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3388• Cela fait bien entendu longtemps que les événements d’Ukraine, depuis “la guerre de 2014” (voir notre article du 3 mars 2014) , ont introduit en Europe un risque nucléaire direct. • Depuis le 24 février 2022, ), il est devenu un risque opérationnel direct, dont la partie pro-ukrainienne semble à peine se rendre compte et tout juste s’inquiéter. • Ce risque explique en grande partie la prudence de Poutine. • Il existe aussi l’inconnue colossale du rapport de ce risque avec l’élection présidentielle US de novembre. • Ivan Timofeïev, du Club Valdaï, décrit le scénario conduisant ce risque.
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Ci-dessous, on trouve un texte de Ivan Timofeïev, directeur programmes du club Valdaï (article d’abord publié par le Club de discussion Valdaï, traduit et édité par l’équipe RT). Une fois de plus est abordé la question, ici scénarisée précisément, d’un affrontement en Ukraine aboutissant à l’utilisation d’une arme nucléaire, puis à un conflit nucléaire mondial et totalement dévastateur. Pour certains théoriciens et philosophes qui ont réfléchi au problème posé par une telle perspective, l’avenir au-delà d’un tel conflit montant au niveau stratégique global où il n’y a pas de gagnant, est tout simplement impensable.
C’est évidemment ce qui est la marque, le poids principal de la pensée de Poutine, alors qu’elle semble totalement absente du côté opposé, comme s’il n’y avait pas de pensée à cet égard. (Hypothèse enrichissante qui mérite exploration.) Les critiques de plus en plus nombreuses qui sont adressées à Poutine pour sa “faiblesse” omettent en général de prendre en compte cette double charge. Là où elles parlent de “la faiblesse de Poutine”, elle devrait parler du “sens de la responsabilité” de Poutine, lequel sens semble totalement absent du côté opposé qui ne raisonne que selon une fausse morale, disons une “stratégie de la moraline-irresponsable”.
• D’une part, il doit mener une guerre contre l’Ukraine qui s’avère être une guerre contre l’OTAN ;
• D’autre part, il doit mener cette guerre de façon à pouvoir l’emporter au niveau conventionnel, sans utilisation de l’arme nucléaire tactique pour éviter tout risque d’escalade catastrophique alors que l’adversaire semble totalement dépourvu du sens d’une telle responsabilité.
Ivan Timofeïev décrit donc cette possibilité selon la formuler classique que nous venons de très-rapidement définir :
« Il n’est pas impossible que le conflit ukrainien puisse finir par conduire à une guerre nucléaire dans laquelle il n’y aura pas de gagnants. »
En fait, il n’existe guère d’autres voies, dans l’état actuel des esprits et de leurs faiblardes et soumises convictions, qui ne porte pas un tel risque dans une très forte proportion, que les deux suivantes que nous voudrions évoquer :
• La première, qui vient de s’ouvrir d’une façon éventuellement inattendue, à la conférence en Suisse, selon l’idée qu’exprime Andrew Korybko. Cette idée est dans la possibilité qu’une tierce puissance (Korybko cite l’Inde) se retrouve chargée d’une mission de compromis, éventuellement dans la logique d’une formule qui serait mise au point par l’initiative que la Chine et le Brésil préparent pour le prochain G20 de novembre. Cet ensemble de “possibles” se conjuguant implique des puissances qui ne sont pas aveuglées par la puissance pour la Russie mais qui ont de bonnes relations avec elles et qui sont d’une importance globale qui ne peut être ignorée par les pays américanistes-occidentalistes. Dans tous les cas, cette possibilité est largement dans l’esprit de Poutine et explique la prudence et la retenue que certains jugent être une faiblesse extrême de sa stratégie.
