Rogozine : L’OTAN sait-elle ce qu’elle fait ?

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Ce n’est pas nouveau, cela ; l’ambassadeur russe à l’OTAN Rogozine a entretenu de longue date des doutes sur la santé mentale et le fonctionnement “opérationnel” de ce qu’on pourrait nommer la “psychologie collective” de cette Organisation, qu’il juge parcourue de divers mouvements, tendances, intrigues, spasmes divers et, par dessus tout, affectée d’un aveuglement extrêmement efficace. (Voir, par exemple, notre F&C du 9 mai 2009.)

Les doutes ne cessent de grandir et de se muer en quasi-certitude… Russia Today, relayant le 7 décembre 2011 une interview d’Interfax, rapporte quelques propos de Rogozine concernant les interférences de l’OTAN dans le “printemps arabe”.

«“NATO’s political and military interference in the Arab spring may bring about a ‘hot Arab summer’, with a whole range of consequences for neighboring regions,” Dmitry Rogozin told Interfax ahead of Thursday’s Russia-NATO Council ministerial meeting. He added that as a result of NATO’s interference, “Sharia law is coming to previously relatively secular states”. […]

»The diplomat went on to say that during the military operation in Libya, the NATO-led international coalition “revamped” the relevant UN Security Council resolution. “It said: no bombing – and they were bombing. It said: no arms deliveries to any party – and they were delivering arms. It said: no land operation – and they conducted special forces operations. It said: do not intervene in the domestic political situation – and they changed it,” Rogozin stressed.»

Un point intéressant du texte doit être mis en évidence. Il s’agit de cette appréciation de Rogozine, pour la réunion OTAN-Russie (aujourd’hui) : «At the December 8 meeting in Brussels, Russia wants to find out “to what extent NATO is aware of the fact that the coming of radical Islam to all the regions where it ‘projected its force’ is a result of its actions”, the envoy insisted.»

…C’est une question intéressante, qui revient à se demander si l’OTAN, les gens de l’OTAN, l’organisation elle-même savent exactement ce que fait l’OTAN et à quoi aboutit son action. Le paradoxe ironique de cette remarque de Rogozine, est que sa démarche rejoint les interrogations furieuses de nombreux milieux israéliens sur les effets des actions occidentales en général (en Libye, certes, mais aussi avec leurs interférences dans certains pays dont les résultats électoraux privilégient la montée très puissante des forces islamistes). D’une certaine façon, les Russes ont, sur ce point, une proximité d’analyse conjoncturelle avec Israël, alors que leurs positions sur nombre d’autres crises fondamentales (l’Iran, par exemple) sont quasiment antagonistes. Les Russes ont, eux aussi, des proximités avec des pays musulmans, comme ils ont déjà eu des conflits avec des forces islamistes (la Tchétchénie) et ils sont clairement adversaires de cette poussée qu’ils considèrent comme dangereuse.

Cela étant admis comme une évidence d’une certaine importance, il reste que la question de Rogozine est effectivement très intéressante : l’OTAN sait-elle vraiment ce qu'elle fait et quels effets engendrent ses actions ? Bien entendu, la question peut être étendue au reste du bloc BAO, dont l’action est souvent duplicative de celle ce l’OTAN, ou bien entraîne celle de l’OTAN. A notre sens, et dans un cas notamment, selon certaines hypothèses peu répandues mais qui ne manquent pas d’intérêt, deux réponses sont possibles (l’une et l’autre ne s’excluant d’ailleurs pas et pouvant être complémentaires).

• La première réponse est : non, l’OTAN ne s’aperçoit pas du résultat de son action. Dans ce cas, même si cette réponse peut être étendue aux pays du bloc BAO en général, elle vaut surtout pour ses organisations internationales, telles que l’OTAN justement, avec une forte bureaucratie dont l’activité principale est de produire de l’“opérationnalité”, pour exister et renforcer leur existence, par le fait même de l’action et de l’intervention, sans vraiment se préoccuper de la philosophie de cette action et de ses effets. C’est un cas classique de bureaucratisation de l’action, qu’on retrouve au même degré d’aveuglement, par exemple, dans l’Union européenne (les institutions européennes), qui agit, elle, au niveau financier de l’aide économique. Les processus de décision sont décrits, selon des appréciations qui participent d’une position critique puisqu’émises dans des services politiques qui peuvent évaluer les effets politiques de ces actions, comme simplement “techniques”, comme absolument dépourvues d’un moindre élément politique dans leur réalisation. Parfois, des services bureaucratiques découvrent effectivement les résultats politiques de ces actions et en sont absolument consternées (comme c’est le cas actuellement pour la Libye), mais ces constats épisodiques ne peuvent rien contre l’élan de la machinerie bureaucratique. La même chose pourrait être dite de l’action militaire de l’OTAN, qui est d’abord une action de renforcement d’une bureaucratie militaire. En ce sens, Rogozine a raison : stricto sensu, “l’OTAN ne sait pas ce qu’elle fait”. D’ailleurs, les résultats politiques qu’elle obtient par son action militaire, par rapport aux buts politiques officiellement affichés par les directions politiques (démocratisation à l’occidentale), sont suffisamment significatifs à cet égard.

• Mais il existe une deuxième explication, extrêmement peu répandue, et qui relève essentiellement de l’hypothèse que font certaines sources. Nous dirions qu’elle naît de la première et se développe à partir d’elle, selon une logique fataliste, comme si l’on disait : “puisque cette dynamique est en route, pourquoi pas la suivre, voire la développer en appréciant son apport politique ?” C’est une nouvelle approche qui prend en compte les problèmes qui sont en train de s’imposer, de chaos et d’incontrôlabilité des affaires du monde (voir notre F&C du 2 novembre 2011). Ces sources prennent bien soin de préciser qu’il n’y a là aucune action structurée, aucune politique (encore moins), aucun “complot” non plus. Il y a des réflexions, des tendances qui prennent en compte la situation ainsi créée et observent : “pour (re)donner un peu de stabilité à ces pays secoués par les évènements des douze derniers mois, les groupes islamistes, très bien structurés, avec une forte dimension sociale, une influence structurée sur une religion très pressante, constituent des solutions tout à fait acceptables”. Ces observations impliquent que les groupes islamistes, venant au pouvoir, peuvent aisément éviter l’écueil de l’extrémisme, d’autant plus qu’ils sont naturellement conservateurs. (L’exemple de l’Iran brouille-t-il ces observations ? Pas vraiment, si l’on considère la vérité de la situation iranienne, qui est de vivre sous la contrainte extérieure d’un pouvoir, d’un Système devenu fou, qui gouverne le bloc BAO et remet sa politique à des obsessions ; dans le cas iranien, cela implique une pression terroriste insupportable, illégitime et illégale, qui conduit évidemment à des positions extrémistes de riposte…) On peut par exemple faire l’hypothèse que certains groupes dans les services de renseignement britanniques, qui gardent historiquement une tendance “arabisante” qui fut illustrée par le colonel Lawrence, sont engagés dans de telles réflexions. Qu’une telle évolution implique un changement complet et radical par rapport à l’époque Bush et la “Guerre contre la Terreur” ne la discrédite pas pour autant… On dirait même, à la vitesse où vont les choses et leurs bouleversements, et où les perceptions sont forcées à l’évolution : au contraire.


Mis en ligne le 8 décembre 2011 à 09H03