Sans aménité

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Sans aménité


29 mai 2002 — A Berlin, à Moscou, à Paris, à Rome, toujours le même spectacle, résumé par GW d'une seule phrase un peu involontaire, dite lors d'une conférence de presse : « Je vis dans une bulle. » La bulle a donc parcouru l'Europe (au sens large) en quatrième vitesse, sans rien en voir précisément. La palme revient à l'Italien Berlusconi, qui avait mis en place, à Rome, pour le sommet de l'OTAN, un dispositif de sécurité si extravagant (avec quartiers isolés, la troupe partout, circulation aérienne interrompue, batteries de missiles à poste, etc) qu'il en a constitué un motif de confusion, voire d'agacement très réel pour certains officiels de l'Alliance. (L'un d'eux remarque sarcastiquement : « On a l'impression que Berlusconi croit avoir compris que le pro-américanisme se mesure, dans l'administration Bush, au degré d'intensité des mesures de sécurité pour isoler le président. A ce point, l'Italien a confirmé qu'il était le prétendant le plus sûr pour la Palme d'Or. »)

La consigne était d'éviter à tout prix ces manifestations extérieures d'anti-américanisme qui auraient pu mettre en évidence les problèmes existant entre l'Europe et les États-Unis. Par contraste, certains échanges entre le président US et des journalistes (US), portant sur ce sujet, ont viré à l'aigre. Le Washington Times du 27 mai en rapporte un, avec le journaliste David Gregory de NBC, particulièrement tendu derrière l'apparent ton de la plaisanterie.

«  ''I wonder why it is you think there are such strong sentiments in Europe against you and against this administration?'' the reporter [Gregory] said. ''Why, particularly, there's a view that you and your administration are trying to impose America's will on the rest of the world, particularly when it comes to the Middle East and where the war on terrorism goes next?'' Turning to Mr. Chirac, he added in French: ''And, Mr. President, would you maybe comment on that?''

» ''Very good,'' Mr. Bush said sardonically. ''The guy memorizes four words, and he plays like he's intercontinental.''

» ''I can go on,'' Mr. Gregory offered.

» ''I'm impressed - que bueno,'' said Mr. Bush, using the Spanish phrase for ''how wonderful.'' He deadpanned: ''Now I'm literate in two languages.'' »

Cet échange sarcastique et peu amène a été suivi d'une réponse plus ''sérieuse'' de GW Bush sur la question de l'anti-américanisme (mais l'échange sarcastique lui-même est l'indice de quelque chose de ''sérieux''). Plus ''sérieuse'' ? Dans le on, mais pour le reste ... GW n'a pas beaucoup éclairé le sujet que Gregory lui demandait de traiter, se contentant de simplement nier le fait que les manifestations US aient pu exprimer quoi que ce soit de sérieux contre la politique américaine. Ainsi le Washington Times présente-t-il la substance de l'échange GW-Gregory, pour ce qui est du sujet abordé :

« President Bush derisively challenged press claims of widespread anti-Americanism in Europe and ridiculed an American TV correspondent for suggesting as much — in English and French — to him and French President Jacques Chirac. ''So you go to a protest and I drive through the streets of Berlin, seeing hundreds of people lining the road, waving,'' Mr. Bush muttered to NBC News White House correspondent David Gregory during a joint press conference with Mr. Chirac.

» ''I don't view hostility here,'' Mr. Bush said in the ornate Palais de l'Elysee. ''I view the fact that we've got a lot of friends here.'' He added: ''And the fact that protesters show up — that's good. I mean, I'm in a democracy.'' »

Ainsi, au travers de cet échange qui pourrait paraître anodin à première vue, sont illustrés les deux points importants de cette visite de GW Bush en Europe :

• La question des difficultés des rapports transatlantiques était la principale préoccupation du voyage, le point politique fondamental. Elle n'a absolument pas été évoquée sur le fond, et à peine sur des points de détails. Les rencontres diplomatiques sont aujourd'hui aussi complètement aseptisées que les déclarations publiques et autres communiqués, et cela est particulièrement vrai pour les rencontres transatlantiques. Les amis d'Europe et d'Amérique se parlent, même en privé, avec une complète langue de bois, une langue de bois très amicale. Les sujets de fond qui pourraient susciter quelque désaccord ou mésentente que ce soit sont systématiquement écartés. Le voyage de GW n'a pas fait évoluer le problème des rapports transatlantiques d'un iota, sinon en le confirmant et, simplement par ce refus de l'évoquer sur le fond, en l'aggravant.

• Comme le montre l'épisode avec Gregory, les rapports de l'administration GW et de la presse US sont dans un processus de désagrégation et d'aggravation. Ce processus a commencé autour du 15 mai, avec l'affaire des avertissements pré-9/11 qui avaient été dissimulés du public et de la presse, et il a été symboliquement marqué par la prise de position de Dan Rather, de CBS. Des incidents comme celui de Gregory montrent que le mouvement est durable, et cela devient un point politique important à Washington. L'alignement quasiment ''à-la-soviétique'' de la presse US sur la position officielle depuis 9/11 tendrait à se nuancer et se transformer en souvenir qu'on préférera oublier. Les rapports GW-presse commencent à ressembler à ce qu'ils étaient lors de la campagne électorale, lorsque que Bush affichait ouvertement son hostilité pour les journalistes de l'establishment et lorsque ces derniers égrenaient les histoires sur les limites intellectuelles du candidat.

Des deux points, le premier n'est que du business as usual. Le refus absolu de discuter des vrais problèmes transatlantiques est la marque de fer des relations transatlantiques aujourd'hui, ce qui permet à ces problèmes de continuer à s'aggraver sans être traités. Le second est plus intéressant. Il peut indiquer une évolution capitale du rapport des forces autour du pouvoir à Washington et modifier toute la physionomie de la politique dans la capitale américaine, peut-être même sortir celle-ci du schéma contraignant post-9/11 d'une administration déclarée off limits de toute appréciation critique sérieuse.