• La seconde est plus complexe, mais beaucoup plus radicale. D’une façon assez paradoxale, ou étrange, – ou tactique, avec la crainte de compromettre Trump, – la position de Poutine, plusieurs fois répétée, est que l’élection présidentielle aux USA ne changera rien à la position américaniste. Or, deux des trois candidats principaux ont une position tranchée sur les questions de sécurité nationale, dont la guerre en Ukraine fait aujourd’hui complètement et activement (et polémiquement) partie. Trump ne cesse de dénoncer la menace d’une Troisième Guerre mondiale, notamment pour les États-Unis, qu’avec lui cette menace n’existerait pas puisqu’on n’aurait pas eu de guerre en Ukraine, et qu’il réglera la question de cette guerre grâce à ses bonnes relations avec Poutine dès son élection. Robert Kennedy, lui, attaque directement le complexe militaro-industriel en affirmant qu’il réduira le budget du Pentagone de 50% s’il est élu, ce qui le met nécessairement dans le camp des adversaires de cette guerre.
On se trouve ainsi devant une situation hypothétique (si Trump est élu), si le conflit ukrainien est devenu paroxystique et prend des allures de devenir un conflit nucléaire, où les deux hommes seraient poussés à chercher un arrangement (par exemple un poste temporaire du plus haut niveau stratégique offert à Kennedy par le nouveau président-élu), ne serait-ce que temporaire pour coaliser leurs électorat selon une dynamique antiguerre immédiatement opérationnelle. Mais comment faire puisque leur pouvoir ne devient effectif que le 20 janvier 2025 ? La crise extérieure devient une crise institutionnelle dans des USA au bord d’une explosion majeure, tandis que toutes les forces du DeepState se trouveront en plein déchaînement contre les deux candidats pendant la période intermédiaire novembre-janvier, avec des risques énormes d’attentats, de troubles civils, etc.
• La question devient donc extrêmement pressante et énigmatique. Que se passera-t-il d’ici le mois de novembre par rapport aux risques d’approcher une aggravation très risquée de la guerre ? Que se passera-t-il si l’on se trouve à un tournant de la guerre lors de l’élection et que cette élection soit gagnée par Trump et aboutisse à une alliance temporaire avec Kennedy sur l’urgence de la crise ?
Dans tous les cas, il nous paraît extrêmement impossible, sinon impensable, qu’un lien direct et explosif ne s’établisse pas entre la guerre en Ukraine d’une part, l’élection aux USA elle-même et la dynamique nouvelle que créerait une victoire de Trump avec l’impossibilité d’une indifférence de Robert Kennedy à la situation d’urgence ainsi créée.
Ainsi se trouve concrétisé, au travers du terrible risque d’escalade que Timofeïev nous expose, le lien entre la guerre en Ukraine et la politique intérieure des USA, – nous disons bien “intérieure”, impliquant la situation structurelle des USA, –dont nous avons toujours dit notre conviction qu’il était à la fois très puissant et très inédit.
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Se peut-il que les forces de l’OTAN se retrouvent directement impliquées dans le conflit militaire entre la Russie et l’Ukraine ? Jusqu’à récemment, une telle question semblait très hypothétique, compte tenu des risques élevés d’escalade de la confrontation militaire entre le bloc dirigé par les États-Unis et la Russie vers un conflit armé à grande échelle. Mais ce scénario doit maintenant être pris au sérieux.
La participation directe de certains pays de l’OTAN ou de l’ensemble du bloc aux hostilités pourrait progressivement échapper à tout contrôle. Franchir la ligne rouge peut conduire à penser que la participation à cette guerre n’aura aucune conséquence. Le résultat de telles manœuvres peut se manifester à un moment inattendu et entraîner une situation beaucoup plus dangereuse que celle d’aujourd’hui.
À proprement parler, les pays de l’OTAN sont impliqués depuis longtemps dans le conflit. Cela revêt plusieurs formes.
