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274110 février 2021 – Je ne suis pas un critique poétique, comme l’on dit d’un critique littéraire (que je ne suis pas également), et d’ailleurs au fond comme l’on dit d’un ‘critique’ en général... Au reste, il semble bien que je ne sois pas un ‘critique’ considéré institutionnellement. Dire cela pour ce propos-là, celui de ce jour et de cette page, c’est dire une fois de plus que je suis sans étiquette, hors du rangement courant, sans identification sociale, – ni même géographique dans ce que la terre natale a d’humain, puisque d’un pays disparu et dénoncé (l’“Algérie française”), c’est-à-dire émigré sans pays d’accueil ni terre de retour. Ces diverses remarques me conduisent à observer que si ma position peut paraître ‘vertueuse’ comme l’est l’absence de liens qui contraignent, elle est aussi horriblement difficile et lourde à porter parce que cela signifie l’absence de racines.
Pourquoi dire tout cela alors que je ne veux parler que de poésie en cet instant ? Simplement, je crois, pour revendiquer la vertu, – pour le coup c’en est une, à mon sens, – de l’inconnaissance ; et m’autoriser à parler de poésie sans l’autorisation de quelque magistère du genre, et d’une façon qui marque le caractère d’universalité des domaines qu’aborde la poésie.
Aucune connaissance structurée et acceptable, certes, mais de ma part une considération indirecte et absolument fascinée pour la poésie, comme quelque chose de précieux et de haut, offertoire de secrets millénaires. Ce n’est pas pour rien si, d’indistinct sinon d’intuition, j’ai choisi l’image de l’« âme poétique » comme référence et définition de mes ambitions les plus hautes en matière d’écrit, notamment comme source et cascade même de l’intuition.
Je crois pouvoir exposer mon sentiment qu’on ne peut exciper aujourd’hui, je veux dire dans cette époque monstrueuse et tragique qui ne dispose d’aucun précédent pour se faire pardonner, d’une quelconque grandeur dans la poésie qu’en parlant soit de la chute, soit de l’envol, – soit du désespoir, soit de la quête. Notre temps, qui est des Derniers Temps, s’exprime effectivement dans ces deux extrêmes parce que l’alternative dont il est comptable est celle de l’Épreuve ultime. Et là-dessus, je suis dans l’esprit de croire, hors de toute connaissance, que la poésie, celle de la forme même, celle de l’âme qu’on peut trouver également dans des textes qui n’ont pas la forme poétique, celle de l’intuition, est seule capable de nous ouvrir des portes invisibles et indicibles, qu’elles promettent le vertige du Néant ou l’élan du Ciel.
Tout cela, enfin, pour exposer qu’il m’est bien difficile de me faire comprendre en une matière que je juge essentielle, unique, vitale pour toute pensée, sinon entendre comme l’on ressens et l’on devine. L’intuition à laquelle je me réfère tant et pour traiter tant de sujets qui paraissent au premier coup d’œil superficiel, à mille lieues de la poésie, est pour moi complètement de la poésie, puisque porteuse de l’émotion sacrée et lavée de tout cet affectivisme. (L’affectivisme, ce geignement de l’être en dissolution, qui s’abaisse pour mesurer sa dignité sous le joug du règne de la quantité, cette époque de la doléance chevrotante et de l’irresponsable repentance.) L’intuition qui est poésie, comme la poésie elle-même, se jouent de la raison comme l’on passe outre et elles jouent de la métaphore comme l’on joue de la viole de gambe, en virtuose d’autres époques des Temps Sacrés.
(L’érudit que je ne suis pas puisque je vais chercher le maigre secours du Wiki, qu’on me pardonnera j’espère, sait donc que « la “poésie” et ses dérivés “poète”, “poème” viennent du grec ancien ποίησις (poiesis), le verbe ποιεῖν (poiein) signifiant “faire, créer” : le poète est donc un créateur, un inventeur de formes expressives... » ; voilà qui me convient, sans aucun doute.)
Cet exercice de définition, justement, me permettant de passer à l’essentiel, qui est de vous dire quelques mots du livre d’un poète (*), que j’ai reçu personnellement, selon la justification de la découverte et de la lecture de dedefensa.org. Si je connais fort peu de chose des règles et critères de la poésie, je reconnais et ressens aussitôt l’émotion que fait naître en moi son exercice lorsqu’il est celui qui convient. Mario Pelletier, un ami du Québec, est assidûment sur notre site « depuis près de sept ans maintenant ; depuis l’infâme coup d’Etat de Kiev ». Il est vrai que c’est une intense satisfaction, à la lumière des lignes qui précèdent, de recevoir un tel témoignage de fraternité, sous la forme de ces poèmes, à partir d’une circonstance purement et essentiellement politique, dans un de ces aléas des traquenards et des trahisons qui semblent constituer la respiration et le souffle de ce siècle.
