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983Nous avons déjà parlé de la question des propositions de l'U.S. Navy concernant ses intentions de réduction de sa commande d'avions de combat JSF/F-35 (voir notre Analyse du 23 mars). Nous rapportons ici un incident qui nous paraît significatif de l'atmosphère qui règne au Pentagone à propos de cette affaire.
La scène se passe le 2 avril au Pentagone. Le secrétaire américain à la défense Donald Rumsfeld reçoit le ministre de la défense de Norvège, madame Kristin Krohn Devold. Rencontre de routine. Conférence de presse conjointe des deux ministres, après la rencontre. Divers sujets sont abordés dont beaucoup n'ont rien à voir, ni avec la rencontre des deux ministres ni avec la ministre invitée (c'est la coutume lorsque le ministre invité est d'un petit pays, dont les affaires n'intéressent guère les journalistes washingtoniens). Sur la fin de la conférence de presse, on parle tout de même de matières concernant la Norvège et les rapports de ce pays avec les USA.
Voici le passage qui nous intéresse : une question qui concerne le JSF, la Norvège et son possible intérêt pour ce programme et aussi la commande de l'U.S. Navy. Nous citons le passage in extenso et ''sur le vif'', tel qu'il a été transmis par les services du Pentagone :
Q (to Mrs Devold): You're mulling over participation in the U.S. Joint Strike Fighter program. There are reports, you're aware, that the U.S. Navy wants to cut back about 400 of the planes. Has that complicated or made your decision more problematic? And Mr. Rumsfeld, can you comment about your view on whether the Navy should in fact cut the program?
Rumsfeld: Well, I'll go first, if you want.
Devold: (Laughs.)
Rumsfeld: There always is discussion about the size of a buy on an aircraft, and there has been a discussion within the Department of the Navy, with the Marines. No final proposals have been made. No final proposals have been decided. And obviously it's a matter that is of interest to other people who - allies and friends who conceivably are interested in the Joint Strike Fighter, as well as to the United States Air Force. So it's a subject that would get discussed quite broadly before being concluded.
Q: Madame Minister?
Devold: Yes. And the situation concerning how many planes actually United States needs does not affect the Norwegian decisions. We want to take part of their development programs, and we think that somewhere between 2015, 2020, we need new aircraft. But it's a long way to that year. But still we hope that within this year, 2002, we will be able to make a decision whether development programs to join.
Cet échange mérite quelques commentaires, en plusieurs points.
1) Lorsqu'il s'agit du JSF et de la commande de la Navy, Rumsfeld oublie sa politesse bien connue, coupe la parole aux dames, répond à la place de madame Devold à qui la question s'adressait d'abord, — et encore plus dans une circonstance où, étant l'invitée au Pentagone, c'était bien sûr à elle à parler en premier. L'incident, certes sans gravité, montre néanmoins combien cette affaire JSF/Navy est de la dynamite pour le secrétaire à la défense, qui entend ne rien laisser au hasard. (Quant à madame Devold, son rire est sans doute un peu nerveux. Peut-être connaît-elle mal la question des rapports de l'U.S. Navy et du JSF mais elle a bien compris que cette affaire est de la dynamite pour Donald Rumsfeld. Il ne faut pas tenir rigueur au secrétaire à la défense de ses manières un peu lestes.)
2) Sur le fond, les explications de Rumsfeld sont de la non-information. Ce qui implique pour le moins qu'il a un gros problème avec la commande de la Navy, que rien ne peut être dit sur son sort (sera-t-elle ou non entérinée ?), que nous sommes bien dans un affrontement bureaucratique où les autorités habituelles, notamment politiques, ne jouent plus (on ne peut envisager d'imposer d'autorité à la Navy une politique budgétaire ou une politique d'équipement). La sensation très nette qu'on a ici est que, secrétaire à la défense ou pas, la position de la Navy est un gros morceau qu'il n'est pas question de manipuler sans précaution. Nous sommes en pleine guerre bureaucratique du Pentagone.
3) Une précision nouvelle et intéressante apparaît pourtant dans la réponse de Rumsfeld, qui confirme l'importance de cette proposition de la Navy : la délibération pour statuer sur la proposition se fera en consultation avec l'autre partenaire important du programme, c'est-à-dire avec l'USAF. La mention de l'USAF, de façon aussi spécifique, comme partenaire pour une décision qui ne concerne normalement que la Navy et OSD (Office of Secretary of Defense), est une précision assez inhabituelle pour avoir une forte signification. (Quant aux alliés intéressés par le JSF, bien entendu, ils suivront les péripéties de cette affaire comme d'habitude, de l'extérieur. Ils ne seront pas consultés, ils seront à peine informés. Rien de nouveau.) Notre sentiment est que l'issue de cette affaire est certes incertaine, mais, plus encore, qu'il ne faut pas écarter la possibilité qu'elle puisse mener à des décisions inattendues, impliquant l'USAF elle-même et/ou toute la structure du programme.
4). Quant à la position de madame Devold, elle est en général bienveillante comme il se doit lorsqu'on est reçu à Washington et assez vague quant aux intentions de la Norvège par rapport au programme JSF. On doit parler d'une position d'attente et de prudence, qui prend bien soin en plus de séparer une éventuelle participation au programme de développement et une éventuelle commande norvégienne. Les spéculations autour des intentions de la Navy contribuent largement à susciter la prudence des éventuels partenaires étrangers.