Premièrement, les pays occidentaux fournissent à Kiev une aide financière et militaire substantielle, notamment des systèmes d’armes de plus en plus sophistiqués et destructeurs. Comme les stocks d’armes de type soviétique dans les arsenaux des anciens alliés de l’URSS au sein de l’Organisation du pacte de Varsovie ont été épuisés, l’armée ukrainienne reçoit davantage de systèmes et de munitions occidentaux. Jusqu’à présent, les livraisons de masse ont été limitées par les capacités de production de l’industrie de défense occidentale et par la taille des stocks existants. Mais si les hostilités traînent en longueur, la capacité industrielle pourrait augmenter. L’augmentation des approvisionnements est également inévitable en cas de trêve, ce qui permettrait à l’Ukraine de se préparer à une nouvelle phase des hostilités. La Russie ne peut guère compter sur un manque de volonté politique et de ressources en Occident pour accroître le soutien à Kiev. Moscou paraît se préparer au pire des scénarios, à savoir une augmentation constante de l’aide militaire substantielle sur le long terme à l’Ukraine. Outre la fourniture d’armes et de munitions, cette assistance comprend la formation de personnel, l’aide au développement de l’industrie et des infrastructures militaires, ainsi que le remboursement des dépenses dans d’autres domaines qui permettent à l’Ukraine de concentrer ses ressources sur le secteur de la défense.
Deuxièmement, l’Ukraine jouit d’un large soutien occidental sous forme de renseignements, y compris des données techniques provenant de satellites, de radars, d’avions de reconnaissance, etc. Les informations reçues permettent de mener un large éventail d’opérations, de la délimitation du théâtre d’opérations à l’identification de cibles spécifiques. Les fournisseurs de données peuvent être sélectifs pour en octroyer l’accès à la partie ukrainienne. Mais leur utilisation dans des opérations militaires contre la Russie ne fait aucun doute.
Troisièmement, des spécialistes militaires citoyens de pays de l’OTAN prennent part aux opérations militaires. Leur rôle n’est pas toujours officiel. Il peut s’agir de volontaires ou simplement de mercenaires sur la participation desquels les autorités de leurs pays ferment les yeux. Selon les estimations de la Russie, leur nombre était d’environ 2 000 en octobre 2023. Que cela soit exact ou non, il est clair que des étrangers se battent du côté de l’Ukraine, que leur participation est systématique et non fortuite, et qu’au moins certains d’entre eux sont des citoyens de pays occidentaux.
Leur participation n’a pas encore créé de risque excessif d’affrontement militaire direct entre la Russie et l’OTAN. Pour les partenaires occidentaux de Kiev, la lenteur dans l’évolution du conflit permet d’améliorer progressivement la qualité du soutien à l’Ukraine. Les livraisons de missiles de croisière sont devenues monnaie courante depuis longtemps. L’arrivée des avions de combat américains n’est qu’une question de temps. L’armée russe passe à la broyeuse le matériel occidental au fur et à mesure qu’il arrive. Mais les approvisionnements étrangers en Ukraine nécessitent également une concentration des ressources du côté russe.
Un facteur d’escalade important qui amplifierait le risque d’un affrontement direct entre la Russie et l’OTAN pourrait être l’apparition de contingents militaires des membres du bloc sur le territoire de l’Ukraine. La perspective d’un tel scénario a déjà été évoquée par certains responsables occidentaux, bien que leur vision n’ait pas été soutenue par les États-Unis et ne constitue pas une position officielle de l’OTAN. Un certain nombre de dirigeants du bloc ont pris leurs distances avec l’idée d’envoyer des troupes en Ukraine.
Qu’est-ce qui pourrait déclencher une telle décision et comment pourrait-elle être mise en œuvre ? Le facteur le plus probable d’une intervention directe de certains États ou de l’OTAN dans son ensemble serait un éventuel succès militaire majeur de l’armée russe. Jusqu’à présent, la situation sur le front reste relativement stable. Mais l’armée de Moscou a déjà remporté d’importantes victoires locales, accru la pression, pris l’initiative, élargi le front offensif et peut-être accumulé des réserves pour des actions plus décisives.
