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84517 avril 2009 — Faisons comme tout le monde, intéressons-nous aux confidences de l’Elysée et de Sarko, nécessairement destinées à faire quelques “fuites” de bonne polémique, – ce qui fut fait, et prestement fait. Libération en a profité en priorité, le 16 avril 2009, sous le titre un peu court de «Sarkozy se voit en maître du monde».
On connaît les circonstances, – un déjeuner du “G24”, groupe informel et volontiers causeur constitué à l’automne dernier pour réfléchir sur/causer de la crise, groupe qui ne manque pas d’originalité ni de sel, réunissant épisodiquement le président Sarkozy recevant à l'Elysée et des parlementaires des deux chambres représentant les divers partis, dont les “piliers” sont Hervé Mariton (UMP), Jean-Pierre Brard (apparenté communiste), Jean-Pierre Chevènement (MRC), Henri Emmanuelli (PS) Nicolas Perruchot (Nouveau Centre); avec, pour la réunion et les “fuites” dont nous parlons, comme plat de résistance le G20, ses à-côtés et ses anecdotes en plus du principal; avec des échanges divers, assez lestes, surtout de Sarko notamment sur les dirigeants étrangers. Selon Libé, un «[f]estival de “moi je”» (de Sarko, of course).
Un passage désormais célèbre:
«En plat de résistance, les premiers pas de Barack Obama sur la scène internationale. “Obama est un esprit subtil, très intelligent et très charismatique. Mais il est élu depuis deux mois et n’a jamais géré un ministère de sa vie. Il y a un certain nombre de choses sur lesquelles il n’a pas de position”, assure Nicolas Sarkozy. Et il “n’est pas toujours au niveau de décision et d’efficience”, dont lui-même ferait preuve. Exemple : la taxe carbone. Compte rendu, version Sarkozy, de son échange avec Obama sur le sujet : “Je lui ai dit : ‘Je crois que tu n’as pas bien compris ce qu’on a fait sur le CO2. Tu as fait un discours, il va falloir des actes.’ Le pack énergie-climat que j’ai fait adopter sous la présidence française [de l’Union européenne, ndlr] prévoit en 2020 une baisse de 20 % des rejets de 1990. Nous, en Europe, il y a des sanctions contre les Etats et les entreprises. Lui, il s’engage seulement à revenir au niveau de 1990 et il n’y a pas de sanction.”
»Nicolas Sarkozy tape aussi sur José Manuel Barroso, le président de la commission européenne, “totalement absent du G20”. Angela Merkel? “Quand elle s’est rendu compte de l’état de ses banques et de son industrie automobile, elle n’a pas eu d’autre choix que de se rallier à ma position”, s’auto-congratule le Président.»
Plus, quelques autres amuse-bouches, dont le “il n’est pas très intelligent” balancé à l’intention de Zapatero, que Sarko va rencontrer dans quelques jours. Pour l’artiste, cela doit être assez drôle, – une sorte de challenge, comme on dit dans les officines de la communication, – de sortir cela en sachant qu’on en parlera en ville, que Zapatero saura, quelques jours avant une rencontre officielle avec le même Zapatero, où l’on parlera officiellement de l’avenir du monde. Cela ne dépare pas le niveau général, pour Sarko mais aussi pour les autres, de la politique occidentale du moment.
…Ou encore, l’un-peu plus drôle “BHO marche sur l’eau”, de L’Express du 16 avril 2009: «Le président français, qui accueillera son homologue américain sur les plages de Normandie le 6 juin, pour le 65e anniversaire du Débarquement, ironise sur l’‘obamania’ des médias : “Je vais lui demander de marcher sur la Manche, et il va le faire, vous verrez...”»
Dans la presse étrangère, ce sont les Britanniques qui font leurs choux gras de l’affaire. Rien que pour le Times de Londres, “recordnewspaper” du lot, on ne décompte pas moins de cinq articles en deux jours sur le sujet. Il y a deux approches dans tous ces articles: l’approche ironique, sarcastique, etc., avec tous les poncifs anti-français et, surtout, anti-Sarko; tout cela, assez facile, pas mal justifié, sans grand intérêt, etc.; l’affaire par le petit bout de la lorgnette… La question étant: y a-t-il un autre bout de la lorgnette que le “petit” pour observer la chose? Pourquoi pas?
