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1144Signalons, pour ceux (comme nous-mêmes) qui ne l’avaient pas remarqué, que Sarko est devenu, sous la plume d’une des plus belles plumes du Nouvel Observateur, «Sarko le Russe». (Dans le numéro daté du 13 novembre.) Cela fait déjà un bon bout de chemin pour Sarko, qui est passé successivement du parti des Américains au parti des Israéliens, ou bien dans le sens inverse, ou bien dans le sens des aiguilles d’une montre, pour parvenir à l’étape Russie… Car on suppose que ce n’est qu’une étape, avant qu’il ne devienne “Sarko le Chinois”, voire “Sarko l’Iranien” ou encore “Sarko l’altermondialiste”. On verra.
Ainsi l’“enquête” du Nouvel Obs’ nous conte-t-elle cette histoire d’une trahison du parti de la vertu, qui va de Saakachvili à B.P. Jackson, de Lockheed Martin, en passant par Glucksman et compagnie. On apprend des choses terribles, comme par exemple que Poutine use du mot “couilles” et a des intentions peu catholiques, sinon orthodoxes, à l’encontre de Saakachvili; que la Russie ressemble comme une sœur à l’Union Soviétique; qu’elle est tenue dans les griffes du KGB postmodernisé et que le KGB manipule Sarko comme une marionnette; que deux conseillers du Premier ministre Fillon parlent le russe; que Total obtient des contrats en Russie; que les promesses de campagne (électorale) furent vite oubliées pour, – chose éminemment scandaleuse, on en conviendra, en même temps qu’éclair de lucidité du compte-rendu, – les intérêts de la France («Mais, la campagne finie, dit sans ambages “Diplomator” Levitte, il fallait passer à autre chose : place à la France et à ses intérêts»).
Quelques extraits de la chose…
«Qu'en dit Nicolas Sarkozy ? Rien. Mieux, ou pis, il applaudit le Kremlin. Ainsi, le 8 octobre, le président français, lors d'une conférence organisée par l'Ifri à Evian (et financée, en partie, par l'oligarque préféré du Kremlin Oleg Deripaska), remercie Medvedev d'avoir “rempli tous ses engagements”. Traduction : on peut reprendre le “business as usual” avec le Kremlin et notamment les négociations sur un “partenariat stratégique”, à Bruxelles. Bref, il est temps de passer l'éponge et d'accepter les faits accomplis russes dans le Caucase - un “Kosovo à l'envers”, selon la formule d'Alain Mine, qui se félicite de l'habileté diplomatique de son ami Sarkozy. «Sarkozy a fait exactement ce que nous espérions : donner, de fait, la bénédiction de la France à l'annexion de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud», dit un officiel russe. Il ajoute : “Rendez-vous compte, il est aujourd'hui le meilleur ami de la Russie en Europe, son meilleur avocat en tout cas. Et nous qui étions si inquiets quand il a été élu ! Qui aurait pu imaginer ce revirement ?”
»Et quel revirement ! Conversion ou reniement ? Souvenons-nous. Pendant la campagne électorale, Nicolas Sarkozy milite pour la défense des droits de l'homme en Russie et contre la realpolitik façon Jacques Chirac. Il dénonce “le silence sur les 200 000 morts en Tchétchénie” et assure qu'il vaut “mieux serrer la main de Bush que celle de Poutine”.
»En décembre 2006, il organise un petit déjeuner «Russie» place Beauvau. En catimini, pour ne pas s'attirer les foudres de Chirac, il convie à sa table les critiques plus féroces du Kremlin à Paris. “Sarkozy nous tient alors un discours très antipoutinien, se souvient l'un des participants. Il dit que, s'il entre à l'Elysée, il invitera Garry Gasparov [le champion d'échecs devenu la bête noire de Poutine]. Et il parle avec chaleur de son ami ‘Micha’ Saakachvili.” “A l'époque, il avait des convictions très fortes, résume son conseiller stratégique d'alors, Pierre Lellouche. Enfin, je crois...”