Il n’y a aucun signe de reprise de la contre-offensive ukrainienne de l’année dernière. Kiev serait à court de munitions, bien qu’à l’avenir, ce déficit puisse être comblé par des fournitures extérieures. Des attaques périodiques sur le territoire russe avec des missiles de croisière, des drones et de l’artillerie causent des dégâts et des victimes, mais ne perturbent pas la stabilité du front.
De plus, de telles frappes renforcent la détermination de la Russie à créer des zones tampons, c’est-à-dire des territoires depuis lesquels Kiev ne pourra pas attaquer des cibles dans les régions russes.
Un éventuel effondrement de certains secteurs du front ukrainien et des avancées territoriales importantes des forces russes vers l’ouest deviennent un scénario de plus en plus réaliste.
Le fait qu’aucune avancée ni percée profonde n’ait eu lieu depuis un certain temps ne signifie pas que cela ne sera pas possible à l’avenir. Au contraire, cette probabilité augmente en raison de l’expérience au combat de l’armée, des fournitures du complexe militaro-industriel au front, des pertes du côté ukrainien, des retards dans la livraison du matériel occidental, etc.
La capacité de l’armée russe à réaliser de telles avancées et percées augmente également. Un scénario catastrophique pour des groupes ukrainiens isolés n’est pas inévitable, mais il est probable. Une percée majeure de l’armée russe vers Kharkov, Odessa ou une autre grande ville pourrait devenir un déclencheur sérieux pour les pays de l’OTAN vers une solution pratique de la question de l’intervention dans le conflit. Plusieurs percées de ce type, simultanées ou consécutives, soulèveront immanquablement la question.
Ici, chaque pays et le bloc dans son ensemble se heurtent à une bifurcation stratégique. La première option est de ne pas intervenir et de soutenir l’Ukraine uniquement avec du matériel militaire, de l’argent et des « volontaires ». Peut-être d’admettre la défaite et de tenter de minimiser les dégâts par des négociations, évitant ainsi une catastrophe encore plus grande. La deuxième option consiste à changer radicalement la vision de l’implication dans le conflit et à permettre une intervention directe.
L’intervention peut prendre plusieurs formes. Elle peut inclure l’utilisation d’infrastructures, notamment des aérodromes des pays de l’OTAN. Cela pourrait signifier le déploiement massif de certains détachements de liaison et d’ingénierie et de systèmes de défense antiaérienne, tout en évitant leur présence sur la ligne de front. Un scénario plus radical consisterait à déployer un contingent issu de certains pays de l’OTAN à la frontière entre l’Ukraine et la Biélorussie. Enfin, une option encore plus radicale serait le déploiement de contingents militaires des pays de l’OTAN sur la ligne de front, un seuil qui serait sans doute catégoriquement inacceptable pour le bloc.
Chacun de ces scénarios implique un affrontement direct entre les forces russes et celles de l’OTAN. Une telle situation poserait inévitablement la question d’une implication plus profonde des blocs et, à plus long terme, d’un transfert du conflit militaire vers d’autres zones de contact avec la Russie, notamment la région baltique. À ce stade, il sera encore plus difficile d’arrêter l’escalade. Plus les pertes seront importantes pour les deux parties, plus le tourbillon des hostilités augmentera et plus elles se rapprocheront du seuil d’utilisation des armes nucléaires. Et alors il n’y aura plus de vainqueurs.
Tout cela ne sont que des options hypothétiques. Mais elles doivent être examinés maintenant. Après tout, il n’y a pas si longtemps, des livraisons militaires aussi importantes à l’Ukraine semblaient improbables, tout comme le conflit lui-même il y a trois ans. Aujourd’hui, c’est une réalité quotidienne. L’évolution vers une guerre à grande échelle entre la Russie et l’OTAN doit être prise au sérieux.