? Une vieille formule remise au goût du jour et au rythme de la science moderne

« La maxime “Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme” attribuée à Lavoisier, est simplement la reformulation d'une phrase du philosophe grec Anaxagore: “Rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent, puis se séparent de nouveau”. Dans son Traité élémentaire de chimie’ de 1789, Lavoisier parle de la matière en ces termes : “On voit que, pour arriver à la solution de ces deux questions, il fallait d'abord bien connaître l'analyse et la nature du corps susceptible de fermenter, et les produits de la fermentation ; car rien ne se crée, ni dans les opérations de l'art, ni dans celles de la nature, et l'on peut poser en principe que, dans toute opération, il y a une égale quantité de matière avant et après l'opération ; que la qualité et la quantité des principes est la même, et qu'il n'y a que des changements, des modifications.” »

Mais Lavoisier parlait de chimie et de matière ; je parle et nous parlons de métahistoire et des hommes passant du statut d’acteurs respectueux de l’auteur à celui de figurants laissés à eux-mêmes, ne connaissant plus rien des intentions de l’auteur et s’agitant dans des entreprises sans aucun rapport avec le destin central, même s’ils s’imaginent le décider. Ainsi, et si je suis cette logique, n’envisageons-nous pas que le milieu clos ainsi décrit par Lavoisier permet la transformation en quelque chose d’autre, de plus utile, de plus “performant”, etc., qui satisfasse l’auteur ; mais bien que le milieu clos permet de défaire toutes les grossières prétendues-réalisations qui nous sont débitées par les figurants qui se prennent pour l’auteur.

C’est un jugement difficile à exprimer que celui qui dénie aux hommes, dans la période présente, la moindre influence structurée et décisive sur le cours des choses. Pourtant je ne puis l’exprimer différemment : il s’agit bien de cette situation comme un constat objectif, où l’influence des hommes, malgré la disposition d’immenses moyens de puissance mais un esprit trop atrophié et terrorisé pour en disposer, ne renvoie plus à aucune structure harmonieuse et équilibrée ni ne suscite plus aucune décision remarquable et utile. La production extraordinaire de désordre sous l’impulsion d’une pensée déniant le réel jusqu’à prétendre le remplacer par une pure création d’un esprit faussaire, propose une suite de simulacres de plus en plus déterminés par l’hybris et le narcissisme des créatures, et de moins en moins avec les événements réglant la vérité du monde.

Comme la nature dont elle fait partie, l’histoire a horreur du vide, y compris celui qui lui fait détruire le passé à mesure que le présent prétend exister sans lui ; elle se fait donc métahistoire et passe la main aux événements de la destinée du monde, pour qu’ils fassent l’œuvre divine dont ils ont la charge. Ainsi reprennent-ils à leur compte la prétention absurde des neocons : il suffit de changer un seul mot et d’en ajouter quelques autres, découvrant alors jusqu’à quelle extrémité la prétention humaine a pu s’aventurer.

« Nous sommes [l’événement] maintenant et quand nous agissons nous créons notre propre réalité [qui dit la vérité-de-situation]. Et alors que vous étudierez cette réalité, – judicieusement, si vous voulez, – nous agirons de nouveau, créant d’autres nouvelles réalités, que vous pourrez à nouveau étudier, et c’est ainsi que continuerons les choses. Nous sommes [les créateurs] de l’histoire... Et vous, vous tous, il ne vous restera qu’à étudier ce que [l’événement a] [créé]. »

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