»En retour, Poutine bat froid le candidat Sarkozy. Il refuse de l'accueillir au Kremlin quand il est invité à Moscou par son homologue de l'Intérieur. Le président russe ne cache pas sa préférence pour Dominique de Villepin, le poulain de son ami Chirac. Et quand le candidat de l'UMP est élu, le 6 mai, il attend plusieurs jours avant de le féliciter. D'autant que le premier chef d'Etat reçu à l'Elysée par le nouveau président n'est autre que... Saakachvili. “Mais, la campagne finie, dit sans ambages ‘Diplomator’ Levitte, il fallait passer à autre chose : place à la France et à ses intérêts.”»
L’article-enquête est un intéressant mélange de phrases lourdes de sens de celui qui en connaît bien plus que ce qu’il écrit, de révélations de choses formidables qui apparaissent étonnamment dérisoires, de proclamations de hauts principes moraux trahis, d’étonnements de midinettes et d’exclamations de vierge effarouchée et trahie. Mais qu’importe la forme si nous avons l’ivresse… Il apparaît effectivement que l’évolution de la politique sarkozyste vis-à-vis de la Russie, et cela dès le début de son mandat, n’a cessé d’inquiéter de plus en plus et désespère désormais le parti américaniste des salons parisiens. La publication de cet article, qui ne cache pas ses inspirateurs et implique que le parti en question a décidé de passer dans une opposition à découvert, implique également que l’on considère désormais Sarkozy comme résolument engagé dans cette politique pro-russe, également très critique de la politique américaniste et ainsi de suite.
C’est une indication intéressante pour le jugement qu’on peut avoir de la politique française et de la validité de son évolution. Pour le reste, et notamment le jugement sur Sarko, c’est un peu court, ou un peu trop compliqué. «Quel revirement!», s’exclame douloureusement l’auteur de l’article. Ces gentils comploteurs ont donc cru que Sarko était homme de conviction, – car il faut en avoir pour en changer? Quel angélisme. (Le plus lucide serait après tout Lellouche: «Enfin, je crois...» Sourire en coin et orfèvre en la matière.)
Effectivement, notre appréciation est que Sarko n’a aucune conviction originelle. C’est un homme politique postmoderne, d’une génération de la fin du communisme et du triomphe de l’hyper-libéralisme (la “fin de l’Histoire ”). Cela ne signifie pas qu’il était devenu libéral et pro-américaniste (ses arguments “bling-bling” sur l’Amérique, lorsqu’il les disait, font sourire avec tendresse devant tant de naïveté); cela signifie qu’il n’avait pas perdu son temps à acquérir une conviction puisque le “choix de l’Histoire” était fait. Il s’est donc concentré sur l’action. (Tout cela n’est en rien un jugement péjoratif, c’est un constat. Pour nous, par exemple, Obama est de cette même génération: inutile de s’attarder à la conviction, il faut se concentrer sur l’action, dont fait partie le discours, le charisme, la communication, etc. C’est d’autant moins un jugement péjoratif qu’à notre sens les “hommes de conviction”, aujourd’hui, se nomment George Bush et Tony Blair, – car ils y croient, eux. Le choix est vite fait.)
Sarko n’est pas un homme de conviction mais il est homme d’action et, dans ce cas, il est remarquable. Le fait est que le libéralisme s’effondre partout. Cela ne doit pas vraiment l’affecter, vue la force de sa conviction… Aussi change-t-il de cheval et prend-il celui de la nation, de la critique radicale de l’idéologie unique qui s’effondre, de la “défense des intérêts de la France” et ainsi de suite; et il l’enfourche d’autant plus, le cheval, que ces thèmes, – cela, c’est notre conviction à nous, – ont l’incomparable puissance de la légitimité historique et transcendantale. (Pour un peu, cela vous donnerait de la conviction.) Dans ce cadre, la proximité de la Russie, autre pays qui suit cette même voie, fait bien l’affaire. Il nous paraît inutile de compliquer les choses simples avec des explications trop humaines et trop sophistiquées, d’autant qu’après il faut trouver une explication encore plus compliquée lorsqu’arrive le temps du «Quel revirement!» Le centre de notre intérêt aujourd’hui, c’est la chose simple, la grande tempête historique qui nous secoue, et les hommes n’ont d’importance que dans la mesure où ils savent bien se mettre à la cape (terme de marine à voile indiquant une allure pour résister à la tempête, s’y adapter). L’évolution de Sarkozy n’est pas une indication quelconque sur l'insoutenable légèreté de la conviction mais une confirmation que nous sommes bien au cœur de la tempête.
Mis en ligne le 17 novembre 2008 à 09H41
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