Rogozine et l’OTAN : vieille chose du passé

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Rogozine manquera à Bruxelles puisque c’était à peu près le seul “officiel” capable de dire tout haut des choses intéressantes, le plus souvent vraie, très souvent pleines d’ironie, à propos de l’OTAN. Rogozine vient de quitter son poste d’ambassadeur russe auprès de l’OTAN (depuis 2008) pour le poste de vice-Premier ministre chargé du “complexe de défense” (dito, de l’industrie et de la production de matériels de défense). Il amène avec lui une précieuse expertise et une vision marquée, quoique sans réelle surprise, de cette organisation.

Russia Today donne, ce 26 décembre 2011, quelques impressions de Rogozine sur l’OTAN et le reste, sur les affaires autour de l’OTAN, etc. Rogozine les a communiquées à des chefs militaires, lors d’une visite du complexe de Krasnoznamensk.

• Quoi qu’il se passe, quoi que les évènements nous disent, l’OTAN elle-même, en tant qu’entité capable évidemment de juger et de penser, en est à peu près à son état d’esprit du tout début des années 1950, lors du premier secrétariat général de l’OTAN, de Lord Ismay. La même formule qui présida officieusement à la fondation de l’OTAN, «Keep America in, Germany under and Russia outside», reste valable. L’OTAN “craint” une résurgence de la Russie communiste et de l’Allemagne nazie, rien de moins. Rogozine estime que, pour le cas de l’Allemagne et de l’Europe en général, cette attitude fait que l’OTAN, et les USA derrière, ne “permettront” jamais que se forme une entité militaire européenne.

«“No matter what Russia may be – imperial, communist or democratic – they see us with the same eyes as they did in the previous centuries” he said. The same attitude applies to Germany, Rogozin says… […] “The relationship with Germany also remains complicated, because they still fear it,” he said. “The Germans have no more than battalions in the NATO army, which does not exist in fact but unites national forces for certain operations.”

»“NATO continues to live by the principles set down by NATO Secretary General Lord Ismay: ‘America in, Germany under and Russia outside,’” Rogozin said. “This means control over German militarism; they understand…that the Germans may always develop into a force, which will consolidate Europe around itself," he said.»

• Il s’en déduit évidemment que, selon l’OTAN, telle que Rogozine l’a perçue, et selon les USA dont l’OTAN est la chose, l’Amérique doit être présente en Europe par tous les moyens possibles. La mission des Russes est donc de surveiller avec la plus grande attention possible l’OTAN, ses sponsors américanistes et toute la quincaillerie qui va avec.

« “America must be represented in Europe by hook or by crook,” he said. “Russia must be held at a distance – and the farther the better.” […] “Hence the mission of Russian diplomats, military diplomats and intelligence officers is the opposite: they must be inside all the time and prevent the Americans from being alone with the Europeans,” he said. […]

»“The Americans invented a story that Europe cannot do without them,” Rogozin said. […] What this means for Europe is that they have become “hostages and targets of a retaliation attack,” without even having access to the American technologies.

»Rogozin found tremendous irony in the situation, since it was the contributions of the all the western countries that allowed for the development of such systems, which remain, nevertheless, under American control. “The American strategy, including that within NATO, is based on the absolute technological superiority in the Western world and on European monetary contributions to the US defense sector, which are spent on the development of these systems,” he concluded.»

• Le sujet favori, pour les Russes et donc pour Rogozine, reste la question des missiles anti-missiles (réseau BMDE). La vision de Rogozine est sarcastique, méprisante pour les Européens, abrupte pour l’OTAN qui dit “oui” et n’y comprend rien, et ainsi de suite… Pas de surprise.

«“NATO has no such technologies or experience, they do not understand what is going on and they do not understand that NATO, the European allies of America, are nothing but a shield and a lamb to slaughter,” [Rogozine] said. […] “We have scrutinized the agreement the Americans have signed with the Romanians [on the deployment of US interceptor missiles in Romania in the construction of the European missile defense],” the former NATO envoy said. “The Romanians may think they are important interception missile operators but even the base commander, a Romanian serviceman, has the right to enter only the lobby.” He (the Romanian base commander) will never visit the control station for a very simple reason that the base is American, not NATO, Rogozin added.»

