Ruptures d’arc ?

Les Carnets de Badia Benjelloun

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Ruptures d’arc ?

L’ouverture d’un nouveau front au Sud Yémen complexifie un peu plus la situation dans ce pays au seuil d’une crise humanitaire effroyable (plus de 20 millions en insécurité alimentaire, des régions entières au bord de la famine) sous l’effet d’une guerre menée contre lui  par la coalition dirigée par les Ibn Saoud. 

Le mouvement séparatiste du Sud vient d’occuper ce dimanche la ville d’Aden, devenue capitale pour le gouvernement de Abdou Rabo Mansour Hadi, client des Séoud et exilé à Ryadh depuis l‘entrée dans Sanaa des Houtis en septembre 2014. Mis à l’écart de la vie économique et politique, la forte minorité zaydite du Nord du pays (40% de la population) est en situation de révolte ouverte depuis 2004. Ils rompent à l’été 2014 les tractations avec le gouvernement de transition nationale mis en place en 2012 après le départ de Ali Abdallah Saleh chassé par des manifestations hebdomadaires énormes dans le sillage du ‘printemps arabe’. Abd Rabo Mansour Hadi en charge du dialogue national pour transformer le pays en fédération de 6 provinces prévoit une partition dans laquelle les Houtis reçoivent un territoire plus étendu que leur zone d’influence mais sans accès à la mer.

Le fringant MBS, institué héritier du trône du royaume d’Arabie, entraîne divers pays, les émirats du Golfe, l’Égypte, le Soudan, la Jordanie et le Maroc et plus tard des États africains comme le Tchad et le Sénégal dans une restauration du ‘gouvernement légitime’ au Yémen. Plus exactement, Mohammed Ben Salman s’est lancé dans une opération de séduction et de ralliement patriotique de toute une jeunesse sans avenir professionnel prompte à la contestation d’un régime dont les assises se rétrécissent en proportion de l’amoindrissement de la manne pétrolière. Il prétend combattre l’Iran qui alimenterait en armes le mouvement des Zaïdites  du nord montagneux au prétexte fallacieux qu’il existerait une solidarité intrinsèque entre chiites, même si d’obédience et d’histoire radicalement différente, en niant les raisons objectives légitimes à la fois économiques et politiques du soulèvement.

Le conflit, c’est-à-dire le blocus et les bombardements des forces alliées assistées par les Usa, le Royaume-Uni et la France, dure, sans doute bien au-delà des délais prévus par les belligérants voisins. L’attrition subie par les civils yéménites, un million de cas de choléra, ampleur rarement vue ces dernières décennies additionnée du meurtre de Jamal Khashoggi à Istanbul dans le consulat de l’Arabie ont provoqué quelque effet dans l’opinion publique du monde développé au point que le Congrès étasunien a demandé sans résultat la suspension de la vente d’armes et l’assistance aux Séoud dans ce génocide qui ne dit pas son nom. Le Maroc qui a perdu un F16 et son pilote s’est retiré de la coalition en janvier 2019. Dans l’incapacité d’envoyer des troupes au sol combattre des guérilleros fondus dans leur territoire difficile d’accès, les Séoud se contentent  de bombarder des zones civiles avec la précision maintenant établie des frappes chirurgicales à l’américaine, décimant des zones entières et fournissant des recrues aux Houtistes. Ils ont confié la direction des opérations aux Emirats arabes unis pour le contrôle du Sud du pays. Les Eau ont alors financé tout ce qui pouvait s’opposer aux rebelles du Nord, des djihadistes d’Al Qaïda aux séparatistes du Sud. 

Après quelques jours de combat la semaine dernière,  les séparatistes du Sud, appuyés par les EAU, prennent le contrôle d’Aden, occupant le palais présidentiel vide et mettant en fuite le Ministre des affaires intérieures. Ce véritable coup d’État signale une fissure très apparente dans la coalition et met en exergue les divergences d’intérêts entre les petites principautés et leur grand voisin aux mains des bédouins du Nedjd. Ils y  perdent des ressources  pour un objectif incertain et redoutent l’impérialisme séoudien qui s’est abattu contre le Qatar, il n’y a pas si longtemps allié notoire  y compris dans les pires aventures comme celle de la de coopération avec l’Otan pour la destruction de la Libye, maintenant soumis à un embargo malaisé à soutenir et à tenir. En effet, chassé de la cour des fidèles, le Qatar a inévitablement recherché un soutien auprès de la Turquie et de l’Iran.

