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636A trois jours du Caucus de l’Iowa, le débat autour de la candidature de Ron Paul devient d’une intensité extraordinaire ; surtout, il devient d’une intensité absolument révélatrice, à la fois de la panique et de la crainte du Système face à Ron Paul, à la fois des mœurs de diffamation et d’ignominie du Système, à la fois des positions de tel ou tel groupe, et, plus particulièrement, de l’infamie d’une partie des “dissidents” de la gauche US… Les rebondissements ne manquent pas, parfois complètement inattendus et extrêmement significatifs des mœurs et de l’état du Système.
• D’une façon générale, les derniers sondages laissent percevoir un certain tassement de l’avance de Ron Paul et une position soudainement renforcée de Mitt Romney (Gingrich s’effondrant, par ailleurs), – Paul rétrogradant à la deuxième place (21%) derrière Romney (23%) dans un sondage Rasmussen. On ignore ce que signifient ces derniers sondages, puisqu’on ne sait exactement sur quelle catégorie d’électeurs ils portent : sur les seuls républicains, chez qui Ron Paul n’a pas une position écrasante, ou bien chez les républicains avec les démocrates et les indépendants qui s’inscriraient pour ce caucus républicain, comme ils en ont le droit, et qui soutiennent Ron Paul. L’extraordinaire complexité du système de pré-sélection (primaires) US permet toutes les manœuvres et toutes les interprétations. Le vote lui-même sera soumis aux interrogations sur son dépouillement, contrôlé par le parti républicain et effectué par des firmes privées souvent douteuse (pour l'exemple : l’une liée à l’industrie d’armement israélienne). Au reste, des manœuvres ont lieu pour tenter de restreindre l’accès aux votes des primaires de certaines catégories sociales, les minorités ethniques, les plus jeunes et les plus vieux, – notamment par la nécessité nouvelle de présenter une carte d’identité, qui n’est pas obligatoire aux USA, et qui est très peu répandue dans ces catégories sociales. (Paradoxe de Ron Paul, partout dénoncé dans les milieux-Système comme raciste : la crainte que des minorités, notamment de couleur, viennent le soutenir dans les primaires républicaines.)
• Les attaques anti-Paul viennent bien entendu des autres républicains, soutenus par la direction du parti, des neocons, etc. Mais elles viennent aussi, d’une façon absolument irresponsable, d’une partie non négligeable de la gauche “progressiste” et “dissidente” (des sites comme Alternet, RAW Story, etc.), démocrate mais jusqu’alors critiques d’Obama pour sa politique belliciste et de restriction des libertés fondamentales jusqu’à l’établissement d’un système policier ; cela, au nom des attaques anti-Paul sous formes d’accusations portant sur les sujets évidemment fondamentaux de notre crise de civilisation, du racisme, de l’homosexualité, du SIDA, etc., – bref, tout l’arsenal du parti des salonards qui s’avère notablement bien implanté outre-Atlantique.
• Quelques voix, au sein de cette gauche “dissidente” qui tend ainsi à se diviser, s’élèvent contre le traitement infligé à Ron Paul. C’est le cas de Robert Scheer, un des administrateurs du site Truthdig.org, dans un article du 29 décembre 2011, sous le titre de «Marginalizing Ron Paul».
Scheer, d’une part, passe en revue rapidement la question des accusations contre Ron Paul, et remet ces accusations dans leur contexte : «That last item, along with the decade-old racist comments in the newsletters Paul published, is certainly worthy of criticism. But not as an alternative to seriously engaging the substance of Paul’s current campaign—his devastating critique of crony capitalism and his equally trenchant challenge to imperial wars and the assault on our civil liberties that they engender. […] It is hypocritical that Paul is now depicted as the archenemy of non-white minorities when it was his nemesis, the Federal Reserve, that enabled the banking swindle that wiped out 53 percent of the median wealth of African-Americans and 66 percent for Latinos, according to the Pew Research Center.»
Sur le fond des choses, sur la véritable signification de la candidature de Paul, sur les véritables grands sujets de la crise de l’américanisme et du Système : «Paul is being denigrated as a presidential contender even though on the vital issues of the economy, war and peace, and civil liberties, he has made the most sense of the Republican candidates. And by what standard of logic is it “claptrap” for Paul to attempt to hold the Fed accountable for its destructive policies? That’s the giveaway reference to the raw nerve that his favorable prospects in the Iowa caucuses have exposed. Too much anti-Wall Street populism in the heartland can be a truly scary thing to the intellectual parasites residing in the belly of the beast that controls American capitalism.»
