Robert Orwell Gates attaquera-t-il l’Europe pour l’emporter en Afghanistan?

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Les experts les plus huppés du continent (européen) sont stupéfaits par la violence de l’attaque de Robert Gates, le secrétaire US à la défense, contre les pays européens, pour leur manque de zèle démocratique et américaniste à participer au combat pour la liberté en Afghanistan, éventuellement en faisant exploser épisodiquement l’un ou l’autre bus chargé de civils afghans. Shoking, dit Dana Allin, un distingué senior fellow à l’IISS de Londres, si prêt à comprendre la colère américaniste, qualifiant de «very striking» les remarques de Gates et observant, le cœur débordant de compréhension pour les affres des âmes diverses et camouflées de McChrystal & compagnie: «Whether this is a conscious statement to sound a real sharp warning, there’s no question that the frustration among the American military establishment is palpable regarding coalition operations in Afghanistan.»

La citation est empruntée au respectable et vertueux New York Times de ce 24 février 2010, qui nous fait rapport de la colère de Gates… En fait, nommons-le Robert Orwell Gates, puisque son argument, très churchillien selon la nomenclature neocon, est que le goût pour la paix des Européens est une menace pour la paix. Qui pense à Munich le fait bien, car il montre qu'il sait bien que la machine de guerre talibane vaut bien celle de Hitler et est absolument décidée, avec tous les moyens pour cela, à conquérir le monde. La solution pour Robert Orwell Gates? Acheter du matériel de guerre US et dépenser autant que le Pentagone, dont on connaît le stupéfiant rapport intelligence-efficacité dans la gestion de son budget pharaonique.

«Defense Secretary Robert M. Gates, who has long called European contributions to NATO inadequate, said Tuesday that public and political opposition to the military had grown so great in Europe that it was directly affecting operations in Afghanistan and impeding the alliance’s broader security goals.

»“The demilitarization of Europe — where large swaths of the general public and political class are averse to military force and the risks that go with it — has gone from a blessing in the 20th century to an impediment to achieving real security and lasting peace in the 21st,” he told NATO officers and officials in a speech at the National Defense University, the Defense Department-financed graduate school for military officers and diplomats. A perception of European weakness, he warned, could provide a “temptation to miscalculation and aggression” by hostile powers.

»The meeting was a prelude to the alliance’s review this year of its basic mission plan for the first time since 1999. “Right now,” Mr. Gates said, “the alliance faces very serious, long-term, systemic problems.”

»Mr. Gates’s blunt comments came just three days after the coalition government of the Netherlands collapsed in a dispute over keeping Dutch troops in Afghanistan. It now appears almost certain that most of the 2,000 Dutch troops there will be withdrawn this year. And polls show that the Afghanistan war has grown increasingly unpopular in nearly every European country.

»The defense secretary, putting a sharper point on his past criticisms, outlined how NATO shortfalls were exacting a material toll in Afghanistan. The alliance’s failure to finance needed helicopters and cargo aircraft, for example, was “directly impacting operations,” he said. Mr. Gates said that NATO also needed more aerial refueling tankers and intelligence-gathering equipment “for immediate use on the battlefield.”

»Yet alliance members, he noted, were far from reaching their spending commitments, with only 5 of 28 having reached the established target: 2 percent of gross domestic product for defense. By comparison, the United States spends more than 4 percent of its G.D.P. on its military.»

Notre commentaire

@PAYANT Robert Orwell Gates, appuyé sur l’exemple striking de bonne utilisation des deniers publics qu’est le programme JSF, où il est fait cocu par le premier vice-président de Lockheed Martin venu, est effectivement idéalement placé pour faire la leçon aux Européens en fait de dépenses militaires. Mais en réalité, ce qui est le plus stupéfiant dans cette attaque, c’est la façon dont elle évite l’objectif principal tout en étant d’une violence inégalée. Il y a là une pensée profonde de la bureaucratie du Pentagone qui a enfanté ce discours. S’il nous avait dit, Gates, qu’il préparait une attaque contre La Haye, pour effectuer une opération de régime change et imposer une vraie démocratie aux champs de tulipes avec envoi immédiat de fleurs en Afghanistan, nous l’aurions peut-être pris un peu plus au sérieux.