Diplomatie et projection militaire du jeune MBS, conseillé par Israël et certains groupes néoconservateurs, toujours avisés pour faciliter des guerres entre des entités étatiques pour les affaiblir et les ruiner, sont désormais perçues comme impulsives et dangereuses par le premier cercle.

Le fragilité de la position des Bédouins du Nedjd s’est aggravée récemment en raison du prix d’un baril désespérément bas, flottant entre 50 et 60 dollars.

Ce cours reflète une offre trop abondante. Elle est le corollaire d’une demande moindre, confirmation indirecte d’une récession réelle en cours, et d’une production toujours soutenue des ressources schisteuses étasuniennes. A cette récession (baisse de la production des produits manufacturés dans le monde, baisse de l’investissement et baisse des échanges commerciaux internationaux ce dernier trimestre) s’additionnent les anticipations de l’aggravation de celle-ci par la guerre commerciale entamée par Trump contre la Chine et les menaces d’instabilité pesant sur le détroit d’Ormuz. 

Les pays de l’OPEP avec à leur tête la Russie continuent de vouloir réduire leurs extraction pour soutenir les cours.

Les  Arabes viennent à Téhéran  pour sécuriser le passage des tankers par Ormuz.

Pour la première fois depuis 2013, une délégation émiratie a rencontré le 3 août des homologues en Iran. Les deux parties ont signé un protocole portant sur la coopération maritime mais également de relations interbancaires. Deux jours plus tard, c’est au tour des responsables de la sécurité des frontières maritimes du Qatar de venir à Téhéran pour le même objet, renforcer la sécurité des frontières entre les deux pays. 

D’après un  site réputé  pour diffuser les informations en conformité avec les positions du renseignement de l’entité israélienne, Téhéran enhardi par les accords avec les EUA aurait proposé un rapprochement avec Ryadh. 

Cette proposition aurait eu un écho favorable dans le contexte d’un contrôle du détroit d’Ormuz par une coalition introuvable menée par les Usa qui se sont vus snobés par l’Allemagne et la France. 

Enlisé au Yémen, endetté, profondément atteint par les retombées de l’assassinat atroce du journaliste Khashoggi, concurrencé par les hydrocarbures schisteux étasuniens, MBS va être contraint de s’incliner. Le parrain étasunien qui fait payer assez cher sa protection ne protège plus rien du tout et le client principal de l’Aramco est le rival des Usa. S’il persiste à refuser de pratiquer la politique de ses moyens, MBS trouvera un prince de sa grande famille pour lui expliquer qu’il faut protéger le commerce, et s’il le faut avec un bon calibre 42 sur la tempe. Une  première révolution de palais  s’est produite quand le prince régnant a désigné son fils comme héritier, rompant avec la tradition de la succession horizontale adelphique. Une  deuxième a eu lieu  quand MBS a reconfiguré le pouvoir et a procédé à des assassinats et des arrestations de princes lors d’une opération de racket qu’il a présentée comme une mesure anti-corruption.  Une troisième révolution, à défaut d’être populaire ce qui n’est pas à exclure tant les tensions et une pauvreté hallucinante dissimulée dans les quartiers périphériques des villes déchirent l’apparente harmonie d’une société faussement opulente, fomentée par la pléthore de princes évincés en embuscade serait une issue plausible. L’ensemble du monde arabe en serait soulagé ainsi que le milliard de musulmans qui ont appris que la ‘sécurité’ du pèlerinage à la Mecque est assurée par une  société mercenaire israélienne.

Les Palestiniens auxquels le couple Kushner-MBS veut faire renoncer à leurs droits  sur la Palestine occupée pour une poignée de lentilles s’en féliciteraient également.

Que d’agitation effrénée et coûteuse en moyens et en hommes pour parachever le résultat obtenu par la destruction entreprise depuis trente ans de l’Irak, l’extension de la zone d’influence de l’Iran, résilient à l’agression de la guerre de 8 ans avec l’Irak de Saddam et au boycott américain tendant à se transformer en véritable blocus depuis mai 2018. La frilosité de la Russie à lui délivrer les missiles S-300 puis S-400 lui a permis de développer une défense autonome avec des armes indigènes. Cette indépendance stratégique est considérée par certains comme la raison essentielle du retrait de Trump du protocole sur le nucléaire. Les missiles iraniens peuvent atteindre Tel Aviv en cas de besoin.

L’arc rompu n’est pas celui prévu par les puissances occidentales.