Sabordage et naufrage en cale sèche

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Sabordage et naufrage en cale sèche

Nous sommes dans une époque où il est politiquement et métaphysiquement (oui oui) impossible de ne pas mettre, non seulement en parallèle mais dans la même rubrique, d’une part la décision française de suspendre, éventuellement temporairement car on n’est jamais trop bas dans les sondages, la livraison du premier porte-hélicoptères Mistral à la Russie, et d’autre part la parution annoncée du livre imprimé en secret et présenté comme sensationnel de l’ex-compagne du président sur les relations personnelles, voire intimes, des deux protagonistes avec quelques comparses divers et diverses autour de la chose. (Sur le premier cas, voir Le Monde puisqu’il faut bien, le 3 septembre 2014 et Russia Today le 3 mars 2014. Sur le second cas, voir n’importe quoi, par exemple Europe n°1 et sa série d’articles sur la chose, disons à partir de celui que référence Google, du 3 septembre 2014.) Cette proximité que l’actualité autant que l’esprit de la chose dans le chef de ce qu’on doit nommer “le caractère” du président-poire qui détermine la conscience qu’il a de sa fonction, constitue une occurrence remarquable caractérisant une époque exceptionnelle pour une bassesse qui en deviendrait profondeur (invertie) tant elle semble n’avoir pas de fond.

... Sur le premier cas (la navigation du Mistral), The Saker fait un rapide commentaire le 3 septembre 2014, qu’il titre en français d’une façon qui ne peut être désapprouvée («Pauvre, pauvre France !»). Puis ces quelques mots extraits du commentaire (nous supposons qu’il s’impose de traduire “soft testicles” par “couilles molles”) :

«It appears that Francois Holland, aka “soft testicle” (nickname given to him by Martine Aubry, First Secretary of the Socialist Party of France), has outdone even Tony Blair as the US's most docile poodle in Europe. After resisting US pressure for a long time and being fined billions of dollars for doing so, he has suddenly decided to cave in and suspend the delivery of the French Mistrals to Russia. However, not will the US will not return to 9 billion dollars extorted out of Paribas, now the Russian can impose astronomical penalties on France for breach of contract. Double whammy for Hollande!

»Now I suspect that this is a measure which will last exactly as long as the upcoming NATO summit and that as soon it is over the “circumstances for delivery” will magically become “right again”...»

Passons maintenant à un tout autre sujet, sans rapport direct avec les précédents mais avec un puissant rapport de contexte. Il s’agit d’un article de Robert Parry, de ConsortiumNews, qui publie le 3 septembre 2014, un article pour tenter, non pas d’expliquer, mais simplement de comprendre pour son compte («The Whys Behind the Ukraine Crisis») les causes de la crise ukrainienne qui est évidemment la cause de la navigation en cale sèche de la France dans l’affaire Mistral. Il examine tous les arguments et explications qu’on a donnés, chacun avec sa logique et aucun qui ne soit décisif pour expliquer une telle folie qu’est l’engagement du bloc BAO dans ce brasier incontrôlable. (Les arguments que donne Parry sont tous des conséquences de la crise, – chacun sautant sur l’“opportunité” de la crise pour donner son explication, comme chaque groupe d’intérêt y introduit sa recherche d’un avantage. Ainsi ne donne-t-il aucune explication satisfaisante, sans d’ailleurs se le dissimuler vraiment, et finit vaguement par choisir la plus irrationnelle des conséquences maquillée en cause, la plus folle et la plus “enfantine” d’entre toutes, – celle des neocons.) Voici l’introduction et la conclusion...

«A senior U.S. diplomat told me recently that if Russia were to occupy all of Ukraine and even neighboring Belarus that there would be zero impact on U.S. national interests. The diplomat wasn’t advocating that, of course, but was noting the curious reality that Official Washington’s current war hysteria over Ukraine doesn’t connect to genuine security concerns. So why has so much of the Washington Establishment – from prominent government officials to all the major media pundits – devoted so much time this past year to pounding their chests over the need to confront Russia regarding Ukraine? Who is benefiting from this eminently avoidable – yet extremely dangerous – crisis? What’s driving the madness? [...]

»Yet, by risking a potential nuclear confrontation with Russia — the equivalent of the old lady swallowing a horse – the neocons have moved beyond what can be described in a children’s ditty. It has become more like a global version of Israel’s “Samson Option,” the readiness to use nuclear weapons in a self-destructive commitment to eliminate your enemies whatever the cost to yourself. But what is particularly shocking in this case is how virtually everyone in U.S. officialdom – and across the mainstream media spectrum – has bought into this madness.»