L’intérêt de la chose est de constater que l’impavide Robert Orwell Gates commence à perdre son sang-froid, ce qui est une indication plus qu’assurée que les choses ne se déroulent pas du tout en Afghanistan comme l’espère ardemment le président Barack Obama; ce qui est également une indication assurée que la remarquable performance de Ron Paul notamment appuyée sur une critique ardente de la politique belliciste de Washington flanque une pétoche considérable à la bureaucratie du Pentagone, notamment pour ce qu'elle révèle du sentiment bourgeonnant dans la droite conservatrice US vis-à-vis des aventures lointaines; et ainsi de suite, puisqu’il importe de lire entre les lignes…

Pour le reste, cette attaque de Orwell Gates n’a strictement aucune chance d’aboutir, sinon auprès de quelques clowns comme Saakachvili et l’un ou l’autre président letton et balte, avec quelques dizaines de soldats supplémentaires pour l'Afghanistan. L’avantage de Washington d’avoir en face de lui des gouvernements européens d'une faiblesse considérable et qui lui sont tout acquis se paye de l’inconvénient de la faiblesse de la plupart de ces gouvernements dans leur propre politique. Cette faiblesse existe également au niveau des rapports avec l’électorat et, en général, dans leur situation politique intérieure. L’aventure hollandaise montre que la chose est sérieuse et que la chute d’un gouvernement peut sanctionner une politique qui n’est même pas celle d’un engagement conséquent et argumenté en Afghanistan, mais plutôt celle d’un “suivisme” de la politique US comme il est de coutume. Bien entendu, cet argument vaut encore plus fortement pour le domaine choisi par Gates pour porter son attaque, qui est plus celui des matériels que celui des hommes, qui pèse par ailleurs tout son poids de lobbyisme en faveur de l’achat de matériels militaires US comme ont l’habitude de faire tous ces pays. Au reste, on irait jusqu'à penser que la forme de l'attaque de Gates, portant plus sur l'acquisition de matériels que sur l'envoi de troupes, ou le maintien de troupes en Afghanistan, signifie aussi bien que le Pentagone fait avec ce qu'il a et n'espère plus obtenir, par la pression, que des commandes de matériels pour nourrir son industrie, plus que des engagements en troupes supplémentaires.

Même cela constitue un effort désespéré. Gates croit-il une seconde que la Grèce, l’Espagne ou l’Italie pourrait envisager d’acheter un hélicoptère de plus, ou bien un ravitailleur en vol (lequel? Celui que l’USAF n’est elle-même pas capable d’acheter ?), pour satisfaire de soi-disant besoins matériels en Afghanistan? Tous les pays européens sont dans un état de panique budgétaire et économique généralisée, avec, en plus, la perspective d’une aggravation constante du désordre social. Dans ces conditions, les dépenses de défense, même liées au combat évidemment sacrée en Afghanistan, n’ont aucune chance d’augmenter. Les seuls pays qui maintiennent un budget important sont des pays d’ores et déjà engagés (Royaume-Uni) ou qui refusent de le faire plus qu’ils ne font, avec une certaine capacité de tenir ferme sur ce refus (France, Allemagne).

Par conséquent, on considérera cette attaque de Gates plus comme une indication de la nervosité croissante du Pentagone, et de la gravité de la situation, aussi bien au Pentagone même qu’en Afghanistan et avec les liens entre ces deux situations, qu’une offensive vers une “capitulation” des Européens. D’un point de vue politique, les Européens ont capitulé depuis longtemps, ils soutiennent les USA, prodiguent des encouragements, applaudissent constamment lors des réunions de l’OTAN, mais ils ne donnent rien de plus, rien de concret pour l’Afghanistan. Ils sont trop faibles pour cela, répétons-le, trop faibles pour ne pas suivre les USA, trop faibles pour répondre aux exigences des USA… On a les alliés qu’on peut et on a ceux qu’on mérite, ceci et cela allant aujourd’hui parfaitement de pair.

Bonne chance, Robert Orwell Gates.


Mis en ligne le 24 février 2010 à 14H53