Les journaux britanniques répondent implicitement “oui”, avec la deuxième approche, qui concerne la signification politique qu’ils donnent à cette attitude, ces confidences, dont ils ne doutent pas un instant que Sarko les a faites en comptant bien qu’elles seraient rendues publiques (quitte à jouer sur tel ou tel démenti, – vieille méthode, méthode éprouvée). Tout cela n’est pas inintéressant, sans être d’une fulgurante intelligence; encore une fois, nous intéresse ce que cela révèle des attitudes, des mœurs, des psychologies, enfin des politiques éventuellement, de nos pays européens, de nos dirigeants civilisateurs...
• Un rapide commentaire de Charles Bremner, correspondant du Times à Paris, résume le cas politique (ce 17 avril 2009). Sur les faits, c’est un peu “beaucoup de bruit pour pas grand’chose” (plutôt que le trop définitif “Much Ado for Norhing”) mais il y a quelques parcelles de vérité intéressantes.
«Nicolas Sarkozy displays a cartoon in his office that helps to explain why he is picking quarrels with Barack Obama. It shows Super Sarko standing between George W. Bush and Mr Obama. The caption reads: “I’ve prepped to be interim master of the world.” The French President played stand-in statesman during a dynamic turn in the EU’s rotating chair last year. He saw himself giving a paternal hand to the new superpower leader but was then wounded by Mr Obama’s failure to grant his wish of a new Washington-Paris axis.
»The new antagonism is personal and strategic. Mr Sarkozy’s alpha-male mix of charm and aggressiveness has not worked with Mr Obama. The American flattered him when they met two weeks ago, but offended him with a double-edged compliment, saying of Mr Sarkozy: “He is courageous on so many fronts, it’s sometimes hard to keep up with him.”
»Mr Sarkozy is annoyed by the adulation for an unproven US leader whose stardom has eclipsed his own record as a world troubleshooter. On a deeper level, he has calculated that it makes sense to strike a distance from a superpower discredited by its financial troubles.
»Mr Sarkozy remains a big admirer of the US but he is reverting to the old Gaullist model of prickly US ally — much as Jacques Chirac did by appointing himself the world advocate against Bush’s invasion of Iraq. He believes that he can maximise French influence by playing moral power to America’s superpower — or Aristotle to Obama’s Alexander the Great, as L’Express news magazine put it yesterday.»
Dans un autre texte du même Bremner, on frappe encore sur le clou de la France redevenue plus gaullienne que jamais: «The end of the short-lived Franco-American honeymoon also reflects a decision to swing France back towards its traditional role as counterbalance to US power, a shift that began with tension over the London economic summit. In the Élysée account Mr Sarkozy played the pivotal role as upholder of principle in the face of ineffectual US leadership. He had telephoned Gordon Brown on the eve of the summit and threatened not to turn up at all if the leaders refused his demand to name and shame tax havens, according to the leaks.»
• Dans le Times du 15 avril 2009, déjà, des considérations sur la mise en cause du leadership US, mais sur un sujet plus précis… D’abord, les considérations personnelles, toujours omniprésentes, sur fond de dynamitage du leadership US: «Mr Sarkozy is pouring cold water on President Obama's efforts to recast American leadership on the world stage, depicting them as unoriginal, unsubstantial and overrated. Behind leaks and briefings from the Elysée Palace lies Mr Sarkozy's irritation at the rock-star welcome that Europe gave Mr Obama on his Europan tour earlier this month. […] Behind the policy argument, it is easy to detect disappointment over Mr Obama's failure to respond to the Sarkozy charm offensive.»
Mais il y a surtout, dans ce texte, l’argument sur la question de l’intervention à propos la Turquie. Il met en évidence le mécontentement de Sarko, plus ou moins soutenu par Merkel, comme une des causes de la mauvaise humeur française contre le président US.
«Again, according to the Sarkozy version, at the Nato summit in Strasbourg, Mr Obama was meekly yielding to Turkey's refusal to endorse Anders Fogh Rasmussen as the alliance's new Secretary-General. It took pressure from Mr Sarkozy and Chancellor Merkel of Germany to stiffen him up and change his mind, say the French.
»Mr Obama's favour for Ankara has irked but also helped Mr Sarkozy as his Union for a Popular Movement campaigns for European Parliament elections in June. Mr Sarkozy slapped down the US President on French TV after he publicly called for Turkish entry to the European Union. Permanent refusal of Turkish membership is one of Mr Sarkozy's policy planks and one of his most popular with voters. Mr Obama's venture into EU affairs has enabled Mr Sarkozy to make political capital. He has shown that France can still stand up to the United States despite rejoining the Nato command last week.