• Parfois, la riposte vient d’une façon complètement inattendue, dans des domaines également totalement étranger du fond du débat, selon des enchaînements complètement involontaires, tout cela au gré d’un système de la communication dont on connaît l’ubiquité. On parle ici de la prise de position d’une chanteuse US en faveur de Ron Paul (parmi d’autres personnalités du show business, dont Clint Eastwood, ce qui va désorienter bien des membres du parti des salonards parisiens qui ont souvent applaudi Eastwood en croyant applaudir une tendance proche du pro-américanisme selon leur cœur, car ce parti chérit secrètement l’américanisme le plus “pur et dur” qu’il croit être celui des neocons et de Eastwood étrangement assimilés). Le 29 décembre 2011, Kelly Clarkson écrit sur tweeter et sur son blog : «I love Ron Paul. I liked him a lot during the last republican nomination and no one gave him a chance. If he wins the nomination for the Republican party in 2012 he’s got my vote. Too bad he probably won’t.» Clarkson est républicaine mais elle a voté Obama en 2008. Sa prise de position amène certaines réactions qui lui promettent une chute de popularité, souvent sur un ton menaçant. Clarkson ne cède pas. Le camp Ron Paul exulte. Le résultat est finalement impressionnant : en moins de deux jours (au 31 décembre à 10H00), l’album Stronger de Clarkson, qui n'avait guère bougé depuis plusieurs semaines et se trouvait en courbe descendante après avoir occupé des places de tête, est passé de la 37ème place à la 2ème place pour les ventes sur Amazon.com, avec une augmentation des ventes de 1.300%. Dans un système où la communication et le show business ont toute leur place dans des connexions intimes avec la politique et le sentiment populaire, l’affaire est vécue comme une sorte de mini-référendum pro-Ron Paul.
…Quoi qu’il en soit du résultat de l’Iowa, de la suite, du destin de Ron Paul et des présidentielles, l’épisode de ces dernières semaines, avec l’affirmation de Ron Paul et les réactions qui ont suivi, nous a déjà révélé, ou confirmé c’est selon, quelques ignominies jusqu’alors plus ou moins dissimulées. En tête de ce jugement où le pathétique le dispute à l’hypocrisie écrasante, on placera cette partie de la gauche dite progressiste et prétendument “dissidente”. (Du côté des républicains classiques, neocons et clowns divers, rien à signaler de nouveau, égaux à eux-mêmes depuis si longtemps, confortablement installés dans la bassesse et la diffamation comme on l’est dans l’infamie devenue art de vivre. Il faut donc leur reconnaître une sorte de fidélité à eux-mêmes.)
Il nous est parfois arrivé de croire que la gauche progressiste-dissidente aux USA valait mieux que son homologue parisienne, le parti des salonards plutôt orienté “gauche caviar” (la France est la patrie de la gastronomie), et leurs divers correspondants dans les capitales de cette brillante souveraineté qu’on nomme Euroland. Mais cette gauche US, ou dans tous les cas une bonne partie d’elle, se découvre et montre qu’elle ne sacrifiera pas une étiquette bon chic bon genre (“progressiste” selon le conformisme-Système) à une substance qui faillit devenir l’essence d’un certain héroïsme (la “dissidence”). Ses attaques contre Ron Paul signifient que, de toutes les façons, cette partie-là se rangera sous la bannière de son leader bien-aimé, continuateur stakhanoviste de la “politique de l’idéologie et de l’instinct”, de Guantanamo, des “contrats” type mafieux pour assassinats par drones, de la liquidation programmée des libertés publiques ; mais Obama garde à ses yeux, aussi intacte qu’à son élection de 2008, sa roborative et fondamentale vertu pour faire avancer les choses : il est Africain-Américain (dito, demi-black, pour faire encore plus multiculturaliste). Cette fraction est donc aussi soumise au Système que le reste, sinon plus, en tirant à vue, selon des présomptions légèrement diffamatoires sur des sujets accessoires datant de 15 à 25 ans, sur le seul homme qui ait la force de caractère de proposer la liquidation de l’Empire et du système financier qui font couler l’Amérique et le reste du monde. L’aventure est terriblement édifiante, et la soumission au Système de la fraction en question d’une rare continuité, avec la faiblesse d’une psychologie fascinée par les mots d’ordre à mesure de cette servilité, et son explication par ailleurs.
…Le paradoxe étant bien sûr qu’avec Ron Paul, soit pour son triomphe, soit pour sa liquidation, on se trouve devant une “alternative du Diable” pour le Système, – expression qui est le comble de l’inversion à cet égard. La liquidation de Paul garantirait la victoire d’un candidat qui entraînerait l’Amérique dans d’autres aventures auxquelles elle ne résisterait pas longtemps, à moins qu’elle ne craque avant de l’intérieur sous la poussée de la contestation populaire. Mais ce verdict (“liquidation de Paul”) est un peu leste, et il est plutôt possible qu’à l’“alternative du Diable” se substitut l’option-jocker qui est celle du désordre et de l’incertitude, Paul restant en piste assez puissamment pour mettre en cause le bon fonctionnement du système du parti unique. C’est là qu’on attend les gémissements de cette fraction de la “gauche dissidente” qui est en train de liquider ce qu’on croyait être une âme. Les reproches cinglants de Robert Scheer, un des siens, s’adressent à elle et lui présentent le miroir de sa servilité. En vérité et à cette lumière déjà explosive, 2012 promet de tenir ce qu’elle a promis depuis quelques temps déjà.
Mis en ligne le 31 décembre 2011 à 14H48