De même, dirais-je, et pour citer l’une ou l’autre pièce, mon intérêt et mon penchant principaux sont allés à des thèmes, à des évocations, à des prières essentiellement spirituelles, avec de lointains échos théosophiques et ésotériques ; bien sûr, ce ‘Matines – III’ évoque, dans sa brièveté et sa fulgurance, justement dans le registre inhabituel que j’ai dit, l’un des aspects de la quête caractérisant ce que le site dedefensa.org pourrait estimer être sa mission, qui est d’aider dans la mesure de ses moyens à ce que soit la lumière...
Quand le jour se lèvera
quand le plein jour reviendra
s’éclipseront les ombres manteaux du crime
tomberont les masques de la nuit
fondront comme suite de cauchemar
les grimages de sabbats maléfiques
sur la face renouvelée du monde
le faux le hideux et l’atroce
pulvérisés par la lumière ressuscitée
Et ensuite, et enfin, qui ne reconnaîtrait dans ce choix du ‘Un autre temps’ mon penchant pour les références du passé, pour les images resurgies de la mémoire et de l’“âme poétique”, les constructions sublimes de ma chère nostalgie, les rencontres avec des épopées et des souvenirs qu’on dit trop vite disparus, tout cela rassemblé en ce qui serait une sorte de “passerelle vers l’éternité”. Gustave Thibon, ce philosophe catholique de choc et d’estoc qui entretint des rapports si singuliers avec Simone Weil, avant la mort de la jeune femme, et qui fit de la poésie l’arc-boutant de sa forme et de sa conception de la foi et de la métaphysique, disait que « la contemplation du passé.. nous ouvre immédiatement un horizon d’éternité » ; et ceci encore : « la mémoire anticipe sur le ciel ; l’homme qui se souvient annonce le Dieu qui ressuscite ».
Place au poète.
En d’autres temps
en d’autres lieux
tellement je t’aurai cherché
et tant de fois cru te trouver
dans des cryptes nébuleuses de psyché éperdue
dans les arbres d’hiver dépouillés d’espérance
dans des brousses d’été incendiées de désir
sur des radeaux de désir immémorial
en d’autres temps
en d’autres lieux
ardemment je t’aurai cherchée
dans des flashes de vies antérieures
galaxie de souvenirs à des années-lumières enfuies
quand je tachais de rattraper l’illusion temporelle
par grandes foulées de métaphores
marathon sans fin du verbe qui s’essouffle
langue pendue dans la déroute
pieds dès-ailés dans le soir qui tombe
tous les morceaux du puzzle de soi éparpillés
oui
tant t’aurai-je cherchée
et cru te trouver un jour
en ce matin lumineux de Florence
réveillé au tintement de Santa Mariac Novela
encore étreint par un être angélique
qui me caressait de mots inouïs en aucune langue
je te sentais là me retenant
à la fin d’une longue convalescence
quelque part au Quattrocento
toi qui m’écoutais chanter sur l’Arno
dans les vêpres écarlates du crépuscule
ou le suivais comme une ombre à Montecatini
dans ce château-fort haut perché des Médicis
et toi encore à Rome
le long des millénaires remontés à pied
dans les ors qui éclataient au-dessus du Colisée
nostalgie pénétrante tombant du ciel
flammes de pourpre sur les forums impériaux
toi ressuscitant nos amours antiques
dans le soir qui embrasait le Tibre
toi venue me saisir
comme la fée Viviane
rapt ineffable
en grands vertige d’envol
dans la forêt de Brocéliande
près du tombeau de Merlin
et toi toujours et encore
surgie en vierge aztèque
de la neige éternelle tombée
un soir de mai sur Mexico
telle l’encens de Moctezuma
ou tzigane chevauchant des vents hurleurs
dans les toundras de Sibérie
où se répercuteraient les cris des loups
sous des lunes rouge sang
empourprant la neige
et ce palais de glace
où tu étincelais
éternelle
(*) Le recueil de poèmes de Mario Pelleti, ‘Chants de nuit pour un jour à venir’, est paru en 2020 chez l’éditeur Écrits des Forges, à Trois-Rivières (Québec).
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