Sanders, “cocktail Molotov”-2020 ?

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Sanders, “cocktail Molotov”-2020 ?

En 2016, l’image avait eu du succès, dans tous les cas dans notre chef. Nous la considérâmes comme particulièrement opportune : Trump est  un cocktail-Molotov que “le peuple” veut lancer sur l’establishment républicain,–l’image devenant, lorsque Trump fut désigné candidat républicain, “lancer un cocktail-Molotov sur l’establishment  washingtonien”. Nous pourrions ressortir cette image pour USA-2020 : Sanders est un cocktail-Molotov que “le peuple” veut lancer sur l’establishment démocrate, devenant washingtonien si, par extraordinaire, le DNC (Democratic National Commission, direction du parti) concédait la victoire de la désignation comme candidat démocrate à Sanders.

On l’a déjà dit, les primaires viennent à peine de commencer que le désordre, c’est-à-dire la fraude et les manipulations de la direction, règne partout. Le DNC reste entièrement sous l’influence d’Hillary Clinton et Hillary Clinton a contre Sanders une haine d’une intensité proche de celle qu’elle éprouve à l’encontre de Trump. Le DNC semble aujourd’hui être devenu le centre-dynamique de la crise du pouvoir du système de l’américanisme.

Pour savoir dans quelle situation l’on se trouve aujourd’hui, après l’épouvantable coup foireux de l’Iowa et la victoire de Sanders dans le New Hampshire, on passe la parole à Michael Moore. Après tout, c’est lui l’inventeur de la formule “Trump-cocktail-Molotov”, il a priorité pour nous expliquer les éléments tactiques qui se déploient pour que Sanders reprenne ce rôle dans USA-2020.

Il le fait dans  une interview de Jordan Chariton, animateur d’une émission indépendante, Status Coup, après que Moore ait eu un entretien avec Sanders ce week-end dans le New Hampshire...

Jordan Chariton: « Que ce soit de l'incompétence ou non, ce qu'ils ont fait dans l’Iowa semble être intentionnel. Bernie était sur le point d’être déclaré vainqueur, lorsque Tom Perez [le président du DNC] intervient en décidant une “vérification” du comptage... 

Michael Moore: « Cela se passe quelques minutes avant que Bernie ne donne cette conférence de presse expliquant pourquoi il a gagné l'Iowa, et ils l’ont fait pour le neutraliser. Je suis tombé sur Tom Perez hier soir après le débat  [de vendredi] et ses hommes ont essayé de m’empêcher de m’approcher de lui, ce que j'ai fait bien sûr. On ne me bloque pas facilement, bon Dieu !
» J'ai dit : “Tom, toi et moi, on doit se parler !”
» Il a dit : “Ouais, ouais, ouais.”
» “Non, il faut qu’on parle là, maintenant, je viens à DC pour te parler, parce que tu ne peux pas...” C’est vrai, le DNC ne peut pas tout foutre en l’air ! Ils ont la responsabilité morale de tout faire pour que nous nous débarrassions de Trump.
» Et je commence à détecter chez certains des types de la DNC qu’il est en fait plus important pour eux de sauver leur vieux système corrompu et pourri, c’est plus important pour eux que de se débarrasser de Trump.
» Quiconque émet une réserve à propos de Sanders, – quand Hillary dit qu’elle ne sait pas si elle peut soutenir le candidat, c’est-à-dire Bernie, alors c’est comme si elle disait le fond de sa pensée. Et c'est assez pourri et assez effrayant.
» ... Il serait mieux d’avoir Trump que Bernie comme président, c’est exactement ce qu’elle a dit. Elle ne l’a pas dit avec ces mots, mais c’est ce qu’elle voulait dire. C’est ce que Biden a dit quand il a précisé qu’il ne pouvait pas s’engager à soutenir Bernie. Et ainsi de suite.
»  C’est pourquoi une partie de l’establishment de manipulation du Parti Démocrate garde Bloomberg en réserve, – il est maintenant leur “grand espoir blanc” parce que Biden ne va pas si bien. Ils pensent aussi que Pete  [Buttigieg]  pourrait l’être, mais je ne pense pas que cela va bien se passer. Qui sait ? »

Jordan Chariton: « Les supporters de Bernie qui regardent dans leur propre parti sont très inquiets car il semble que ce que le DNC est prêt à faire maintenant fera ressembler 2016 à un jeu d’enfant. » 

Michael Moore: « Il y a de quoi être très anxieux, très très inquiet. Ils ont plus d’argent que nous. Ils détiennent le pouvoir
» Voici le pouvoir que nous détenons, nous : nous sommes beaucoup plus nombreux. Il y a beaucoup plus de gens qui croient aux choses qui leur sont chères qu’eux-mêmes croient aux choses qui leur importent. Beaucoup plus de gens, nous sommes des dizaines de millions en fait.
» Alors que faisons-nous de tout ça ? Comment pouvons-nous organiser tout ça ? Parce que cela ne fonctionnera pas en restant assis à la maison à regarder ce qui se passe, ou en regardant l’émission que vous êtes en train de tourner, ou bien en écoutant les nouvelles sur le chemin du travail ou quoi que ce soit d’autre
» Il est temps de se mettre en position de faire quelque chose maintenant. Il ne faut pas attendre cet été [et la convention démocrate pour désigner le candidat]. Il faut agir maintenant, en février. Nous devons nous opposer totalement à la DNC. »

 

Michael Moore est un personnage à multiples facettes, qui se garde dans tous les cas de trop se trouver embrigadé, ou “institutionnalisé”, dans l’une ou l’autre position officielle, fût-ce au sein du parti démocrate. En temps normal, ce type de personnage qu’on assimilerait à un “électron libre”, a peu d’influence même s’il fait beaucoup de bruit, justement à cause de cette absence d’accointances officielles dans un système extrêmement attentif au formalisme dans la mesure où l’absence de fond des diverses positions doit être compensée par un aspect formel extrêmement lourd. Mais nous ne sommes pas dans “un temps normal”...