On précisera pour ces conditions générales que la phase actuelle de «this madness» que constitue la crise ukrainienne, constitue une “madness” spécifique dans «this madness» en général puisqu’il s’agit de la grotesquerie de l’“invasion” russe de l’Ukraine. (Voir nos textes à ce sujet, notamment le 2 septembre 2014 et le 3 septembre 2014). Itar-Tass note (le 3 septembre 2014), pour compléter la description de l’établissement psychiatrique, que, pour cette occasion, la Maison-Blanche et le département d’État ne sont pas d’accord, mais dans le sens contraire à l’habituel sens des aiguilles de la montre qui règle leur comportement, – comme un signe pour nous rappeler que le désordre reste bien la caractéristique essentielle de la situation générale (Maison-Blanche complètement affirmative de l’“invasion”, dans le chef de BHO en voyage en Lettonie, département d’État beaucoup plus prudent)... «Obama said in Tallinn earlier Wednesday that the presence of Russian troops in Ukraine is beyond doubt. Commenting on the statement, Peskov told the Russkaya Sluzhba Novostey radio that the American president’s words contradict data of the US Department of State, which admitted Tuesday that it does not have independent evidence that Russian troops crossed the border with Ukraine.» (Pechkov, porte-parole de la présidence de la Fédération de Russie.)

Nous ne perdons pas de vue que le sujet de ce texte et son commentaire concernent la décision française concernant le Mistral. Mais nous voulons la situer dans le contexte général de cette crise, là aussi pour écarter les explications de circonstances, qui sont à nouveau des conséquences prises pour des causes. Le président-poire a cédé aux pressions diverses, notamment celles des USA bien entendu qui n’en perdent jamais une quand il s’agit de business, de fric et de quincaillerie, mais ces pressions avec le but de torpiller la commande russe des porte-hélicoptères Mistral sont une opportunité (une conséquence exploitée) d’une crise générale dont nul ne veut reconnaître la cause fondamentale. De même, au fond, pour le président-poire lui-même, si l’on élargit encore le contexte à la situation générale d’une époque d’effondrement (et alors la question du caractère jouerait un rôle non négligeable dans la décision sur le Mistral, avec la proximité du sommet de l’OTAN où ce caractère insignifiant de type-éclair au chocolat craignait plus que tout d’être regardé d’un œil soupçonneux et mis à l’écart par des compagnons de haute valeur du type-Rasmussen)... Par conséquent, répétons ; de même Hollande n’est la cause de rien, y compris de l’affaire Mistral (y compris de ses “affaires de couilles molles”, ce qui fait plus chic qu’“affaire de cul”, non ?) ; il n’en est pas plus la cause que ne l’était, avant lui, Sarko avec toute sa bande, sa quincaillerie et ses grossièretés d’adolescent en crise pubère. Ces sapiens-là sont totalement étrangers à la fonction qu’ils squattent plutôt que d’occuper ; eux aussi, ils ne sont que de tristes conséquences d’une cause qui les dépasse.

La France de même... Sa situation présente résultant d’une évolution si spécifique qu’on croirait y voir un dessein n’est cause de rien, mais conséquence parmi les diverses autres déjà passées en revue. Tout juste lui reconnaîtrait-on l’originalité de parvenir à “sombrer en cale sèche”, puisque c’est en ne faisant rien, en n’étant rien, en ne disant rien, – ces “rien” désignant la répétition automatique des manifestations représentatives d’un standard-Système sans aucun rapport avec la légitimité de l’identité française, – qu’elle sombre effectivement, et plutôt en se sabordant par conformité. Mais ce n’est pas si grave, parce qu’elle sombre avec les autres, partie intégrante du bloc BAO, lequel est la pièce essentielle du Système. Dans ce cadre, les aventures épiques de l’alcôve du président ont tout à fait leur place dans le tableau, ajoutant dans la saga du bloc BAO quelque chose de la French touch (ah, ces French lovers s’exclament les amis d’à bord, selon le catalogue des clichés-midinette de la réputation française).

Le plus attristant, nous semble-t-il, est justement ceci que nous ne puissions pas vraiment distinguer la France dans ce commentaire qui concerne la France. La situation de la France, son évolution, sa posture, ne sont pas plus infâmes ni plus singulières que celles d’une Hollande ou d’une Pologne, même si elle a quelques pensées secrètes qui divergent (ou plutôt, malgré qu’elle ait quelques pensées qui divergent). La France a perdu tout exceptionnalité, y compris d’ailleurs dans sa servilité ; elle n’a pas été vaincue dans une guerre, elle n’est pas tombé aux mains de traîtres et collaborateurs avérés et affichés ; sa direction est une direction-Système classique, morne, démagogique sur les marges et orthodoxe dans l’alignement, verbeuses et vide, – et pour le reste, comme les autres, basse, aveugle, irresponsable, etc. La direction française est parfaitement intégrée dans l’exceptionnalité-Système, celle dont BHO est la marionnette prophétique et honnête joueuse de golfe. On ne peut rien leur reprocher de criminel, d’horrible, d’inversion fondamentale, car tout cela, – le crime, l’horreur, l’inversion fondamentale, – se passe à l’étage supérieur, dans le chef du Système lui-même dont ils ne sont que les employés, dans une tragédie cosmique dont ils sont comme les ombres des figurants avec le statut d’intermittents.

 

Mis en ligne le 4 septembre 2014 à 09H21