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1957Pour notre compte, s’il fallait en juger de cette journée de l’assemblée générale de l’ONU où se succèdent chefs d’État et de gouvernement, ou leurs ministres représentatifs, nous dirions qu’elle réserva une surprise de taille. Notre jugement est que ce qu’on retiendra de cette assemblée n’est pas le bavardage étourdissant et contradictoire sur la Syrie, l’offensive dite “de charme” attendue du président iranien Rouhani, le discours somme toute assez piteux et ambigu du président Obama que l’on peut traduire de façon réaliste et assez froidement sous la formule de «Bad News. The American Empire is dead» (titre de l’article de Foreign Policy, le 24 septembre 2013) parce que son porte-voix nous annonce que le peuple en a marre («The notion of American empire may be useful propaganda, but it isn't borne out by America's current policy or public opinion.») ; notre jugement, enfin, est que ce que l’on retiendra de cette assemblée est le fait extraordinaire du discours de la président brésilienne Dilma Rousseff, portant évidemment sur cette affaire de la surveillance attentionnée de la NSA dont elle-même et son pays ont été et sont encore probablement l’objet.
D’abord quelques mots sur “l’objet du délit”, – objet pour objet en quelque sorte. Le Guardian du 24 septembre 2013 ne manque pas d’en faire un article documenté. (Voir aussi Russia Today le 24 septembre 2013.) La présidente brésilienne a quitté New York après son discours sans rencontrer le président Obama. Elle laisse derrière elle son ministre des affaires étrangères qui doit parler avec l’excellent John Kerry, qui traîne comme autant de boulets tant de dossiers embarrassants dont il doit constamment s’expliquer auprès de ses “partenaires”.
«Brazil's president, Dilma Rousseff, has launched a blistering attack on US espionage at the UN general assembly, accusing the NSA of violating international law by its indiscriminate collection of personal information of Brazilian citizens and economic espionage targeted on the country's strategic industries. Rousseff's angry speech was a direct challenge to President Barack Obama, who was waiting in the wings to deliver his own address to the UN general assembly, and represented the most serious diplomatic fallout to date from the revelations by former NSA contractor Edward Snowden. [...]
»“Personal data of citizens was intercepted indiscriminately. Corporate information – often of high economic and even strategic value – was at the centre of espionage activity.” “Also, Brazilian diplomatic missions, among them the permanent mission to the UN and the office of the president of the republic itself, had their communications intercepted,” Rousseff said, in a global rallying cry against what she portrayed as the overweening power of the US security apparatus. “Tampering in such a manner in the affairs of other countries is a breach of international law and is an affront of the principles that must guide the relations among them, especially among friendly nations. A sovereign nation can never establish itself to the detriment of another sovereign nation. The right to safety of citizens of one country can never be guaranteed by violating fundamental human rights of citizens of another country.” [...]
»“Friendly governments and societies that seek to build a true strategic partnership, as in our case, cannot allow recurring illegal actions to take place as if they were normal. They are unacceptable,” she said. “The arguments that the illegal interception of information and data aims at protecting nations against terrorism cannot be sustained. Brazil, Mr President, knows how to protect itself. We reject, fight and do not harbour terrorist groups,” Rousseff said. “As many other Latin Americans, I fought against authoritarianism and censorship and I cannot but defend, in an uncompromising fashion, the right to privacy of individuals and the sovereignty of my country," the Brazilian president said. She was imprisoned and tortured for her role in a guerilla movement opposed to Brazil's military dictatorship in the 1970s. “In the absence of the right to privacy, there can be no true freedom of expression and opinion, and therefore no effective democracy. In the absence of the respect for sovereignty, there is no basis for the relationship among nations.”
»Rousseff called on the UN oversee a new global legal system to govern the internet. She said such multilateral mechanisms should guarantee the “freedom of expression, privacy of the individual and respect for human rights” and the “neutrality of the network, guided only by technical and ethical criteria, rendering it inadmissible to restrict it for political, commercial, religious or any other purposes.” The time is ripe to create the conditions to prevent cyberspace from being used as a weapon of war, through espionage, sabotage and attacks against systems and infrastructure of other countries,” the Brazilian president said.
