Russie et Turquie: les clefs de la crise iranienne?

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Sans aucun doute, parmi les Occidentaux, et sans solliciter aucune référence à un leadership US qui n’a guère de raison d’être en l’occurrence, BHO a bien manœuvré ces derniers jours dans la crise iranienne. (Les deux autres compères occidentaux à citer, France et UK, n’ont dans cette phase de la crise, la France par volonté délibérée de médiocrité hystérique, la moindre importance.) Mais, comme nous l’ajoutions, cette manœuvre d’Obama est contrainte par des obligations inhérentes à son caractère par rapport aux engagements dont les USA se jugent comptables. Obama – ô surprise, mais la médiocrité française et UK explique la chose – s’est montré le plus modéré des trois Occidentaux. La beauté de la manœuvre s’arrête là, et on l’a vu hier; la Maison-Blanche a employé un ton plus dur contre l’Iran, ce qui marque bien les limites que nous signalons plus haut, définies par le fait que les USA occupent une position de partie prenante nécessairement interprétée par d’autres acteurs comme un parti-pris.

Il s’avère en réalité dans cette phase de la crise que les deux pays qui tiennent une position centrale dans la crise, et avec assez d’intelligence et de lucidité pour l’exploiter, sont la Russie et la Turquie. Spacewar.com met en regard deux textes d’AFP, ce 27 septembre 2009, l’un sur la position de la Russie, l’autre sur la position de la Turquie.

• L’article détaille les liens de la Russie avec l’Iran, sa position privilégié en matière de livraisons d’armes, voire de livraison de technologie nucléaire; son désir, également de ne pas voir une prolifération nucléaire, d’amener Téhéran à une coopération structurée avec l’IAEA, etc.

«Moscow is a key supplier of military hardware to Tehran, a reliable trade partner in difficult times and is building Iran's first nuclear power plant – subtle levers to pressure Tehran which the West does not possess, analysts say. And after the revelation Iran has been building a secret uranium enrichment site, President Dmitry Medvedev warned Iran at the Pittsburgh G20 that “mechanisms” could come into play if it did not cooperate.

»With Western powers warning of a December deadline for Iran to show progress or face further UN sanctions, the crucial question is whether Moscow is prepared to support measures that could cripple the Iranian economy.

»According to Rajab Safarov, director of the Centre for Contemporary Iranian Studies in Moscow, Russia has “sufficiently effective levers” to have an effect on Iran's behaviour. “Iran has an interest in good relations with Russia,” Safarov told AFP. “This means that Iran could listen to advice from Russia.”

»Safarov said that not even Russia has the ability to make Iran halt uranium enrichment operations, which Western powers fear Tehran could use to make a nuclear bomb. But he said Russia could nudge Iran into “behaving constructively with the International Atomic Energy Agency (IAEA) and showing great openness.” “If progress is made, the Russians will not support sanctions. But if not, Russia could in principle agree to sanctions.”

»A Western diplomat in Moscow said the big question is “where will the Russians be” when crunch time comes at the end of the year.

• La Turquie, maintenant. Dans les coulisses de l’ONU, lors de la session annuelle de la semaine dernière, le Premier ministre Erdogan ne s’est pas privé d’annoncer qu’il se rendrait en octobre en Iran, pour tenter de remplir une mission de bons offices, qu’il était lui-même contre toute prolifération nucléaire dans la région – il dit bien toute prolifération nucléaire, ce qui inclus Israël bien entendu, et Erdogan a insisté sur la chose. Erdogan enchaîne là-dessus par l’évidence: tout le monde parle de l’Iran, pourquoi personne ne parle d’Israël? Du comportement israélien à Gaza? Silence chez les diplomates occidentaux dont on connaît l'élégance classique de la pensée réduite désormais à l'intransigeance abruptement moralisatrice, y compris et particulièrement ceux du Quai d’Orsay. Sarkozy pourrait-il s’intéresser à l’hypothèse qu’Israël poursuit le but de “rayer de la carte” les Palestiniens, puisqu’on en est à cette sorte de projet? Erdogan considère comme une “an act of insanity” tout projet d’action militaire contre l’Iran. Célébrée comme “allié privilégié” de l’Occident et bien connue membre de l’OTAN, la Turquie se montre particulièrement originale et créatrice. Comme quoi, l’OTAN n’empêche pas de mener à tout.

«Turkish Prime Minister Recep Tayyip Erdogan said he plans to visit Iran next month to help resolve the dispute over Tehran's nuclear programme, Anatolia news agency reported Sunday. Erdogan also warned that any military attack against Iran would be an act of “insanity.” [...] “I will make a trip to Iran towards the end of October... We will discuss regional problems, including this (nuclear) one,” Anatolia quoted Erdogan as saying in New York, where he attended the annual UN General Assembly meeting.

»[Erdogan] said Turkey, a NATO member with improving ties with Tehran, was instrumental in arranging Thursday's talks between six world powers powers and Iran, and was ready to do more if its help was requested. “We are absolutely against nuclear weapons in the Middle East... There is a country in the Middle East which has nuclear weapons,” he said, referring to Israel, widely considered the region's sole if undeclared nuclear power.

