Salaam aleikum à toi, général McChrystal

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Encore une fois, l’USAF (deux F-15), pardon l’OTAN, a frappé, avec un raid aérien tournant au désastre. La centaine de morts fut déclarée d’abord justifiée comme celles de talibans enregistrés et estampillés, par des Allemands un peu lourds qui avaient demandé l’attaque, après avoir repéré des camions-citernes manifestement talibans (?) qui se baladaient comme en terrain conquis. Puis on nuança. Un gamin de dix ans hospitalisé, au milieu d’une multitude d’autres, cela fait naître des doutes sur l’estampillage et l’enregistrement. Puis il s’avéra qu’il y avait pas mal de civils, lorsqu’on apprit que les camions-citernes étaient en place pour distribuer gratuitement de l’essence aux villageois. Les talibans étaient, pourrait-on avancer, en “mission” d’assistance sociale, et l’USAF avait frappé. Funeste erreur, pour et selon le général McChrystal, l’homme qui prétend installer la discrimination humaniste dans les attaques aériennes en Afghanistan. (On sait que McChrystal, l’homme au nom transparent, est un connaisseur des vertus humanitaires dans les actions guerrières.)

Ce fut donc un branle-bas de combat. Il fallait réparer la gaffe-bavure. Ainsi, nous renseigne l’International Herald Tribune dans un long article sur les cas de conscience otaniens et occidentalistes (« NATO Strike Magnifies Divide on Afghan War», le 5 septembre 2009), McChrystal s’est-il lancé dans l’action civilisatrice, culturelle, ethnique et humanitariste.

«Recently, Gen. Stanley A. McChrystal, the top American and NATO commander here, severely restricted the use of airstrikes, arguing that America risked losing the war if it did not reduce civilian casualties.

»Underscoring his concern, on Friday he recorded a video message, translated into Dari and Pashto, to be released to Afghan news organizations. The general began by greeting “the great people of Afghanistan, salaam aleikum.”

»“As commander of the International Security Assistance Force, nothing is more important than the safety and protection of the Afghan people,” General McChrystal said in the brief message. “I take this possible loss of life or injury to innocent Afghans very seriously.”

»General McChrystal said he had ordered the investigation “into the reasons and results of this attack, which I will share with the Afghan people.”»

Cette attitude grossière, pourtant presque touchante à force d’ostentation et de naïveté complètes, caractérise le désarroi où se trouvent les esprits américanistes dans cette tentative de respecter “l’autre”, soit en ne le tuant pas aveuglément, soit en le considérant comme un être humain bien qu’il ne soit pas, le malheureux, américaniste. Contraints à tenter l’impossible pour eux (imaginer que quelque chose d’autre que l’américanisme puisse exister!), les soldats US, leurs contractants, leurs chefs, leurs experts en communication, les scénaristes d’Hollywood, la direction civile font ce qu’ils peuvent pour donner l’impression qu’ils se chargent eux-mêmes de se changer, et tout cela s’achève dans une dérision générale, l'installation de contraintes bureaucratiques nouvelles et une situation encore aggravée. Il est probable qu'avec cet incident, les règles d'engagement aérien vont être rendue encore plus sévères et contraignantes, de crainte panique des effets médiatiques d'une nouvelle bavure, et l'appui aérien va devenir si parcimonieux et mesuré que cela pourrait devenir un problème opérationnel grave pour les forces de la “coalition” occidentaliste.

Quelle différence dans l’état d’esprit, dans la certitude de soi et de la position du Bien (ou de Dieu) “à nos côtés”, avec l’attaque de l’Irak en 2003, et cette différence mesurant le poids des échecs et de la déroute généralisée du système de l’américanisme. Dans La stratégie du choc (Actes Sud, mai 2008), que nous citons souvent parce qu’il s’agit d’un document nécessaire et indispensable à la compréhension formidablement documentée du cataclysme qui s’abat sur notre temps, Naomi Klein détaille notamment les conditions de l’attaque contre l’Irak, puis du “traitement” qui suivit immédiatement, comme le développement général d’une sorte d’intervention à l’acide destinée à tout détruire et à tout uniformiser, à réduire à une situation entropique. Le contraste entre cet enthousiasme pour la destruction entropique et les tentatives pitoyables de McChrystal tentant de s’intéresser, disons selon les lignes d’un scénario hollywoodien bien-pensant, à la “réalité” autochtone, marque combien les USA sont à l’aise dans le premier cas qui est celui d’une éradication complète (nettoyage historique, culturel, identitaire, social et surtout psychologique, comme on dit “nettoyage ethnique”), et combien ils n’ont aucune chance de parvenir à rien dans le second.

Parmi les innombrables passages du bouquin de Klein qui mérite citation, celui-ci, sur un des adjoints de Bremer, le second gauleiter américaniste de l’Irak en poste à partir de juin 2003. Il s’agit de John Agresto, professeur et universitaire prestigieux, d’un établissement spécialisé dans la littérature; ce qui montre que nous ne sommes pas au niveau de la fermeture de la pensée (dans ce cas pour la culture) mais de l’impuissance de la psychologie pervertie…

«Témoin des pillages à la télévision, […] John Agrsto vit lui aussi le bon côté des choses. A ses yeux, son travail – “une aventure unique” – consistait à rebâtir le système d’enseignement supérieur de l’Irak à partir de zéro. Dans ce contexte, le pillage des universités et du ministère de l’Education était “l’occasion de prendre un nouveau départ”, de doter les écoles irakiennes “du meilleur équipement moderne”. S’il s’agissait de “créer une nation”, comme de nombreuses personnes le croyaient à l’évidence, les vestiges de l’ancienne ne feraient que nuire. Agresto avait été président du St John’s College du Nouveau-Mexique, spécialisé dans l’enseignement des grandes œuvres de la littérature occidentale. Même s’il ne savait rien de l’Irak, expliqua-t-il, il s’était abstenu de lire des livres sur le sujet avant de s’y rendre; il voulait aborder sa tâche “avec l’esprit le plus ouvert possible”. Comme les universités irakiennes, l’esprit d’Agresto était une page blanche.»

Par contraste, donc, les prétentions de McChrystal vis-à-vis de l’Afghanistan portent le poids du ridicule et de l’impuissance. Leur culture ne peut faire qu’une chose: détruire, sans même expliquer pourquoi, comme font des robots suivant un programme au contraire indestructible. Ces étranges crétins pathologiques aux QI satisfaisants ont perdu d’avance en Afghanistan, et l’on craint, ou l’on espère c’est selon, que la chute sera vertigineuse, incompréhensible pour eux, extrêmement coûteuse, surtout dans ce qui leur est le plus cher, les dollars et les matériels de technologies avancées, et sans retour. En fait de barbarie, ils font des choses qui n’ont aucun précédent et qui resteront longtemps insurpassables. (Notons pourtant que tout cela était assez justement annoncé il y a plus de dix ans, en 1997, par notre “barbare jubilant”, le lieutenant-colonel Ralph Peters.) C’est ce que les experts des salons parisiens appellent délicatement et fièrement “la famille atlantiste”.


Mis en ligne le 7 septembre 2009 05H30