Salut au vieil homme…

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Cela pourrait être dit aussi bien aux USA (Ron Paul) qu’en France… Pour l’instant, il s’agit de la France, de la sortie rigolarde et un brin déjantée par le poids des ans d’un Chirac assistant à l’inauguration du musée qui porte son nom en Corrèze, en présence du président du Conseil Général de Corrèze, François Hollande. La “vraie-fausse boutade” (selon Villepin) de Chirac ((«Je voterai Hollande en 2012») est désormais fameuse et audible partout, y compris par Sarko ; laquelle “vraie-fausse boutade” est suivie d’un démenti également rigolard et qui en remettrait une couche plutôt que d’effacer l’originale :

«“Il s'agissait d'humour corrézien entre républicains qui se connaissent de longue date”, a clarifié dimanche à l'Agence France-Presse l'ancien chef de l'Etat, qui “déplore que cela ait pu être interprété autrement”. Jacques Chirac rappelle comme il l'a d'ailleurs dit au Figaro de samedi qu'il “ne prendra pas part au débat politique et en particulier à celui de la campagne présidentielle”. “C'est un choix et un principe auxquels je me suis tenu depuis la fin de mon mandat”, a conclu l'ancien président de la République…»

Ces explications sont du Figaro du 12 juin 2012, qui hésite pour décider s’il s’agit de lard ou de cochon, et qui s’avère plutôt gêné aux entournures. Hollande ne cesse de rigoler en parlant d’une “plaisanterie”. Villepin, hier 13 juin 2012, présente sur RFI une explication extraordinairement impudente, presque sous forme de vraie-fausse plaisanterie, qui pourrait être une vraie-fausse explication, qui laisse à penser avec certitude qu’il riait sous cape en buvant du petit lait, en la donnant…

«“Ce qui est sûr, c'est qu'il y avait quelque chose de pince-sans-rire” dans ses propos, a-t-il ajouté. Selon lui, Jacques Chirac n'avait sans doute “aucune idée qu'il y avait une perche (de micro) au-dessus de lui qui guettait le moindre de ses mots”. Et s'il les a répétés plusieurs fois, “c'est parce qu'il n'entend pas forcément bien, donc il répète, pour être sûr que ses interlocuteurs comprennent le message”. “Mais je crois qu'il y avait tout dans cette affaire d'une vraie fausse boutade”, a-t-il dit.»

Maurice Szafran, de Marianne, saute sur l’occasion, le 12 juin 2012, de remettre en perspective la sortie de Chirac, qui ne fait après tout que confirmer ce que ce même Chirac nous avait confié, à nous public, sur ses pensées à peine secrètes à l’égard de Sarkozy  ; c’est-à-dire, à l’encontre de Sarko…

«…Jacques Chirac est un opposant irréductible à ... Nicolas Sarkozy. Nous le savions mais, jusque-là, le précédent président s’était contraint au silence. Alors que s'est-il passé ?

»Nous ne retiendrons pas l'explication comme à l’accoutumée vulgaire des sarkozystes : le vieux président serait devenu sénile ; donc il se lâcherait ; donc il dirait désormais tout ce qui lui passe par la tête. Et cette rumeur, désormais, de courir Paris (lire par exemple l'article du Parisien publié ce dimanche, d'une rare violence, sans la moindre prudence ni recul, meurtrier pour Chirac, décrédibilisant sa parole, la preuve que la communication en politique, c'est efficace)... Le hic ? La sortie récente de Chirac en Corrèze, annonçant qu'en 2012 il voterait en faveur de François Hollande, est parfaitement articulée et cohérente. Pour s'en convaincre, il suffit de l’écouter et de la réécouter. Non, Jacques Chirac n'a pas encore perdu la boule… […]

»Peut-être Jacques Chirac, enfin débarrassé des contingences et des convenances qui lui ont tant pesées, exprime-t-il ce qu'il ressent, un dégoût pour la droite sarkozyste, une conception de la nation et de la république qui le rapproche, pour de vrai, d'un François Hollande. Le grand âge outil de la liberté et de la libre parole ? Alors vive le grand âge!»

…Donc, Chirac insiste (et Hollande, de profil et rigolard lui aussi, qui parle à Chirac, a justement un profil de plus en plus pompidolien, – et l’on sait que Pompidou fut le tuteur de Chirac, en même temps que président lui-même, – quel étrange retour des choses…). Son “humour corrézien entre républicains”, sa “vraie fausse boutade”, sèment une gêne considérable dans le petit monde de “nos élites”, toutes tendances et velléités confondues, auquel tout cela est destiné. Les commentaires sont retenus, hésitants entre l’expression d’une dérision un peu forcée et nécessairement hypocrite, et la crainte de voir soulevé le tapis où l’on a caché bien des déchets ; la critique voilée d’accorder de l’importance aux paroles d’un vieux monsieur un peu instable ou l’horreur à peine dissimulée et paniquarde devant les paroles de ce vieux monsieur qui ne craint plus de dire ce qu’il pense. La façon dont l’ancien président, sénile juste comme il faut, sème avec délice ses petites bombes, a un étrange caractère apolitique qui met en cause la situation et les mœurs de toute une direction politique, complicités mêlées. Il reste que, pour ce qui concerne le fait de sa “sortie” corrézienne, on comprend bien que ce qu’attaque Chirac, c’est une pose, un style, un caractère, une insupportable infamie qui entraîne tout le reste…

