Rupture sans retour

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Voici un texte caractéristique d’une époque (notre crise générale) et d’une situation (aux USA). Il est de Chris Hedges, de Truthdig.com, ce 13 septembre 2010, avec des références (entretien) de Ralph Nader. Ci-dessous, le début du texte...

«There are no longer any major institutions in American society, including the press, the educational system, the financial sector, labor unions, the arts, religious institutions and our dysfunctional political parties, which can be considered democratic. The intent, design and function of these institutions, controlled by corporate money, are to bolster the hierarchical and anti-democratic power of the corporate state. These institutions, often mouthing liberal values, abet and perpetuate mounting inequality. They operate increasingly in secrecy. They ignore suffering or sacrifice human lives for profit. They control and manipulate all levers of power and mass communication. They have muzzled the voices and concerns of citizens. They use entertainment, celebrity gossip and emotionally laden public-relations lies to seduce us into believing in a Disneyworld fantasy of democracy.

»The menace we face does not come from the insane wing of the Republican Party, which may make huge inroads in the coming elections, but the institutions tasked with protecting democratic participation. Do not fear Glenn Beck or Sarah Palin. Do not fear the tea party movement, the birthers, the legions of conspiracy theorists or the militias. Fear the underlying corporate power structure, which no one, from Barack Obama to the right-wing nut cases who pollute the airwaves, can alter. If the hegemony of the corporate state is not soon broken we will descend into a technologically enhanced age of barbarism.

»Investing emotional and intellectual energy in electoral politics is a waste of time. Resistance means a radical break with the formal structures of American society. We must cut as many ties with consumer society and corporations as possible. We must build a new political and economic consciousness centered on the tangible issues of sustainable agriculture, self-sufficiency and radical environmental reform. The democratic system, and the liberal institutions that once made piecemeal reform possible, is dead. It exists only in name. It is no longer a viable mechanism for change. And the longer we play our scripted and absurd role in this charade the worse it will get. Do not pity Barack Obama and the Democratic Party. They will get what they deserve. They sold the citizens out for cash and power. They lied. They manipulated and deceived the public, from the bailouts to the abandonment of universal health care, to serve corporate interests. They refused to halt the wanton corporate destruction of the ecosystem on which all life depends. They betrayed the most basic ideals of democracy. And they, as much as the Republicans, are the problem.

» “It is like being in a pit,” Ralph Nader told me when we spoke on Saturday. “If you are four feet in the pit you have a chance to grab the top and hoist yourself up. If you are 30 feet in the pit you have to start on a different scale.”

»All resistance will take place outside the arena of electoral politics. The more we expand community credit unions, community health clinics and food cooperatives and build alternative energy systems, the more empowered we will become.

»“To the extent that these organizations expand and get into communities where they do not exist, we will weaken the multinational goliath, from the banks to the agribusinesses to the HMO giants and hospital chains,” Nader said...»

Il s’agit d’une volonté de rupture totale avec le système ; il est certes question du corporate power, mais il ne s’agit en aucun cas d’une spécificité quelconque, d’une organisation particulière, parce que le corporate power n’a aucune unité mais simplement un assemblage d’intérêts énormes allant dans le sens de toutes les tendances d’affirmation de puissance déstructurante, c’est-à-dire le système comme nous le comprenons, agissant en aveugle, sans éviter des concurrences prédatrices en lui-même, voire des tendances suicidaires générales dont il faut savoir profiter ; système de “la matière déchaînée”, système du technologisme, comme d’ailleurs le laisse entendre plus ou moins volontairement Chis Hedges lorsqu’il écrit dans cette phrase où il emploie l’image de “corporate state” qui, là non plus, n’a aucune valeur spécifique : «If the hegemony of the corporate state is not soon broken we will descend into a technologically enhanced age of barbarism…» La “barbarie de l’âge du technologisme triomphant” si l’on veut, et d’ailleurs nous y sommes déjà.

Il s’agit également d’une spécificité des USA que la diffusion de ce sentiment de plus en plus radical qui ne voit d’autre issue que la rupture complète avec le système, c’est-à-dire l’insurrection furieuse contre le système. A cet égard, les Américains sont en avance sur les Européens, qui parlent encore d’“opposition”, de “réforme”, etc., et ils sont en avance parce qu’ils sont confrontés à un système beaucoup plus achevé, tant dans ses caractères les plus monstrueux que dans la puissance de son application.

Le cas de Chris Hedges est intéressant parce qu'il est assez exemplaire pour substantiver la thèse. En 2007 encore, Hedges, venu du journalisme “officiel”, Prix Pulitzer, envisageait la crise en termes d’affrontements politiques classiques qui le mettaient dans le camp démocrate, contre la montée du “fascisme” représenté selon lui par la droite chrétienne intégriste derrière GW Bush. Aujourd’hui, toutes ces délicatesses sont terminées, – «Do not fear Glenn Beck or Sarah Palin. Do not fear the tea party movement, the birthers, the legions of conspiracy theorists or the militias. Fear the underlying corporate power structure…» On connaît aussi la certaine sympathie qu’il montre à l’endroit des “néo-sécessionnistes”, surtout du Vermont, qui est son Etat natal. Ce parcours ultra-rapide d’un journaliste extrêmement expérimenté, ayant une position privilégiée, vers une position de rupture systémique, est une bonne mesure de l’avancement rapide de la crise, particulièrement aux USA, et de la montée d’un affrontement, non plus entre deux mondes ou deux conceptions du monde, mais entre deux “métaphysiques du monde”, – l’une, totalement déstructurante et représentant effectivement la “source de tous les maux”, l’autre figurant une résistance qui s’affirme psychologiquement à très grande vitesse, qui sera nécessairement radicale, structurante, etc., par simple antinomie. Ce type d’évolution implique la probabilité grandissante d’une insurrection totale de la psychologie contre l’agression totalitaire du système, insurrection qui est bien autre chose que le jeu des affrontements idéologiques que nous avons connus au XXème siècle. La gravité des événements ne se mesurera plus au nombre des victimes, aux guerres et autres événements de cette sorte, mais bien à la problématique générale de l’effondrement ou pas d’un système du monde qui ne représente rien d’autre que l’activité fondamentale du mal dans l’Histoire de la civilisation occidentale arrivée dans sa période terminale de la modernité (ce que nous appelons la “deuxième civilisation occidentale”).


Mis en ligne le 14 septembre 2010 à 15H17