»As host to the UN headquarters, the US has been attacked from the general assembly many times in the past, but what made Rousseff's denunciation all the more painful diplomatically was the fact that it was delivered on behalf of large, increasingly powerful and historically friendly state. Obama, who followed Rousseff to the UN podium, acknowledged international alarm at the scale of NSA snooping revealed by Snowden. He said: “Just as we reviewed how we deploy our extraordinary military capabilities in a way that lives up to our ideals, we have begun to review the way that we gather intelligence, so as to properly balance the legitimate security concerns of our citizens and allies, with the privacy concerns that all people share.”»
“Fait extraordinaire” disions-nous, événement extraordinaire que ce discours qui mit publiquement et “mondialement“ en accusation les USA, pour un fait précis, référencé, documenté, voire avoué, de violation grossière de la souveraineté, de machination manifeste contre un (des) pays ami(s) ou présenté(s) comme tel(s), dans le chef de l’extrêmement fameuse NSA... Comment voulez-vous entretenir des relations stratégiques, sans parler de relations d’amitié, avec de telles pratiques ? La mise en cause de Rousseff est extraordinaire pour plusieurs raisons et par rapport aux us et coutumes de ces assemblées générales annuelles de l’ONU.
• D’abord, parce qu’elle concerne effectivement un fait précis, bien identifié, qui constitue de bout en bout une violation de tous les principes fondamentaux (souveraineté et le reste) et les pratiques de bon voisinage et de bonnes relations, et un fait qui a une dimension globale, systématique, qui ne souffre donc aucune contestation de la part du coupable. Il s’agit de la dénonciation d’un élément précis de la politique des USA, et non d’une vague dénonciation de principe, et d’un élément précis qui a pourtant une dimension planétaire, qui a eu, qui a et qui continuera à avoir un écho de communication considérable, donc qui est d’un poids et d’une puissance également considérables. «Dilma Blasts U.S. Spies as International Crooks» (“escrocs internationaux”), titre Foreign Policy le 24 septembre 2013, balayant les habituelles explications si complaisantes des habituels experts du “clan BAO” (“tout le monde fait cela”, “l’espionnage est le plus vieux métier du monde après le plus vieux métier du monde”, etc.) et rendant compte du caractère extrêmement offensif et sans le moindre embarras de forme de l’intervention de Rousseff. Non, l’affaire NSA, telle qu’elle nous est révélée, est d’une autre trempe, elle est un cas à part, unique dans sa dimension ontologique, elle est “exceptionnelle” comme la prétendue-“nation” qui l’instrumente, et c’est bien ce que l’intervention de Rousseff a marqué. C’est donc en cela que cette intervention doit être également appréciée, puisque nous sommes dans ce domaine, comme “exceptionnelle”.
• Ensuite, parce que cette affirmation à la tribune de l’ONU, affirmation absolument et furieusement antiSystème dans une enceinte où l’écho de la communication est considérable, vient d’un pays à la fois puissant, d’excellente réputation dans le répertoire-catéchisme du bloc BAO (démocratie, blablabla, etc.), assez modéré dans son appréciation critique des USA et qui semblait devoir l’être encore plus avec Rousseff et, notamment, avec son voyage de la mi-octobre aux USA qui a été annulé et que ne sera plus relancé avant longtemps. Le Brésil n’est pas un vulgaire Iran ou une improbable Syrie, il fait partie de la cohorte des immenses pays émergents que le bloc BAO voudrait intégrer en son sein, et qu’il couvre régulièrement de fleurs de rhétorique. Les effets sont à mesure, – catastrophiques ... Les dégâts diplomatiques et de communication (réputation, rôle d’auto-référence des vertus du Système) sont considérables pour les USA. C’est bien l’événement qui restera de cette assemblée, et un événement réellement inattendu par son intensité et sa puissance. Rousseff a établi une sorte de jurisprudence des relations internationales : désormais, on ne prend plus de gant pour dire son fait à l’ex-empire qui tente désespérément de l’être encore ; le respect craintif, la dévotion fascinée, tout cela s’en va en fumée...