Ceux qui voudraient s’en tenir aux faits politiques (un Zemmour, par exemple) ne cessent de rappeler, comme nous le faisons nous-mêmes régulièrement, que, par exemple et pour prendre l’exemple de la dénonciation du pro-américanisme de Sarko, c’est Chirac lui-même qui a lancé le rapprochement de la France de l’OTAN (effectif dès 1996-1997), bien plus que Sarko. (Voyez, par exemple, notre texte du 4 février 2010, avec les passages consacrés à Chirac.) Il y a dans cette circonstance, chez certains qui méritent mieux que Sarko (Zemmour, justement), comme une pression qu’ils s’appliquent à eux-mêmes pour tenter d’écarter le soupçon d’infamie qui flotte autour de Sarko, comme un parfum bon marché. Non seulement Chirac n’a pas toujours été le rigoureux “gaullien” qu’il voudrait parfois paraître, ou qu’on voudrait faire de lui, mais il a toujours été remarquable par une pensée assez courte, une grande faiblesse de conceptualisation, des erreurs stratégiques considérables et des causes qu’il se forçait à épouser contre son instinct (l’Europe, par exemple), pour rester “convenable” pensait-il. Il reste qu’au bout du compte, à certains moments où il le fallait, il se rattrapait plus ou moins, montrant par là qu’il lui aurait fallu bien peu pour reconnaître ses erreurs et suivre une politique plus fondamentale que “convenable” ; paradoxalement, durant l’affaire du Kosovo de 1999 et contrairement aux apparences (voir encore notre texte référencé plus haut) ; durant l’affaire irakienne, bien sûr, mais de façon beaucoup moins audacieuse et “gaullienne” qu’on a dit ; enfin, d’une façon générale, par la recherche parfois couronnée de succès d’un véritable comportement “présidentiel”, qui montrait une compréhension toujours accentuée de la nécessité et de la substance de la chose… Bien qu’il fût bien souvent court et mal à propos, il reste que Chirac avait l’intuition que la fonction de président de la république n’est pas un job comme un autre, dont il s’agit de tirer le maximum de profit et de gloriole personnelle, qui apporterait plus de droits que de devoirs, éventuellement avec “bonus” et “parachute doré”. Il est absolument manifeste que Sarko, lui, n’a pas de cette sorte d’intuition ; et comme les évènements n’ont plus aucun ordre, la France n’est même plus soumise aux pressions ordonnées qui, en temps normal, même avec un chef détestable, la conduisent à suivre une politique qui la distingue par son sens structurant. Ainsi Sarko apparaît-il pour ce qu’il est, – “le Président est nu”.

…De même, comme le suggère Szafran, Chirac apparaît-il comme il aurait voulu être tout au long de sa carrière, et comme le sort lui réserve peut-être l’occasion d’être sur le tard : le vieux sage un peu sénile, un peu dur d’oreille, qui lâche quelques formidables et tonitruantes vérités en se marrant comme d’une bonne blague qu’il leur fait. (Dans ce cas, le zeste de sénilité et l'oreille un peu paresseuse permettent des audaces que la belle santé éclatante de nos élites en place semble leur interdire, – époque d'inversion, certes.) En l’occurrence, dire ce qu’il dit de Sarko, et encore plus ce qu’il dit à demi-mot et entre les lignes, rien qu’avec la manière de le dire, cela représente une incursion de campagne (électorale) particulièrement dévastatrice. Il serait profondément erroné d’en faire une affaire droite-gauche, comme si ces vieilles choses, la droite et la gauche, cela existait encore. Non, il en fait une affaire de gouaille pour redresser la dignité de la fonction en toute connaissance de cause, ce qui est un exercice somme toute vertueux qui est de faire sortir des vérités du dérisoire. Chirac a été président, il a été une crapule, mais, en mélangeant les deux, il a appris jusqu’où exactement l’on peut être une crapule lorsqu’on est président, et en l'étant encore. Sarko, lui, ne sait pas ces sortes de chose et il est toujours un peu trop loin dans le régime de la crapulerie pour devenir digne d’être président ; et de réussit, par conséquent, le miracle de nous faire apprécier un Chirac, ou un Mitterrand d’ailleurs, comme une icône de vertu présidentielle, avec la dégaine naturellement “gaullienne”.

Cela considéré, il reste enfin qu’il y a dans ces affaires à la fois dérisoires, surprenantes et peut-être chargées de vertus explosives pour les mois qui viennent, les pressions désormais habituelles de forces qui nous dépassent. Sarko est, comme les autres, prisonnier du Système, mais il s’en arrange, s’en félicite, il y voit même une occasion d’exister un peu plus haut que ne l’autorise sa taille. Chirac, lui, fait peut-être, effectivement, la découverte que, face au Système, certaines “contingences et convenances” auxquelles il se croyait amarré, peuvent sauter ; on ne dit certainement pas que la chose soit consciente, et même on serait inspiré de croire le contraire, que lui aussi cède, mais dans le bon sens, aux diverses pressions qui nous dépassent et dont il n’a lui-même aucune conscience particulière. Mais comme, dans cette époque si basse, la conscience c’est la raison humaine pervertie, autant laisser faire l’instinct.


Mis en ligne le 14 juin 2011 à 07H59