Ron Paul et la croisée des chemins

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La position actuelle de Ron Paul est à la fois extrêmement insaisissable et extrêmement contrastée, et extrêmement originale par conséquent pour les normes-Système de ce type d’activité (l’élection d’un président, chose particulièrement standardisée aux USA). Dans la course des primaires républicaines, Paul est à la fois constant dans sa position et insuffisant dans ses résultats directs, mais peut-être avec une stratégie secrète dont nul ne sait quels seront les résultats et dont lui-même espère beaucoup. Il est d’autre part l’objet constant d’une stratégie d’obstruction du parti républicain et de l’establishment quasiment sans dissimulation, avec trois primaires (Iowa, Nevada, Maine) sur une dizaine déjà faite entachées de fraudes, toutes les trois à son désavantage.

Peut-être la dernière d’entre elles (le Maine) sera-t-elle redressée à son avantage, ce qui ferait de lui le vainqueur de la primaire aux dépens de Romney. Le fait que les résultats présentés comme définitifs du Maine (Romney premier, Paul second) aient été annoncés avec un comptage portant sur 84% des voix exprimées et dépouillées, ce fait laisse à penser quant à l’impudence des procédés et à la priorité de l’action anti-Paul. Le reste des votes dans le Maine a été renvoyé au prochain week-end : il s’agit du comté de Washington, notoirement favorable à Paul, dont les opérations électorales ont été annulées à cause d’une tempête de neige qui n’a pas eu lieu… Et il y a moins de 200 voix séparant Paul de Romney.

Russia Today nous rapporte l’aventure, ce 13 février 2012, ajoutant les commentaires officiels du directeur de la campagne de Ron Paul. On voit confirmées les déclarations quasi-officielles faites au début de la campagne, la veille des votes dans l’Iowa, sur la volonté de l’establishment de stopper Paul par tous les moyens (voir le 4 janvier 2012).

«News stations jumped the gun and declared Romney the winner over the weekend, and taking into account the available numbers on Saturday, they were right. But as the networks begin relaying the results, they failed to recognize that Washington County, Maine — a stronghold in the Ron Paul presidential campaign — had their caucus mysteriously postponed. The jurisdiction had their caucus suspended due to an expected three inches of snow, which in actuality turned out to be a mere dusting. When the residents of Washington County are allowed to cast their votes next week, Ron Paul could be declared the real winner in Maine.

»With only 84 percent of the votes tallied in Maine, Romney was declared the victor with 39 percent of the votes favoring the former Massachusetts governor. In second place, however, was Texas Congressman Ron Paul, who only fell flat of Romney by fewer than 200 votes. The Paul campaign had predicted a win in Washington County, and when voters are finally allowed to voice their opinion, the mainstream media may have to retract their earlier opinion.

»Ron Paul’s team feels that it was a bit fishy that Washington County was washed away on caucus day. “The caucus was delayed until next week just so the votes wouldn’t be reported by the national media,” campaign manager John Tate explains to Ron Paul supporters. “The truth is, there is no length to which the GOP establishment won’t go. There is nothing the mainstream media won’t do,” Tate added.“This is MAINE we’re talking about,” John Tate’s email continues. “The GIRL SCOUTS had an event today in Washington County that wasn’t cancelled! And just the votes of Washington County would have been enough to put us over the top. This is an outrage.”

»In his response, Tate also writes that the “GOP establishment and their pals in the national media…will do anything to silence our message of liberty.”»

