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936Sarkozy à la tête de l'UMP, en “posture” comme on dit, d'attaquer Chirac et les présidentielles de 2007, — même les Anglo-Saxons des milieux financiers s'en sont aperçus. Ce n'est pas un hasard car c'est un signe. De quoi, au fait? Signe de l'importance de la chose? Sans aucun doute mais encore faut-il savoir pourquoi, et pour qui. Une farce se prépare, dont on ne sait qui sera le dindon.
Il ne fait plus aucun doute, aujourd'hui, que les Anglo-Saxons de certains milieux de l'extrême-droite capitaliste, — hyper-libéraux, milieux financiers de la globalisation, grandes entreprises globalisées, — marchant avec leurs “idiots utiles”, — intellectuels libéraux pro-guerre, britanniques néo-impérialistes, néocons US, — ont, à l'encontre de Paris, une stratégie de “President change”. Désormais, depuis les paroles très publiques et répercutées à Londres de Jacques Chirac demandant à Blair ce que lui rapporte l'alliance américaine, la “chasse au Chirac” est ouverte. Peut-être est-ce manière de remplacer la chasse aux renards, désormais interdite. Deux immenses événements côte-à-côte à Londres, ou bien nez-à-nez.
C'est notre premier point. Voici le second: un éditorial du Times, du 19 novembre, pour saluer la présence de Jacques Chirac à Londres. Effectivement, l'éditorial marque combien l'intervention publique du Président français précisément sur cette question, — à quoi sert votre alignement si humiliant sur les USA? — est par essence la question sacrilège, qui conduit au coeur du sujet. Le journal a même une accusation assez comique, ou pathétique, c'est selon, en retournant contre Chirac le reproche que ce dernier fit à Blair in illo tempore, lors d'un affrontement personnel sévère en marge d'un sommet européen: « Vous n'êtes pas bien élevé. » Cette fois, c'est Chirac qui est jugé “mal élevé”, mais nullement pour une altercation personnelle, plutôt pour avoir exposé sur la place publique cette question si délicate, qui est la question du “roi est nu”.
Puis c'est la chute de l'éditorial, qui nous dit tout du sujet abordé ici. Le journal vient de dire que Chirac n'est pas la France et que de bonnes relations doivent être gardées avec la France: « It should politely ignore the bad manners of France’s President and wish M Sarkozy godspeed. » Lequel Sarko est ainsi décrit: « He is a pragmatic Atlanticist, believes in free markets and is untainted by sleaze. » Après des visites fructueuses de Sarko à Washington, et des éditos “sarkosiens” réguliers (Jim Hoagland, Washington Post, 10 octobre 2004), la messe est dite. Sarkozy est le candidat des Anglo-Saxons comme, avant, il y avait pour la présidence française, un “candidat de Moscou”.
Nous sommes à la fin de 2004 et l'élection est pour le printemps 2007, et Sarkozy est d'ores et déjà un candidat “officiel”: est-ce trop rapide? Il n'est pas sûr qu'il s'agisse de la question qui importe. Ce qui nous semble particulier et très inhabituel dans la “candidature” de Sarkozy, c'est l'argument de cette candidature, qui est déjà presque un argument de campagne. Tout se passe comme si l'on pourrait dire que ce sont plus les événements qui ont poussé Sarkozy, qu'un véritable plan de campagne, une véritable stratégie.
Si Sarkozy vient si tôt dans une bataille qui n'a pas encore commencé, c'est parce qu'il est l'enfant d'une autre bataille. En envisageant cette remarque en d'autres termes et selon un point de vue différent, nous dirions que s'il n'y avait pas eu respectivement l'attaque du 11 septembre 2001, la guerre contre l'Irak et le durcissement des relations entre la France (mais aussi l'Europe) et les États-Unis, Sarkozy ne serait pas aujourd'hui “candidat” officieux. Certains nommeraient cela de l'opportunisme, et l'on comprend parfaitement ce qu'ils veulent dire. D'autre part, cet opportunisme doit être considéré comme une bonne chose, parce qu'il participe intensément à la mise en évidence, et bientôt la mise au clair d'un problème fondamental, jusqu'ici perçu d'une façon confuse et brouillée. Il participe intensément à l'organisation d'un débat essentiel, le seul débat qui importe aujourd'hui, et cela, pour prendre un exemple actuel, bien plus que le débat sur la constitution européenne.
On pourrait penser qu'à mesure que les choses se préciseront, la candidature Sarkozy se précisera également. Les arguments vont devenir plus divers, les sujets abordés également (disons, vers des sujets plus “franco-français”, l'économie, les structures sociales, etc). Nous ne le pensons pas parce que le cas Sarkozy est unique (et correspondant à l'unicité de la situation générale de la France dans le monde, et dans le monde lui-même). Nous ne dirons pas que Sarkozy est le “candidat de l'étranger” parce que l'expression est insultante; il n'est pas sûr qu'il n'en vienne pas à être perçu de la sorte, et qu'il regrette le soutien trop appuyé des Jim Hoagland et de l'éditorialiste anonyme du Times. Mais c'est un problème de tactique qui concerne le seul Sarkozy.
Le problème qui nous concerne en même temps que le “candidat” Sarkozy, c'est, selon notre conviction, que sa candidature ne se diluera pas dans des problèmes plus “franco-français”, comme c'est souvent le cas d'un candidat à la présidence. Au contraire, la crise extérieure est si intense, elle est si promise à durer et à s'aggraver, que la candidature Sarkozy ne parviendra pas à se débarrasser de ce parrainage originel.