L’analyse générale de l’OTAN par Rogozine sonne absolument conforme à ce qu’il est raisonnable de penser de l’OTAN. Que l’organisation en soit restée au début des années 1950 et que les USA n’entretiennent l’OTAN que pour pouvoir empêcher tout développement d’une autonomie européenne en matière de défense, que le réseau anti-missiles soit imposée à l’OTAN et à l’Europe sans que l’OTAN et l’Europe n’y comprennent rien ni n’aient le moindre pouvoir de contrôle sur la chose, tout cela rencontre l’évidence même des choses. Il est inutile de s’attarder à ce que nous disent les communiqués de l’OTAN, voire des “sources officielles” à cet égard, puisque les uns et les autres se trouveront toujours conformés à leur mission de communication qui est de faire de l’OTAN une organisation de son temps, évoluant avec son temps, en accord avec son temps. Simplement, Rogozine juge que “son temps”, c’est 1953 et Lord Ismay, et ce n’est pas complètement absurde.

Pour le reste, il n’est pas assuré que la situation de l’OTAN corresponde vraiment aux évènements du temps. Les USA ont entamé un processus de désengagement de leurs dernières forces en Europe (une brigade sans doute retirée d’Europe en 2012) et leur puissance générale en cours d’effondrement, avec les incertitudes de leur situation intérieure, diminuent d’autant leur poids d’influence militaire en Europe. Cela n’implique par ailleurs rien d’évident pour l’Europe, elle-même dans la situation désastreuse qu’on sait, car les Européens sont aujourd’hui moins contraints à leur allégeance pour les USA que fortement, sinon hystériquement désireux de la prolonger le plus longtemps et le plus complètement possible. (Cela nous en dit long pour les projets de forces armées “européennes” dont on continue à parler comme l’on récite les actes d’un catéchisme aussi vieux que l’OTAN. Mais qu'importe, ces projets n’ont plus, dans le contexte de la crise générale d’effondrement que nous subissons avec tout ce qui l’accompagne, qu’une importance extrêmement mineure, si mineure en fait qu'on peut avancer l'hypothèse de leur absence totale d'existence en tant que tels.)

Au reste, comme on le comprend avec le système BMDE, il s’agit moins des USA présents en Europe que du complexe militaro-industriel qui entend poursuivre l’expansion de ses ventes et de ses implantations, sur le rythme bureaucratique et commercial propre au système de l’américanisme. Par conséquent, l’allégeance de l’Europe aux USA se poursuivra au travers de l’OTAN, mise à part cette observation que cette allégeance est de plus en plus, du point de vue de la sécurité et de la “tranquillité” de l’Europe (version 1953/Lord Ismay) une allégeance à quelque chose qui s’apparente de plus en plus au rien. Cela n’importe pas vraiment, d’ailleurs, puisque l’Europe elle-même, dans tous ses projets d’existence intégrée et de coopération, y compris au niveau de la sécurité, approche elle aussi de la situation du rien. En cela, le bloc américaniste-occidentaliste (BAO) se retrouve bien soudé, tel qu’en lui-même, et l’allégeance de l’Europe à l’OTAN/USA également située du point de vue de l’importance de la situation, proche de la situation du rien.

Le seul point intéressant, qui montre une part de vérité, est ce que les déclarations de Rogozine nous disent de la position russe par rapport à l’OTAN et à l’Europe. (De même que le départ de Rogozine de ce poste clef, d’ailleurs, – qui, ainsi, s’avère n’être plus un poste clef : Rogozine, avec son poids et sa personnalité, était un élément majeur des relations de la Russie avec l’OTAN.) L’OTAN et l’Europe, considérées du point de vue de la sécurité, sont en passe de devenir des problèmes beaucoup moins complexes pour la Russie, même s’ils conservent leur importance. La question de la coopération, d’arrangements importants, voire de la possibilité d’intégration d’une façon ou l’autre, tend à s’effacer complètement pour la Russie. Tout espoir est mis de côté de ce côté, de même qu’avec les relations directes avec les USA, ramenées au stade bien connu de la méfiance permanente, parfois au bord de la confrontation. Désormais, comme le dit Rogozine, la mission des Russes, notamment de leurs agents d’influence et de renseignement, est de tout faire pour gripper la machine de l’OTAN, et notamment les relations entre les USA et les Européens. Le seul point qui semble échapper à ce constat général est la mention spéciale qui est faite de l’Allemagne, qui est un rappel indirect aux Allemands qu’ils ont des liens spéciaux avec la Russie, qu’ils continuent à être traités avec suspicion par l’OTAN, qu’ils devraient réfléchir en fonction de cela… Rappel sans grand espoir d’un changement fondamental de l’Allemagne vis-à-vis de l’OTAN, mais qui se comprend pour rappeler aux Allemands combien leurs liens avec la Russie les engagent.


Mis en ligne le 27 décembre 2011 à 06H18

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