»It sounded like old Franco-American business as usual this morning when Bruno Le Maire, Mr Sarkozy's Europe Minister, accused Washington of backing the northern and eastern EU members by wanting to turn the union into a mere free-trade zone. France and Germany are sticking to their vision of the “political” Europe that others do not want, he said.»
Une remarque de notre cru, sur ce point précis. Cette mobilisation contre l’“ingérence” US dans les affaires européennes est une bonne chose, comme est bon tout ce qui attise l’opposition USA-Europe sur le principe de l’ingérence US. Cela dit, nous sommes persuadés que le procès fait à Obama est infondé. Obama n’a pas conçu tous ses appels autour de la Turquie et du monde musulman en fonction des affaires européennes et de la sensibilité européenne, au nom de l’habituelle tactique US à ce propos, mais dans le seul but de tenter d’enterrer l’antagonisme de l’Occident (des USA) avec le monde musulman. De ce point de vue, l’adhésion de la Turquie à l’UE, thème par ailleurs suggéré aux USA par les Turcs qui connaissent leurs affaires et ont en plus une dent contre l’UE (bon moyen de relancer la polémique), était pour Obama un argument de plus à présenter au monde musulmans en faveur de l’apaisement entre l’Occident (les USA) et le monde musulman. L’absence du sens des nuances, même grosses, de la part des USA lorsqu’il s’agit de l’Europe a fait le reste.
• Encore un autre commentaire, toujours de Bremner … Toujours question de la distance que Paris veut prendre des USA, avec, cette fois, un sujet où nous baignons dans le paradoxe le plus complet, – l’Iran. (Du 16 avril 2009) …
«Commentators say that Mr Sarkozy has decided to re-cast France and himself back in its old role of counter-balance to American power after two years in which he brought Paris closer to Washington than any French president for decades. France has been needling America on several fronts over the past week, calling for the first time for a headquarters in Brussles for a new European defence force and leaking a complaint by a US Under-Secretary of State to Paris about Mr Obama's excessively “soft” approach to Iran.»
Ici et, en passant, on reste sans voix de voir les Français défendre la ligne dure, “bushiste”, contre l’Iran, face aux USA tout miel et tout sourire vis-à-vis de l’Iran. Comme c’est un cas où, au contraire de l’OTAN et de l’Europe, les USA sont très sérieux parce que l’enjeu (l’Irak, l’Afghanistan) est essentiel pour eux, ils feront triompher leur ligne. La démonstration est faite, heureusement sans trop de frais, de l’incohérence à contre-courant de la politique française dans ce domaine, sous les vastes intelligences combinées de Kouchner et de Sarko. Le résultat, hautement comique, est d’installer les Français encore plus dans une position anti-US. Le diable en rit encore (et nous, un peu avec lui, avouons-le).
Il y a dans ce capharnaüm décrit ci-dessus un impressionnant mélange de traits d’humeur, de réactions irresponsables, d’interprétations politiques abusives et ainsi de suite. Une chatte n’y retrouverait pas ses petits mais nul n’a jamais dit que le G20 a été réuni pour que la chatte y retrouve ses petits, non plus la réintégration de la France dans l’OTAN d’ailleurs, encore moins les relations de Sarkozy avec BHO. (Tout de même, la capharnaüm ne vaut pas une déclaration de guerre, ni le titre tonitruant de EUObserver du 17 avril 2009: «Sarkozy insults EU colleagues and US leader at lunch.»)
Au départ, il y a quelques faits fondamentaux, propres à bouleverser l’histoire du monde.
• Le G20 a bien été ce qu’il devait être: une réunion-Potemkine, où les hommes politiques qui mènent le monde se sont rencontrés en étant persuadés qu’ils allaient changer le monde, mais étant également persuadés qu’ils n’ont aucun moyen pour changer le monde (ce qui est faux mais ils le croient, c’est ce qui compte) et, d’autre part et pour faire court, en étant bien en peine de savoir comment et vers où changer le monde si l'opportunité en surgissait soudain. Le résultat est qu’ils ont tous proclamé que le G20 avait changé le monde, chacun laissant entendre in fine qu’il était celui qui avait réussi à activer ce changement, et on est passé à autre chose (dito, changer l’OTAN comme on change le monde). Certains, aujourd’hui, ne supportent pas que d’autres s’attribuent la paternité de ce changement du monde qui n’a pas eu lieu. On se crêpe donc le chignon, ce qui a un vrai avantage politique: celui de nous faire bien comprendre que ce G20 a été un montage complet et qu’il faut s’attendre à des manœuvres de plus en plus agressives hors de ces sentiers battus et encore contrôlés par l’establishment anglo-saxons. Peut-être même Sarko, irrité par BHO qui prétendrait être le héros du G20, finira-t-il par affirmer qu’on n’a pas fait assez au G20 et, pour embêter Obama, proclamera-t-il à nouveau qu’il faut continuer changer le système de fond en comble pour changer le monde. Toutes ces agitations affaiblissent le système. Tout ce qui contribue à discréditer les structures anglo-saxonnes en place est un formidable avantage politique.