• Mais l’affaire du Maine ne règle pas tout, tant s’en faut, si elle cristallise éventuellement certains remous, y compris à l’intérieur du camp “paulien”… Il y a un certain courant, soit de désarroi, soit de doute, soit d’attente d’autre chose, qui apparaît dans le mouvement paulien devant ce qui est perçu comme des résultats insuffisants, quoi qu’il en soit des fraudes et du barrage anti-Paul de l’establishment. Il y a notamment des critiques tactiques sur le contenu de la campagne de Ron Paul, qui reviendraient finalement à faire reproche à Ron Paul de sa vertu, – trop pédagogique, pas assez “électoraliste”. On trouve cette sorte de reproche sur l’un des sites de Ron Paul, là où ses partisans s’expriment, par exemple ce 14 février 2012, où un anonyme estime que Ron Paul devrait se concentrer sur l’économie d’une façon concrète, plutôt que se disperser sur de grandes idées (l’attaque contre la Federal Reserve, la politique étrangère) qui sont loin des préoccupations, sinon de la compréhension des électeurs : «They don't know what ending the Fed means. More to the point, most probably don't care. […] [H]is main points of attack should always be the economy, cutting spending, spuring job growth, saving social security and ending our foreign intervention. Those should always be the main points. […] I firmly believe with just some minor changes he could have won several states. The voters are actually desperate for an alternative and they don't see that in Paul.»

• … Il y a aussi des critiques plus fondamentales, qui sont d’ailleurs moins des critiques que des constats, et des propositions d’action différente, – et là, sans aucun doute, il s’agit du dilemme fondamental de Ron Paul, et la chose apparaît beaucoup plus importante. Il s’agit de l’argument que, simplement, dans le cadre du parti républicain, Ron Paul n’a aucune chance d’emporter la nomination, et plus encore, qu’il n’est peut-être pas de son intérêt de l’emporter... C’est l’argument de Justin Raimondo, qui paraîtra inattendu à certains par rapport à sa constante attitude de soutien de Ron Paul, mais qui l’est moins si l’on connaît le personnage qui est d’abord à la fois un intellectuel et un théoricien de l’action politique dont les vues peuvent être larges. Raimondo estime que le mouvement libertarien, que Paul représente, n’a aucune chance de s’imposer dans le parti républicain ; par contre, Raimondo ne pense absolument pas que Paul doive changer sa rhétorique (par exemple, il l’approuve tout à fait de mettre la politique extérieure au cœur de son discours). L’essentiel devient alors de chercher un moyen de concrétiser des soutiens extérieurs au parti républicain, y compris chez des libéraux (des “progressistes”) qui ont mesuré la complète soumission d’Obama à l’establishment pro-guerre de Washington, et mesuré par contre l’audace révolutionnaire des propositions de Paul. (Sur Antiwar.com, le 13 février 2012.)

«The problem for Paul, politically, is that he has run up against the limitations of working within the GOP: give or take regional variations, Paulians make up somewhere around 20 percent of the Republican primary electorate. If we look at the demographics of his support, we see that his voters are overwhelming young (under 40), politically independent, and make under $50,000 a year – not your typical Republican voter by any means, except for the fact that they are also overwhelmingly male and white.

»One of the most important gains of the Paul campaign is the way it has attracted support from unexpected quarters: several prominent liberal-left writers and activists – and even celebrities, such as Bill Maher and Jon Stewart – have either endorsed Paul or else defended him against his “progressive” and neoconservative critics. That not many of these people feel comfortable voting in a Republican primary is a problem the Paulians will have to overcome.

»This, however, is just one aspect of a larger problem: how to build a broader, more inclusive movement, one that has the makings of a national coalition that will run the War Party out of Washington on a rail. Paul has already set the terms for such a coalition: he points out at every opportunity that the only way to avoid the draconian austerity measures that are coming is to “get rid of the Empire and bring that money home.”…»

D’où la conclusion implicite, et même quasiment explicite de Raimondo : il faut rompre… Cela signifie, concrètement, une candidature indépendante, un “troisième parti”, et effectivement une rupture avec le parti républicain (et c’est nous qui soulignons le mot fondamental, de “rompre”) : «What course Paul’s movement takes at this critical juncture will shape the future of the anti-interventionist movement in America for years to come. There has been ample speculation he will take the third party route, and lead his substantial and devoted following out of the GOP. Whether that will – or ought to – occur is beyond my pay grade. Yet the fact remains that the natural ceiling of Paul’s support, at this conjuncture, has been reached: his movement must break out of its partisan cul de sac in order to grow and succeed…»