Mieux encore (car c'est un bien et, de ce point de vue, cette candidature est bénie des dieux), cette candidature Sarkozy va orienter tout le débat sur l'élection présidentielle. Ce débat devrait commencer très vite, mais l'on serait bien avisé aujourd'hui de ne pas se plaindre qu'il colore la vie politique française de l'incertitude de l'échéance électorale. Il va se confondre avec le débat essentiel ouvert avec le 11 septembre 2001 (on verra plus loin quelle forme il prendra). Ainsi, la candidature Sarkozy, tout en conservant pour certains ce caractère malheureux de “candidat de l'étranger” (accusation allant de pair avec la critique, pas vraiment fondée, contre l'ambition du candidat), acquerra en réalité une dimension intérieure très forte, en devenant une candidature de la crise française, qui n'est que la version française de la crise générale où est entrée notre époque.
Il n'est pas sûr que Sarkozy puisse se féliciter d'une évolution qui le sortirait de l'écueil du “candidat de l'étranger” (d'autant que certains continueront à le lui reprocher, même de façon hypocrite). Placé face à ce débat général devenu également français, il n'est pas sûr que ses arguments n'en pâtissent pas de façon irrémédiable, — à moins qu'il en change, ce qui ne doit surtout pas être exclu.
Cette candidature exceptionnelle par tous les côtés qu'on la considère a toutes les chances d'avoir des conséquences exceptionnelles, à côté de l'aspect politicien habituel dont les commentateurs font leurs choux gras. Principalement, nous en proposons deux.
Nous avons déjà évoqué in fine la première conséquence, par une simple mention de la chose, et nous croyons qu'il faut la développer pour mieux en saisir toutes les facettes. La candidature de Sarkozy, de plus en plus et de mieux en mieux comprise dans sa substance, va déclencher en France un énorme débat, le plus important de l'histoire électorale de la République. Le plus remarquable est que ce débat, d'une part portera essentiellement sur une matière de “politique extérieure”, ce qui est rarissime; d'autre part, il portera sur le lien aujourd'hui inévitable entre cette “politique extérieure” et la politique intérieure, ce qui est sans doute sans précédent; et ce sera un débat complètement fondamental, non sur un régime, non sur une idéologie, non sur une réforme, mais sur le fondement de la civilisation, — ce qui est complètement sans précédent.
Sarkozy apparaît comme investi des valeurs néo-libérales (certains, comme le “Vert” Noël Mammère, parlent d'un “Bush français”); c'est-à-dire, partisan du marché-libre, des valeurs libérales, et adversaire du terrorisme, façon-Bush; c'est-à-dire partisan de la globalisation comme de l'attaque contre l'Irak; c'est-à-dire partisan de la modernité, du modernisme, moins d'une façon théorique que dans son application pratique. (Qu'il soit partisan lui-même de tout cela, ou qu'il le reste, c'est une autre affaire et nous répétons notre doute à cet égard car il devra se réaligner selon le sentiment populaire. L'essentiel est bien qu'il pose le problème dans ces termes au départ.)
Les Français vont donc se trouver avec l'enjeu électoral très précisément identifié à la crise actuelle, avec une correspondance intérieure particulièrement significative. L'“anti-américanisme” ne sera plus un anathème mais une position fondée et réelle, qui ne va cesser d'être de plus en plus justifiée. Les positions traditionnelles, naturellement, vont être bouleversées (qu'on songe à la gauche, parangon du progressisme, devant un candidat qui se situe à droite et qui apparaît comme l'archétype du modernisme).
La droite ne sera plus la droite, ni la gauche la gauche, et il faudra chercher “ailleurs” (comme disait Michel Jobert), c'est-à-dire créer quelque chose de tout à fait nouveau. Ce débat fondamental se déroulera alors même que les événements le souligneront et le rythmeront par la puissance de la réalité. Cela, parce qu'il y a Bush et parce qu'il y aura de plus en plus Chirac. C'est le deuxième point, la seconde conséquence majeure.
L'actuel Président va être poussé à accentuer fortement sa position à la fois anti-américaine, critique (de plus en plus profond) de la globalisation, défenseur à la fois de certaines traditions, des peuples laissés pour compte, d'une plus grande justice sociale et civique, et ainsi de suite. Il deviendra l'anti-Sarko avec alacrité, et aussi le candidat des “altermondistes” en donnant à ce mouvement un crédit et une nécessité qu'il n'a pas. Par son opposition à Sarko, comme s'il était opposant alors qu'il est président, Chirac va donner au mouvement global de contestation de l'ordre établi une légitimité.
Bien entendu, qu'il soit candidat ou pas n'importe pas. L'essentiel est le débat lancé et la place qu'il y occupera nécessairement. (Pour autant, on comprend qu'une telle période sortant le débat électoral de sa morosité, de son rythme mornement frénétique, de son faux dynamisme, pour toucher à l'essentiel, donnera un tel piment à la chose que Chirac pourrait ne pas résister à la tentation d'une nouvelle candidature. Ses références seront Adenauer, chancelier jusqu'à 83 ans, et Rumsfeld, secrétaire à la défense à 72 ans.)
Sarkozy aura rendu un signalé service à la France et au monde: éveiller les consciences au débat central et pressant de la civilisation. Élu ou pas, il aura bien mérité de la patrie. Bien plus important que de connaître l'élu de 2007.
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