• Enfin, il y a même une dimension personnelle, qui implique une mise en cause d’Obama lui-même ... Lorsque Rousseff s’adresse à lui directement («Brazil, Mr President, knows how to protect itself»), elle fait directement allusion aux entretiens qu’elle a eus avec lui, téléphoniques et surtout celui, in vivo, du G20, et elle lui signifie qu’elle en retire l’impression d’avoir eu affaire à quelque interlocuteur qu’on apparenterait à un menteur ou à un escroc, presque “les yeux dans les yeux”. La phrase citée montre bien la fureur de Rousseff de s’être entendue signifié par le président des Etats-Unis que la surveillance de la NSA, y compris sur son courrier privé, c’était pour “défendre le Brésil”... On a rarement vu une mise en cause plus radicale, voire plus méprisante, et certainement plus insolente dans le chef du jugement des USA, – mais comme – «Bad News. The American Empire is dead», – que faire ? La critique est proche de l’insulte méritée et représente une audace calculée qui touche au cœur l’hybris de l’empire déchu. Ainsi Rousseff, jusqu’alors étiquetée comme l’une des plus modérées parmi la cohorte anti-américaniste du continent du Sud, s’impose soudain comme la meneuse de la fronde, et cela au nom de cette puissance incontestable qu’est le Brésil. Belle opération à mettre au crédit de l'indispensable NSA, via l'ami Snowden.
• Que faire, se dit l’“empereur” ? Pourquoi pas “taper” ? Car en appendice au «Bad News. The American Empire is dead», on ajoutera l’intérêt attaché par l’un ou l’autre commentateur à la définition de l’“exceptionnalisme” de l’Amérique,– car, bien que quasi-morte, l’Amérique reste “exceptionnelle”, nous a confié Obama dans son discours, – car les clichés, comme les vieux soldats, ne meurent jamais, ils s'effacent peu à peu. Ce qui fait perdurer son “exceptionnalité” au-delà de la dissolution de soi, c’est, traduit Antiwar.com le 25 septembre 2013, la force brute, l’outil destructeur, l’ivresse de la ferraille militaire, habillée des habituels slogans usés par tant et tant de narrative grossières.
«While giving lip-service to the idea of diplomacy, President Obama made it clear repeatedly during the speech that his view of American “exceptionalism” centers entirely around its willingness to fight unwise wars. “I believe America is exceptional, in part because we have shown a willingness, through the sacrifice of blood and treasure, to stand up not only for our own narrow self-interest, but for the interests of all,” Obama insisted. This of course segued back into calls for authorization to attack Syria.
»Though the reference to America as “exceptional” was seen by many as an attempted slight to Russian President Vladimir Putin, the narrative seemed primarily directed at the American public, and selling the idea that true national greatness is measured by its willingness to start wars that are plainly contrary to their interest ...»
Las, on oubliera bien vite ces restes sans vie du talent oratoire du candidat Obama, révélé désormais comme un faussaire usé. Tout cela, ces contradictions, ces pénibles slogans réchauffés, montre au moins le non moins pénible désarroi où se trouve la direction politique washingtonienne ; et désarroi qui ne cesse de s’amplifier, en confusions, contradictions, etc. La photo qui accompagne le texte de Foreign Policy («Bad News. The American Empire is dead») montre un Obama quittant la tribune de l’ONU ; la mine est absolument sinistre, ce président-là est en train de se dissoudre sous nos yeux, en un “misérable petit tas de secrets” (selon Malraux et pour se référer à la NSA). Restent les échos de l’éclatante diatribe de Rousseff ... L’Histoire fait son chemin.
Mis en ligne le 25 septembre 2013 à 09H21
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