• Sarko a choisi BHO comme cible principale parce qu’il lui fait un autre reproche. La France a regagné l’OTAN et BHO s’en est à peine aperçu. Cela, Sarko ne supporte pas. Plus encore, – pire; il s’avère que BHO ne s’intéresse pas vraiment à l’OTAN, ni à l’Europe, et cela se sent au niveau de l’OTAN. Les Français entrent dans une OTAN où les USA tiennent leurs positions acquises et prépondérantes mais sans plus, et n’exercent plus guère leur dictature agressive, voyante et grossière d’avant. Le rêve de Sarko était de rentrer dans l’OTAN (bon élève, atlantiste), pour remettre les pendules à l’heure en bon élève atlantiste, notamment en disant à l’“ami américain” qu’il ne doit pas exagérer dans l’exercice de sa dictature, mais en collaborant avec lui pour faire de l’OTAN une magnifique machine atlantiste rénovée. Mais rentrer dans l’OTAN avec des Américains qui pensent à autre chose? N'est-ce pas presque comme si les Français y entraient alors que les Américains en sortent? Conséquence à prévoir: la France va faire flèche de tout bois pour reprocher cette sorte de laxisme américaniste des Américains par rapport à leurs attitudes impérialistes habituelles, nous aurons des corridas mémorables, débilitantes pour l’unité de l’OTAN, avec les Français dans le rôle du perturbateur-en-chef. L’OTAN en sortira meurtri. Bravo, – “tout ce qui contribue à discréditer les structures anglo-saxonnes en place est un formidable avantage politique”.
Tout cela se traduit par des pitreries de Sarko, entrecoupées d’ailleurs de bons mots acceptables (arrivera-t-il à faire marcher BHO sur l’eau? La Manche, avec ses bourrasques continuelles, est autrement plus difficile à arpenter que la Mer Rouge). Au-delà, on aboutit à des conclusions absolument surréalistes de nos amis britanniques, avec Sarko ressuscité (toujours la référence biblique) en mini-de Gaulle et en pseudo-Chirac. Nos amis britanniques ont encore quelques siècles devant eux avant de comprendre le caractère français.
Sarko a des bons mots et des postures qu’on croirait anti-US mais il n’est en l’occurrence que vanité blessée, ce qui est courant dans le milieu de nos dirigeants actuels. La chose est aussi simple à expliquer. Mais les conséquences sont vastement intéressantes. Voilà à nouveau la France propulsée comme anti-américaniste, contestatrice et ainsi de suite, dix jours après être rentrée dans l’OTAN. Belle manœuvre. On notera que c’est à l’occasion d’une tournée où le brave BHO entendait montrer le visage avenant d’une Amérique qui, effectivement, fait patte blanche, une tournée qualifiée d’un mot par le néo-conservateur Frank Gaffney: “soumission” de BHO à tous ses interlocuteurs.
Qui fait de la politique dans tout cela? Personne. On n’a que la valse à mille temps de diverses médiocrités, images, vanités, concurrences de communication, etc. Le sel de la comédie est qu’au bout du compte, on a des effets vraiment politiques. La popularité US propulsée par BHO aussitôt mise en question, même si les arguments sont bien plus que douteux, et le leadership US encore plus contesté; le système encore plus discrédité avec l’accumulation de preuves et de témoignages que le G20 a été un cirque type “foire aux vanités” sans que quiconque s’occupe sérieusement de cette crise systémique fondamentale provoquée par ce même système; la France renouvelée dans sa position anti-US, cette fois à l’OTAN de plein droit, ce qui va installer un climat délétère au sein d’une Organisation dont la santé florissante n’avait pas besoin de ça.
Vous voyez bien qu’ils font tous, malgré tout, de la politique. Heureusement, on ne leur donne ni le script, ni le dialogue, ni la fin de l’histoire. On fait confiance à ce qu’ils sont et l’on sait bien qu’à force d’erreurs et de maladresses pour soutenir un système dont ils n’imaginent pas une seconde, ni la perversité, ni l’obsolescence, ils finiront effectivement par rendre publiques, officielles et éclatantes la perversité et l’obsolescence du système.
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