Dans de telles circonstances, ce sont plutôt les qualités de Moore qui prennent le pas sur ses défauts : une notoriété dans les milieux artistiques et de la communication, notamment grâce à ses documentaires, depuis son Prix Spécial au Festival de Cannes (en mai 2002) ; une position qui devient intéressante dans des réseaux politiques officieux, avec des sources et des contacts nombreux ; une indépendance aussi bien intellectuelle que matérielle, due à son état d’esprit autant qu’à sa position dans l’industrie de la communication et les succès énormes de ses documentaires qui lui ont donné (il est habile à cela) l’aisance financière ; enfin un sens évident de la tactique politique, surtout dans les situations confuses comme celle que nous connaissons aujourd’hui. Par conséquent, on peut accorder un certain crédit à ses déclarations, au sortir d’une conversation avec Sanders.

On sait que Moore était partisan de Sanders en 2016, mais qu’il fut très critique de l’absence de combativité du candidat devant les manœuvres de fraude du DNC. Cette fois, en 2020, il se pourrait qu’il ait convaincu Sanders de la nécessité pour lui de se battre contre le DNC, évidemment avec la démonstration évidente de la position de saboteur de la campagne Sanders du même DNC mise en évidence dès les caucus de l’Iowa. De même, la volte-face de la presseSystème et de nombre de personnalités, aussi bien que la nombreuse documentation sur le rôle de Buttigieg comme officier du Naval Intelligence, – donc son accointance avec la CIA, – ont complété le rôle du DNC dans la démonstration qu’une machination est d’ores et déjà en marche pour briser les reins à la candidature Sanders, et de façon beaucoup plus brutale qu’en 2016. C’est dans ce contexte que l’intervention de Moore est intéressante,
1). parce qu’elle reflète sans aucun doute la position d’une frange importante du parti démocrate, la frange la plus à gauche, la plus activiste, la plus inclinée à en découdre ;
2). parce que sa proximité de Sanders à ce niveau de la compétition des primaires, en son tout début, semble marquer que le candidat de la gauche démocrate prête l’oreille à des conseils de fermeté, voire de riposte “musclée” contre le DNC ; et enfin,
3). parce que les déclarations de Moore sur la nécessité d’une action en marge des primaires, – immédiatement, dès ce mois-ci, et non pas lors de la Convention de l’été, – peuvent indiquer qu’effectivement le camp Sanders envisage de répliquer aux manigances du DNC.

La perspective Sanders reste à la fois risquée et énigmatique, surtout lorsqu’on entend ce candidat répéter qu’il se présente comme un “socialiste” (tout en affirmant en même temps qu’il faut maintenir l’unité du parti). Pour certains, comme le philosophe marxiste Slavoj Zizek, les deux partis de l’establishment US, et particulièrement le parti démocrate, sont d’ores et déjà coupés en deux, – Sanders contre  l’establishment  démocrate et Trump contre l’establishment républicain, – et l’on pourrait se retrouver en novembre avec quatre partis de facto aux USA et une quasi-guerre civile en marche : « Malgré la victoire de Trump dans la bataille pour sa destitution, les États-Unis entrent dans une guerre civile idéologique. En effet, le vrai conflit n’est pas entre les démocrates et les républicains, mais au sein de chacun de ces partis eux-mêmes. »

Assez paradoxalement et d’une façon significative, même les archi-adversaires de tout ce qui peut se rapprocher d’une vision “socialiste”, reconnaissent, d’une façon ouverte qui révèle un état de l’esprit peut-être gros de surprises importantes aux USA, que cette tendance est justifiée par les circonstances économiques. WSWS.org ne se prive pas de les citer.

« Ceux qui votent Sanders rejettent clairement l’utilisation du mot “socialisme” comme repoussoir idéologique. Le New York Times cite un jeune homme, employé à Darmouth, déclarant : “Dans mon univers, il y a plus de soutien pour le mot ‘socialiste’ que pour le mot ‘milliardaire’”.
» Le magazine Forbes, – une Bible pour Wall Street, – a publié ce week-end un commentaire remarquable sous le titre “Pourquoi les jeunes électeurs soutiennent Bernie Sanders et le socialisme démocratique”. Il a conclu, comme une évidence, que “les jeunes sont confrontés à la réalisation effrayante qu’ils peuvent être la première génération[américaine] à avoir un niveau de vie inférieur à celui de leurs parents”.
» L’article poursuit en soulignant les circonstances économiques impossibles auxquelles est confrontée la jeune génération, notamment “une combinaison de dettes d'études écrasantes, d’emplois mal payés et de coûts de logement et de location croissants”. Et de conclure : “Au vu de leur situation, il n’est pas surprenant que Bernie Sanders soit en pleine ascension dans les sondages et que l’idée du socialisme gagne du terrain parmi les jeunes”. »

 

Mis en ligne le 12 février 2020 à 17H25