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3 mai 2002 — Le secrétaire à la défense Donald Rumsfeld a fait des déclarations publiques indiquant son mécontentement à l'encontre de l'U.S. Army. Le cas concerne le programme de howitzer de 155mm Crusader, qui vaut $11 milliards et dont l'utilité (il s'agit d'une pièce d'artillerie lourde conçue pour les grandes batailles classiques) est largement mise en doute. Rumsfeld semble manifestement désireux d'abandonner ce programme, l'Army pas du tout. Il semble que l'Army se soit préparée à aller plaider la cause du Crusader au Congrès, sans que Rumsfeld n'en soit informé et, à plus forte raison, n'autorise cette démarche. Rumsfeld a fait des déclarations publiques dans ce sens, indiquant combien cette affaire était jugée importante. Il y a là une matière qui concerne son autorité et l'autorité du pouvoir civil en général. (Selon Associated Press : « Rumsfeld's comment about the Army's behind-the-scenes maneuvering over the future of the Crusader suggested he felt his authority as the Pentagon's top civilian official was being challenged. »)
Cette affaire doit être placée dans un double contexte, —
• celui de l'évolution en cours au Pentagone pour des réductions considérables des dépenses. Maintenant qu'est dissipée la fable du surarmement US qui avait été développée après l'annonce de l'augmentation de $48 milliards du budget FY2003 (en Europe surtout, et admirativement bien sûr puisqu'il s'agit des USA), la réalité doit être prise en compte. Cette réalité comptable, c'est le fait qu'il manque, même avec cette augmentation, entre $40 et $60 milliards par an au budget du Pentagone pour le seul fonctionnement et la modernisation normale des forces armées, alors que des indications précises montrent une aggravation très inquiétante du déficit du budget fédéral qui rend très difficile des affectations budgétaires supplémentaires ;
• celui de la fameuse réforme de Rumsfeld, qui est de modifier les structures et les équipements des forces armées, au profit de la souplesse, de la légèreté, de la rapidité d'intervention, et avec le moyen du développement des hautes technologies pour l'intervention automatique, la précision d'intervention et les communications. Cette réforme demande de l'argent, dans un budget DoD en crise, et surtout elle exige de vaincre une bureaucratie retranchée sur ses positions. Le Crusader est évidemment défendu par les anti-réformistes. Rumsfeld, qui avait essayé sans succès d'imposer cette réforme avant le 11 septembre, entend capitaliser sur son image de succès opérationnel (Afghanistan) et sur son prestige personnel acquis pendant la période pour tenter à nouveau de l'imposer. Le New York Times du 1er mai écrit sur cet aspect précisément :
« Loren Thompson, a military analyst at the Lexington Institute, a research group, cited a Pentagon adage that a new defense secretary had just his first year to effect real change to the establishment before being captured by military tradition, as well as industry dollars and Congressional prerogatives. Mr. Rumsfeld failed to place his vision of military ''transformation'' atop the competing views in the Pentagon last year, but Sept. 11 gave him a reprieve and a second chance this year, Mr. Thompson said. ''Rumsfeld and his people feel this is their last opportunity to make transformation stick with the services,'' Mr. Thompson said. ''They have one more fiscal year to try, before the opportunity slips away.'' »
L'affaire du Crusader pourrait, devrait être une belle bataille et une bataille symbolique. Non seulement en interne, au DoD, mais au sein du gouvernement et du Congrès, et dans l'establishment également. Non pas parce qu'il y a matière à discuter vraiment d'un point de vue technique et opérationnel (bien entendu, le Crusader est complètement anachronique et n'a plus aucune utilité aujourd'hui) mais parce qu'il y a matière à un bel affrontement entre les forces d'influence qui comptent à Washington, un affrontement qui sera plein de signification et d'enseignements. Le système Crusader est produit par le groupe Defense Industries Inc., qui appartient au Carlysle Group, énorme groupe d'investissement dirigé par l'ancien secrétaire à la défense et n°2 de la CIA Frank Carlucci. Carlysle est le groupe où l'on trouve réunies, comme investisseurs, des personnalités républicaines comme l'ancien secrétaire d'État James Baker et George Bush, le père du président, et où l'on trouvait la famille Ben Laden jusqu'en octobre 2001. Le Crusader était sur le point d'être abandonné en 2001 lorsqu'il avait été réintroduit de justesse dans la programmation du Pentagone avec le budget 2002, grâce notamment aux interventions d'influence du Carlysle Group. C'est une affaire complexe et pleine des tensions des luttes d'influence existant aujourd'hui au sein de l'administration, une affaire symbolique de la crise du Pentagone autant que du pouvoir américain.