Sarko, Morin et “la politique de civilisation”

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Il est largement question dans les débats au goût du jour de “la politique de civilisation” et de la la politique de civilisation, le nouveau thème de Sarko et le livre d’Edgar Morin, la première étant ouvertement pompée du second. La question de “la politique de civilisation” a été présentée en long et en large lors de la conférence de presse du 8 janvier. Sarkozy présente notamment ces passages qui sont précisément consacrés à sa définition:

«La politique de civilisation, c’est la politique de la vie. C’est une “politique de l’homme”, comme le dit Edgar Morin qui en a ressenti le besoin et qui l’a formulée avant tout le monde.

»La politique de civilisation, c’est la politique qui est nécessaire quand il faut reconstruire les repères, les normes, les règles, les critères.

»Ce n’est pas la première fois que cette nécessité s’impose. Elle s’est imposée à chaque fois qu’un grand choc politique, économique, technologique, scientifique est venu ébranler les certitudes intellectuelles, la morale, les institutions, les modes de vie.

»Ce fut le cas avec la Renaissance.

»Ce fut le cas à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe avec les Lumières.

»Ce fut le cas avec la Révolution industrielle à la fin du XIXe et au début du XXe.

»Ce fut encore le cas dans l’immédiat après-guerre, après la grande crise de civilisation des années 30 et 40.»

Plus loin, Sarkozy en vient plus précisément à Edgar Morin, qu’il avait déjà mentionné dans ses voeux. Il dit:

«Edgar Morin dit que les impératifs aujourd’hui d’une politique de civilisation sont la solidarité, le ressourcement identitaire, la convivialité, la moralisation qu’il oppose aux maux de notre temps que sont l’isolement, le cloisonnement, l’anonymat, la dégradation de la qualité de la vie, l’irresponsabilité.

»Ces objectifs, je les fais miens.

»Je les fais miens dans la politique intérieure comme dans la politique extérieure.

»Je les fais miens dans la politique éducative, dans la politique de la ville, dans la politique économique, dans la politique sociale, dans la politique du développement durable.»

Quelle est la position d’Edgar Morin dans cette affaire? Le 7 janvier 2008, France 24 interviewait Edgar Morin sur cette question des rapports avec Sarkozy, à propos de Politique de civilisation, son livre devenu le thème adopté par Sarkozy. Le sociologue faisait notamment les remarques suivantes:

• Sa grande surprise de s’entendre citer, d’entendre citer son livre. «Personne ne s’était intéressé à cela. Ce thème a été complètement ignoré et occulté par les médias…». (Egalement ignoré par la gauche et les socialistes, vers qui Morin s’était naturellement tourné.)

• Après cette première réaction, deux autres qui sont plus directement liés à ses rapports avec Sarkozy. D’abord l’observation que, dans «le contexte assez vague» où la chose a été proclamée par Sarkozy, se pose la question de savoir «si cette notion [de “politique de civilisation”] est la même chez Sarkozy et chez moi». Ensuite, après un temps de réflexion et un intérêt nouveau dans les médias pour son livre, l’idée qu’il lui faudrait «remercier Sarkozy, [et ce serait] peut-être l’occasion de discuter sur le fond» Effectivement, se pose la question de savoir si les deux hommes arriveront à «une vision commune».

• Sarkozy assure que oui (voir plus haut, sa conférence de presse). Quoi qu’il en soit, ce même jour où il était interviewé, Morin avait été contacté par Sarkozy, le matin par téléphone, pour arranger une rencontre. Morin annonçait la chose durant l’interview.

• Egalement durant l’interview, Morin précisait à nouveau sa position devenue celle d’un critique fondamental du développement de notre civilisation: «Notre civilisation a produit tellement de choses positives [… Désormais,] toutes ces qualités tendent à être occultées par les effets négatifs.» Suivent les exemples classiques, qui font désormais partie de l’arsenal des critiques fondamentaux de notre civilisation et du Progrès en général, – l’individualisme qui a tué toutes les valeurs collectives, les références sociales et autres ; le développement, qui a engendré les catastrophes environnementales dont on sait qu’elles menacent l’espèce, etc.

L’essentiel à retenir, à notre sens, est que le livre de Morin, ses avertissements, avaient été complètement ignorés, par le monde politique (socialistes en premier) et les médias. Il s’agissait d’un ostracisme de conformisme, pour un homme qui n’est pas un inconnu et qui a une position dans le monde parisien où l’on a l’habitude de s’échanger des considérations réciproques. C’était donc un formidable tabou que Morin abordait, celui d’aborder la réalité de la crise en face et au fond, dans ses fondements (pourquoi la crise de civilisation) et non plus dans ses activités courantes et sans vrai risque (brevet de bon citoyen écologiste, lutte standard contre le gaspillage, discours sur la “société civile” et le “développement durable” à archiver dans le Journal Officiel et ainsi de suite, sans rien mettre en cause du système). Morin a été victime du mur de censure passive du conformisme.

C’est de ce marigot du déni de notoriété et de diffusion par défaut que Sarkozy sort Morin et son bouquin, c’est-à-dire qu’il sort le sujet fondamental que Morin traite dans son bouquin. Le monde de la publicité et des médias ne résiste pas à une injonction du Président, qui est par ailleurs, dans son côté people, l’un de ses meilleurs éléments. On ne peut faire mieux dans l’utilisation du pire pour faire sortir un bien.


Mis en ligne le 11 janvier 2008 à 11H03