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23 janvier 2005 — Le problème de l’ “État de droit”, c’est que le droit y existe de façon prépondérante. C’est notamment le cas en Allemagne, pays rebâti depuis 1945 selon ce principe, sous la férule américaine. L’Allemagne est, en Europe, avec tel ou tel autre, parmi les pays qui se fondent le plus sur le droit et le moins sur le pouvoir exécutif, avec comme corollaire la décentralisation, la régionalisation et le but de la supranationalité. Un autre pays de cette sorte est certainement la Belgique, — avec lequel, on le verra, nous retrouvons notre sujet et une logique formelle dévastatrice pour les relations euro-américaines.
Les Etats-Unis se prétendent eux aussi “État de droit”. Cette notion, vue comme sacrée il y a encore trois ans et de tous temps interprétée avec des variations à mesure des nécessités des temps, l’est beaucoup moins depuis le 11 septembre 2001. Washington a pris diverses libertés, notamment avec les lois internationales. A côté de cela, certaines des activités américanistes, militaires, clandestines, etc, depuis l’attaque contre la Serbie en 1999, ont conduit à de vigoureuses mises en accusation. Ces mises en accusation n’ont pu se concrétiser aux USA en plaintes contre des personnes, notamment les dirigeants américains, à cause des pressions du système autant que des engagements politiques de l’administration. A cet égard, l’Amérique n’est plus un “État de droit”.
La Belgique l’est encore (un “État de droit”), peut-être inconsidérément comme on l’a vu au printemps 2003, en pleine ivresse de la victoire récente, écrasante, définitive, en Irak. Cela concernait Donald Rumsfeld, qui estimait courir le risque d’être inculpé parce qu’il avait été mis en accusation au nom d’une loi belge sur les crimes contre l’humanité. Il y eut scandale. Des autorités, en Belgique, en furent contrites et l’on liquida la loi. Rumsfeld est redevenu bienvenu.
Pas partout ? La même affaire recommence. Cette fois, le pays en cause est l’Allemagne et l’Américain en cause est effectivement et toujours Donald Rumsfeld. A cause d’un risque d’inculpation de même sorte, le secrétaire américain à la défense a annulé un voyage qu’il devait faire en Allemagne, à Munich, à la fameuse réunion de la Wehrkunde (selon l’agence DPA).
« Rumsfeld has informed the German government via the US embassy he will not take part at the Munich Security Conference in February, conference head Horst Teltschik said.
» The New York-based Center for Constitutional Rights filed a complaint in December with the Federal German Prosecutor's Office against Rumsfeld accusing him of war crimes and torture in connection with detainee abuses at Iraq's Abu Ghraib prison. Rumsfeld had made it known immediately after the complaint was filed that he would not attend the Munich conference unless Germany quashed the legal action.
(…)
» The prosecutor's office in Karlsruhe reportedly is examining the roughly 170-page complaint to see if an investigation is warranted.
» The Center for Constitutional Rights said it and four Iraqis tortured in US custody had filed a complaint with German authorities against Rumsfeld, former CIA director George Tenet and eight other senior military and civilian officials over abuses at Abu Ghraib and elsewhere in Iraq.
» The organization said it had turned to German prosecutors “as a court of last resort” because the US government “is unwilling to open an independent investigation” and had “refused to join the International Criminal Court”. »
C’est un intéressant remake de l’affaire belge, avec un deuxième pays de la même “vieille Europe”. Si le voyage de Rumsfeld n’a effectivement pas lieu malgré les tentatives d’arrangement probables d’ici le début février, les remarques suivantes prendront tout leur sens:
• Cet avatar du système juridique international auquel les uns souscrivent et les autres pas a toutes les chances d’être interprété politiquement à Washington, comme une agression de plus de la “old Europe” contre Rumsfeld.
• Les questions de pur formalisme ayant aujourd’hui pris le pas sur une substance que plus personne n’ose aborder, les Américains se souviendront également du discours du chancelier Schröder lors de la présentation publique de l’Airbus A380, le 18 janvier. Ce discours a été particulièrement remarqué chez les Américains, notamment les remarques de Schröder sur la “old Europe”, qui n’ont pas précisément fait rire Rumsfeld (le secrétaire à la défense en a effectivement été personnellement informé).
« On Tuesday, Schröder's remarks, in particular, carried a hint of defiance. The German urged the European Commission to negotiate aggressively with the United States in its ongoing trade dispute over subsidies to Airbus. And he extolled Europe's cooperative style as a cornerstone of the A380 project.
» “There is the tradition of good old Europe that has made this possible,” he said, alluding to Defense Secretary Donald Rumsfeld's famous quip about “old Europe” before the Iraq war. »
• Peu ou prou, l’incident pèsera sur le prochain sommet UE-USA du 20 février, puisque le formalisme tient aujourd’hui lieu de substance (bis). Il contribuera à rappeler la distance existante entre USA et Europe sur la façon de conduire la guerre contre la terreur et sur le comportement des forces armées, et sur la façon dont les uns et les autres considèrent le droit international. Aujourd’hui, les relations transatlantiques se déterminent à partir de tels incidents sans importance, qui sont démesurément grossis par l’incompréhension psychologique qui règne.