… Au reste, cette idée d’une candidature indépendante de Ron Paul est depuis longtemps dans bien des esprits. (Y compris dans l’esprit de Raimondo.) Nous-mêmes l’avons exprimée à plusieurs reprises, y compris comme une issue inéluctable et inévitable si Ron Paul veut vraiment tenter quelque chose de sérieux (voir, par exemple notre Bloc Notes du 31 octobre 2011). Nous serions même tentés, dans nos mauvais jours et écartée l’excitation de certaines élections des primaires, d’observer qu’un Ron Paul par miracle désigné candidat du parti républicain serait soumis à bien plus d’obstacles, de pressions, de freins que s’il était candidat indépendant. Dans tous les cas, à notre sens l’argument se tient. Les résultats de Ron Paul dans la campagne et la relative efficacité de la machine républicaine pour le freiner le renforcent sans aucun doute.

La chose est d’autant plus envisageable en théorie que certaines analyses tendent, parfois involontairement, à sortir Ron Paul du carcan républicain, en dessinant un personnage renvoyant à des origines inspiratrices qui n’ont rien à voir avec le parti républicain. Ainsi d’un long article de Forbes qui assimile, en termes louangeurs, Ron Paul à… Thomas Jefferson. C’est complètement paradoxal dans la mesure où Jefferson, grand ennemi du fédéraliste Alexander Hamilton, lui-même inspirateur du parti républicain centralisateur de Lincoln jusqu’à nos jours, Jefferson donc est l’inspirateur dans tous les sens du terme du parti démocrate défini selon ses vertus originelles. (C’est en se référant à une lettre du secrétaire d’Etat Jefferson au président Washington en mai 1791 que le parti démocrate a été développée dans sa structure actuelle, à partir du parti démocrate populaire de Jefferson. Cette lettre protestait contre la corruption du Congrès et adressait implicitement une critique sévère du cadre fédéral centralisé, comme structure absolument propice à la corruption du processus politique par les grandes fortunes et les puissances industrielles.) Bien entendu, cette référence jeffersonienne va au décentralisateur, au théoricien de la démocratie local, au partisan des droits souverains des Etats, voire à l’inspirateur involontaire et indirect du droit à la sécession. Dans tout cela, on identifie aussitôt les proximités avec Ron Paul.

«Who stands in opposition to “the [central] bank of the United States, public debt, a navy, a standing army, American manufacturing, federally funded improvement of the interior, the role of a world power, military glory, an extensive foreign ministry, loose construction of the Constitution, and subordination of the states to the federal government”? Hint, these words were not written about Rep. Ron Paul.

»This is Garry Wills’s description of Thomas Jefferson. The elite political class looked with disdain, and now looks with a certain measure of bemusement, upon Dr. Paul. Paul represents the re-emergence of a great American tradition. That tradition reawakens in the person of Ron Paul, who has a fair claim to be our era’s Thomas Jefferson…

Le paradoxe (un de plus), c’est que l’article de Forbes, du 13 février 2012, développe une argumentation certes décentralisatrice, mais au profit très favorisé du fonctionnement du monde économique complètement libéré du contrôle centralisateur de Washington. C’est une bonne mesure de la confusion idéologique qui règne aujourd’hui, aux USA et ailleurs, et qui reflète la situation de désordre complet du Système. (De toutes les façons, la valse des étiquettes idéologiques est un fait notoire : FDR est du parti de Jefferson et il a construit la “présidence impériale” avec un hyper-gouvernement centralisé ; Reagan a été élu pour défaire ce gouvernement [“Le gouvernement n’et pas la solution des problèmes, c’et le problème lui-même”] et il a quitté la présidence avec quatre millions de fonctionnaires fédéraux en plus par rapport à ses débuts.) Il n’empêche que la démonstration montre combien Ron Paul peut aisément sortir du cadre républicain, simplement parce que c’est le cadre de l’establishment, et que la référence jeffersonienne est aujourd’hui, quoi qu’il en soit de la vérité historique qu’on laissera au comptable de la chose, une référence nécessairement anti-establishment. Simplement, on observera qu’elle conduirait nombre de démocrates, jeffersonien au moins par nostalgie, à considérer Ron Paul d’un œil différent des conventions idéologiques habituelles à notre universel et transatlantique “parti des salonards”.


Mis en ligne le 15 février 2012 à 09H54