Ron Paul, Tea Party et les neocons

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Jusqu’ici, Ron Paul s’est assez peu exprimé sur le mouvement Tea Party, alors que beaucoup estiment que Ron Paul constitue une forte influence indirecte de la dynamique qui a conduit au mouvement et à son développement. RAW Story donne, ce 9 février 2010, des extraits d’une interview de Ron Paul par Rachel Maddow, de MSNBC.

Le titre de l’article («Ron Paul: ‘Neocon influence’ is infiltrating tea parties») n’est pas faux stricto sensu, tout comme le premier paragraphe du texte qui substantifie l’idée («In the face of several electoral challenges from tea party-connected candidates, Texas Republican Congressman Ron Paul cautioned in a recent interview that “neocon influence” is “infiltrating” the movement he is often credited for creating.»). Mais tout cela rend mal compte du sens de l’appréciation générale et de fond que donne Ron Paul de Tea Party, en en trahissant un peu l’esprit.

»Speaking to MSNBC host Rachel Maddow on Tuesday night, Paul first took up for the tea parties as a natural reaction of the people when they are unhappy with government. What they are not, he explained, are entirely adherent to his ideas. Paul suggested that the group only "sometimes” represents his views. “My message is somewhat different,” he said. “The message gets somewhat diluted” with large movements of this nature.

»“Everybody likes to join what looks like a popular movement, then they want to come in and influence that movement,” Paul continued. His core issues, such as creating transparency at the Federal Reserve, recalling overseas soldiers and ending the drug war, are “not what is generally heard from the Republican party,” he said. “Sometimes the tea party accepts these ideas, sometimes they don't."”

»“Neocon issues in public policy are not exactly dead these days,” he explained, seemingly pointing to the Obama administration. “Progressive Democrats aren't really happy with foreign policy. ... That's the infiltration, philosophically, in different positions.” Ultimately, “Our country really is bankrupt and that's what they're unhappy about,” Paul concluded.»

Notre commentaire

@PAYANT En effet, les neocons tentent d’infiltrer Tea Party, notamment parce que l’influence des neocons existe toujours, et qu’elle est même présente dans l’administration Obama. (Ron Paul lui-même : «“Neocon issues in public policy are not exactly dead these days,” he explained, seemingly pointing to the Obama administration.») On ne voit pas pourquoi cette influence ne tenterait pas également d’infiltrer Tea Party, ni même ne le ferait pas naturellement, simplement par la prégnance des idées qui l’habitent et qui existent évidemment dans certains composants de Tea Party. En effet, notre explication générale, comme nous l’avons souvent écrit, est simplement que cette “influence neocon”, qui est aussi une transcription spécifique de ce que nous nommons, d’après Harlan K. Ullman, “la politique de l’idéologie et de l’instinct”, est simplement devenue la politique “naturelle”, ou parlons plutôt de “tendance” naturelle des USA qui n’ont plus d’approche contrôlée et rationnelle du monde. Sur le problème plus spécifique abordé ici, cette prégnance du soi-disant courant neocon devait évidemment engendrer également une poussée dans Tea Party.

Ce que dit Ron Paul, c’est qu’à peu près tout s’exprime dans Tea Party, y compris certaines de ses propres idées. Ron Paul nous restitue parfaitement l’appréciation d’une vaste nébuleuse marquée par la colère et la rancœur, qui tire dans tous les sens, qui est l’objet de multiples sollicitations, de nombreuses tentatives de récupération, etc., – qui est par conséquent désordre per se. C’est notre interprétation depuis que nous parlons d’une façon suivie de Tea Party (voir notre F&C du 23 septembre 2009). Il s’agit bien d’un mouvement “spontanée”, – d’une “spontanéité” adaptée aux moyens postmodernes de communications, voire accélérée par eux, – qui n’est pas né d’un but et d’une ambition pour l’avenir mais d’un sentiment général à l’égard du présent («Our country really is bankrupt and that's what they're unhappy about»). De ce point de vue, l’interprétation sérieuse de ce que représente vraiment Tea Party dans ses effets politiques identifiables reste à faire, et il est bien possible qu’elle ne soit jamais faite et que cette impossibilité corresponde en fait à la réalité. Nous dirions que c’est l’issue la plus probable parce que Tea Party correspond à une situation postmoderniste où la “révolution” au sens classique, avec des buts politiques et idéologiques identifiés, est devenue impossible. L’essentiel désormais se joue entre forces structurantes et forces déstructurantes, avec toute la graduation des effets indirects et involontaires; dans ce cas, Tea Party est intéressant parce qu’il est habité d’une dynamique déstructurante qui s’attaque naturellement à une institution (le système) qui est la principale productrice d’effets et de dynamiques déstructurantes aux USA et dans le monde; déstructuration contre déstructuration, cela donne une dynamique à finalité structurante passant par un nécessaire désordre.

Certes, les neocons sont à l’œuvre, puisqu’ils le sont partout, puisqu’il s’agit (neocon) de l’étiquette posée sur une des dynamiques qui animent la crise actuelle, elle-même définie par la confluence et l’affrontement de diverses dynamiques. Là-dedans, l’interprétation idéologique est bien insuffisante, voire impuissante. Tea Party est d’abord désordre, et, selon les normes paradoxales de l’ère de la communication, “désordre organisé”, dont l’attaque déstructurante peut avoir indirectement des effets structurants, donc éventuellement “désordre structurant”. L’analyse prudente et très diversifiée de Ron Paul correspond assez bien, nous semble-t-il, à la réalité de Tea Party, beaucoup plus que le titre qui prétend en donner la substance et qui en trahit un peu l’esprit.


Mis en ligne le 10 février 2010 à 07H05