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781Il y a étrangement une certaine similitude entre les présidentielles françaises de 2007 et les présidentielles de 2008… “Etrangement”, non ; logiquement plutôt. Et, pour cette fois et contrairement à la légende tenace, les Français sont en avance sur les Américains.
Cette similitude est dans la contradiction évoquée plus haut pour les Américains. La contradiction n’a rien d’original puisqu’elle oppose électeurs et candidats sur un sujet fondamental. L’originalité est dans la clarté de l’exposé du problème, avec cette opposition clairement identifiable et placée au centre de la tactique électorale.
Le discours de Saint-Etienne de Nicolas Sarkozy, le 9 novembre, illustre cette situation. Selon la recension qu’en fait Le Figaro le 10 novembre, c’est une proclamation de guerre contre la “mondialisation”.
(Dommage que ces gens-là n’emploient pas le vrai mot que la langue française est la seule à leur offrir, par contraste avec celui qu’ils emploient, — puisque la langue française offre les deux (pas l'anglais) : “globalisation” et non “mondialisation”. La globalisation est un mouvement idéologique destructeur et déstructurant qui implique un engagement idéologique, pour ou contre; la mondialisation est une tendance naturelle des relations internationales qui implique l’acceptation plus ou moins nuancée, plus ou moins habile de la chose. On peut être adversaire acharné de la globalisation et on peut, ou doit accepter modérément la mondialisation. Qu’ils y réfléchissent, ces candidats à la pensée trop rapide: cela les aiderait…)
Revenons à Saint-Etienne. Sarko le libéral à tous crins d’il y a six mois, l’homme de la poignée de main à Bush il y a deux mois, rendosse (il l’a déjà fait), cette fois de façon tonitruante, sa cape d’“anti-globalisation”, voire de protectionniste patriote, voire de souverainiste militant…
(“Rendossé” ? Le 11 mai, sur LCI, Patrick Buisson notait que Sarkozy présentait deux idées essentielles dans son discours de Nîmes du 9 mai: l’idée de nation et l’idée de l’intégration (fils d’immigré, chose qu’il cite deux fois, Sarko proclame que «le fils d’immigré choisit la France à son berceau»). Jusqu’ici, Sarko parlait “des Français” (langage communautariste) ; il parle désormais «de la France» (langage souverainiste). Buisson : «A ce rythme, Sarkozy terminera la campagne gaulliste.» C’est déjà fait.)
Quelques extraits de l’article du Figaro :
«Confirmant, avant le meeting, qu'il n'avait pas été invité par Jacques Chirac à Colombey-les-Deux-Églises pour commémorer la mort du fondateur de la Ve République, il a défini son gaullisme, celui de la “rupture”. Et d'expliquer : “De Gaulle est celui qui par deux fois a évité la guerre civile, qui a créé la Sécurité sociale, donné le droit de vote aux femmes, achevé la décolonisation, fondé la Ve République, assaini nos finances, refondé notre monnaie, réconcilié la France et l'Allemagne, mis en oeuvre le Marché commun, construit la force de frappe.” De Gaulle est “l'homme de toutes les ruptures”, a-t-il martelé.
(…)
»Pour parler de mondialisation, Nicolas Sarkozy a encore choisi le décalage. Cette fois-ci avec ses amis libéraux. Depuis le discours de Douai, prononcé à la fin de la crise du CPE, le président de l'UMP est convaincu qu'il doit rassurer ceux qui voient en lui un dynamiteur du modèle français au nom d'une idéologie importée d'outre-Atlantique. Le ministre-candidat a compris la leçon : il ne reprendra pas le slogan de la “mondialisation heureuse” d'Alain Minc. Bien au contraire. Selon lui, la mondialisation est “la cause du vote protestataire et du ralliement de couches de plus en plus larges de la population aux thèses protectionnistes”.
(…)
«“Je n'accepte pas d'entendre que tous ceux qui souffrent n'ont rien compris”, a-t-il prévenu, évoquant, avec des accents que n'aurait pas désavoué un Jaurès, la montée de “la précarité”, et ceux qui sont “exploités comme des bêtes de somme dans des conditions innommables”. “Je veux être l'homme qui dénonce les injustices pour les combattre”, a-t-il encore lancé, avant d'énumérer une dizaine de propositions nouvelles qui se veulent autant de “protections” pour les Français.
»Car c'est bien le mot que Nicolas Sarkozy met en avant pour parler de la mondialisation. “L'Europe a besoin de protection. Le mot protection ne me fait pas peur”, assure le président de l'UMP en plaidant pour une “Europe politique qui s'assume enfin comme telle”, et en dénonçant une “politique monétaire qui ne se préoccupe pas suffisamment de la croissance et du chômage”.»
La dialectique de Sarkozy — employons ce mot plutôt que “pensée” ou “conviction” — a complètement changé, même dans le contenu affectif du jugement. Le courage, le non-conformisme, l’originalité de la pensée sont dans ceci : «Le mot protection ne me fait pas peur» (et l’on sait ce que cela signifie : protectionnisme, modèle social, préférence européenne, etc.). Hier (il y a six mois), courage, non-conformisme et originalité se trouvaient dans ceci : le refus de la protection (le libéralisme). Le dilemme est là, exactement comme aux USA ; remplacez le mot “protection” par le mot “guerre”… (Finalement assez proches : la guerre en Irak est aussi une entreprise de déstructuration.) La différence — différence de système, différence de puissance du conformisme — est que, sans doute, aux USA, aucun candidat majeur n’ira jusqu’à épouser le sentiment populaire comme Sarko le fait à Saint-Etienne.
Ce dilemme est parfait. Il est simple. C’est celui de la crise occidentale, entre les élites et les peuples. Pour l’instant, on le décrit au niveau des campagnes électorales. Mais après les élections ? Le dilemme aura été chauffé à blanc pendant la campagne et si le candidat élu en épousant le sentiment populaire tente de renverser cette promesse fondamentale, des troubles profonds l’attendent. Surtout que les peuples ont appris à parler : la France le 29 mai 2005, les USA le 7 novembre 2006.
… Car ne vous y trompez pas : les mid-term du 7 novembre équivalent en signification ontologique au référendum du 29 mai 2005.
Mis en ligne le 11 novembre 2006 à 07H57
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