»He also lashed out again at the Jewish state's devastating war on Gaza in December-January. “Why aren't we talking about this?... It's always Iran... We have to be more fair and honest if we want global peace,” he said. “There are other countries with nuclear weapons. Why aren't we talking about that?... Let's talk about all of them,” he said.

»Asked about the possibility of US military action against Iran, Turkey's eastern neighbour, Erdogan said "that would be very wrong and not only those who attempt such insanity would suffer.”»

@PAYANT On ne dira pas que “les jeux sont faits”, comme on nous l’annonce depuis quatre ans au bruit des escadres d’attaque israéliennes et US en train de se préparer, mais que les jeux sont en train de se faire et que les choses se diversifient, au plus des acteurs au départ imprévus prennent de l’importance. Il y a des surprises d’apparence, qui n’en sont donc pas vraiment, qui renvoient au réalignement des positions et des dynamiques d’influence en fonction de trois faits concomitants, dans tous les cas pour ce domaine du Moyen-Orient et de la crise iranienne: d’une part l’affaiblissement vertigineux de la puissance US qui conduit ce pays à devoir manœuvrer et à ne plus procéder par la forme remarquable du diktat unilatéraliste; ensuite, la paralysie presque masochiste de l’Europe dans son alignement sur une ligne maximaliste sans le moindre avenir, qui n’est même plus celle des USA; enfin, la pression maximale sur ces deux partis, mais plus ou moins bien contenue par l’un et l’autre, d’une obsession paranoïaque israélienne renvoyant aux complexes intellectuels occidentaux à cet égard.

Du coup, des pays dégagés de ces névroses psychologiques et de cette paralysie conformiste et bureaucratique se trouvent de plus en plus placés en position centrale, comme maîtres du jeu. Le complément politique et conceptuel Russie-Turquie est une évidence apparue depuis la crise géorgienne, et confirmée depuis. Les beaux discours de BHO ne changent rien à l’affaire. La Russie et la Turquie sont deux pays qui ont pris une bonne mesure de la crise générale, de l’infection extraordinaire du maximalisme bushiste-israélien et de la paralysie qui s’ensuit pour l’Occident, de la dévastation que la menace de l’emploi de la force, encore plus par des puissances en pleine crise elles-mêmes comme sont les USA et les pays occidentaux en général, fait peser sur les relations internationales. Nous verrions bien la possibilité, sinon la probabilité pas loin d’être effective, dans cette crise iranienne, d’une coordination secrète entre la Russie et la Turquie, beaucoup plus qu’entre la Russie et les USA comme le croient un peu vite les experts washingtoniens après l’abandon du BMDE polono-tchèque; cette coordination débouchant sur la recherche d’une sorte d’accord avec Téhéran pour contrôler et empêcher un processus vers une arme nucléaire à condition que cela se place dans le cadre d’une zone dénucléarisée qui inclurait Israël. C’est là évidemment l’issue centrale et le nœud gordien de cette crise, beaucoup plus que le seul cas de l’Iran nucléaire ou pas. La crise aura fait un pas important vers sa résolution lorsque son enjeu ne sera plus un pays dénucléarisé militairement (l’Iran) mais une zone dénucléarisée militairement (le Moyen-Orient, y compris Israël).

Nuançons aussitôt, car le jeu est moins un “Grand Jeu” selon les règles des puissances conquérantes d’antan qu’un jeu à multiples tiroirs et facettes, où les artifices de la communication tiennent bonne place … Cela, cette idée d’un accord de dénucléarisation de zone plutôt que d’un pays, d’un Iran naturellement dénucléarisé puisque dans le cadre d’une zone dénucléarisée incluant Israël, ne serait sans doute pas pour déplaire à Obama, qui garde tout de même cette idée derrière la tête. Peut-être les Européens commenceraient-ils à comprendre que la diplomatie dépasse le cadre du bidouillage des traductions des discours du président iranien.

Les Israéliens, qui foncent comme des buffles, incapables de songer autrement qu’en termes de force brute, plus brutaux que les Américains de l’époque Bush, pourraient très bien, à faire monter les enchères avec tous leurs moyens d’influence, leurs moyens faussaires, leurs moyens de pression cynique, parvenir à créer une situation où ils seraient irréversiblement enfermés dans les contradictions de leur position. Hurler à la crainte de l’anéantissement par un pays qui pourrait un jour avoir une arme nucléaire alors qu’on en possède soi-même 200 avec tous les moyens de les lancer sur le pays en question, et la résolution qu’il faut pour le faire, relève d’une telle obscénité de pensée qu’on songe sans surprise à la pathologie. C’est pourtant la logique qui, aujourd’hui, conduit la partie émergée de la civilisation. C’est jouer avec le feu – non le feu de la guerre, mais celui de l’influence dont on abuse à force d’en user. Les Israéliens ont déjà perdu un atout maître depuis leur attaque stupide et indigne de Gaza: l’alliance de la puissante Turquie. Ils pourraient perdre beaucoup plus encore.


Mis en ligne le 29 septembre 2009 à 06H41