Scénario de cauchemar : le Sénat US en panne

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Parmi les diverses agitations qui accompagnent les derniers jours de la campagne électorale aux USA, un scénario de cauchemar est pris en considération. C’est David Catanese, de Politico.com, qui le développe ce 23 octobre 2010 : le Sénat bloqué pour des jours, voire des semaines, à cause de résultats trop courts suscitant des contestations et nécessitant des recomptages. Tous les ingrédients sont présents : un nombre respectable de sièges qui se joueraient, selon les sondages, à quelques milliers de voix, l’enjeu capital d’une majorité se jouant sur deux ou trois sièges, la fièvre et la polarisation extraordinaires de cette élection impliquant des contestations probables et des accusations de fraude, la pression populaire très grande avec le facteur Tea Party, les règles souvent anachroniques et différentes en cas de contestation selon les Etats… Cauchemar ? Il suffit de se rappeler l’élection contestée de 2000 de GW Bush, et les semaines folles en Floride, avec comptages et recomptages, pour finir par une décision arbitraire et contestée de la Cour Suprême…

«It may not be over in 10 days after all.

»While control of the House is all but certain to be resolved on the evening of Nov. 2, the Senate, with its collection of dead heat races, is shaping up to be another matter entirely.

»Thanks to a handful of likely photo-finish contests and a resurgent Republican Party on the cusp of flipping the 10 seats necessary to win a Senate majority, an almost unthinkable scenario is beginning to take form — one in which control of the Senate remains unknown for days, or perhaps even weeks, after Election Day.

»The prospect of electoral overtime isn’t as far-fetched as it might seem. Few in either party dispute that the GOP will be gaining seats and most independent analysts place the number somewhere in the high single digits. With competitive races in places like Alaska and Washington — two states with a history of delivering delayed results — and razor-close races in more than a half a dozen other states, it is increasingly plausible that control of the U.S. Senate could hang in the balance past Election Day as America awaits recounts, tallies of write-in votes or legal challenges over alleged election irregularities.

»The party committees, individual campaigns and even state election officials are quietly preparing for the worst and even beginning to warn that it may take some time to sort out the winners and losers… […]

Notre commentaire

@PAYANT L’hypothèse largement explorée dans cette analyse est évidemment très acceptable, en fonction des circonstances statistiques, des circonstances politiques diverses, qui font dépendre l’enjeu essentiel d’une majorité au Sénat d’un nombre très réduit de sièges, avec un nombre important d’élections devant se décider sur des majorités très réduites. Le fait même de se préparer à cette possibilité est une incitation évidente au lancement de procédures de contestation, qui fait effectivement penser qu’on pourrait rapidement arriver à un point de blocage (un point où, à cause des procédures de contestation en cours, il serait impossible de déterminer à qui va la majorité pendant une durée de temps significative). Enfin, bien entendu, le climat est particulièrement propice à de telles possibilités, en raison des tensions innombrables qui marquent la situation aux USA, de la présence de Tea Party qui implique autant une attitude politique de contestation hors des normes qu’une division à l’intérieur du parti républicain par ailleurs attendu comme le parti victorieux de ces élections.

Certes, un tel blocage rappellerait la situation de novembre-décembre 2000, mais en beaucoup plus instable et dangereuse. On ne se trouverait pas en présence d’une polémique autour d’une seule élection, même s’il s’agit de celle du président ; le cas de novembre-décembre 2000 impliquait une seule “épreuve de force”, avec l’issue inéluctable d’une décision nécessaire pour assurer la continuité du pouvoir législatif ; il impliquait un certain “ordre” dans le désordre de cette contestation, même si cet “ordre” aboutissait (comme ce fut le cas) à une décision finale très fortement contestée. Tous les acteurs de l’“épreuve de force”, tous membres responsables de l’establishment, avaient finalement un intérêt commun à ce que le cas soit résolu avant que l’affaire ne menaçât de déboucher dans le domaine public, sur des troubles menaçant eux-mêmes de devenir incontrôlables.

On comprend qu’avec ces élections, la situation est complètement différente. Il y a le potentiel de plusieurs cas de contestation, et un potentiel qui s’exprimerait sans nul doute dans le sens d’un élargissement à d’autres situations si l’une et l’autre contestations étaient lancées dès les élections faites. Il y a par conséquent une situation beaucoup plus complexe, beaucoup plus difficile à contrôler. Il y a le climat qu’on sait, où l’establishment est loin de contrôler les choses même en l’état actuel, lui-même étant en crise et étant contraint d’accepter dans son sein des forces (Tea Party) qui se présentent comme contestatrices de lui-même. On peut aisément imaginer l’activisme de certains candidats, notamment ceux de Tea Party, dans de telles circonstances, et leur inclination irrésistible à en appeler à une mobilisation populaire, donc à faire sortir le débat des strictes normes institutionnelles sous le contrôle de l’establishment. D’une façon générale, le système électoral US a suffisamment donné de preuves de sa corruption pour donner un argument ou un prétexte à cette sorte de contestation de s’affirmer, tandis que sa complication extrême, avec des règles et des procédures différentes selon les Etats, alimenteraient le désordre. C’est en effet le mot qui différencie cette situation de celle de novembre-décembre 2000 : désordre et non “épreuve de force”.

L'une des grandes forces du système politique de l’américanisme, ce sont les sas de sécurité placés entre le processus électoral et d’éventuelles réactions populaires, pour permettre à l’establishment de conserver la maîtrise de ce processus. Cette force est aujourd’hui placée dans une position critique d’affaiblissement, voire de mise en échec, à cause de circonstances directes et indirectes, et de conditions objectives. Le processus électoral US est un “jeu” institué pour sauvegarder l’apparence démocratique d’un mécanisme destiné à pérenniser le pouvoir de l’establishment. Pour bien “jouer le jeu”, il faut que tous les participants acceptent d’en respecter les règles. On comprend que les circonstances, le climat politique, autant que les spécificités très différentes des acteurs du processus, conduisent à une situation où sans doute jamais cette garantie (“jouer le jeu”) n’a été aussi menacée. On ne parle pas ici d’une vertu quelconque montant à l’assaut de ce système, on parle du désordre des tensions diverses, de candidats incontrôlables avec leurs propres idées et leurs ambitions, du discrédit et du mépris extraordinaires qui caractérisent le sentiment général à l’égard du système, y compris à l’intérieur même du système par certains qui le servent mais en sont également mécontents.

Il est évident qu’on doit placer cette hypothèse de contestations post-électorales dans la rubrique “insurrection populaire” que nous avons déjà abordée. C’est-à-dire que les contestations envisagées seraient perçues beaucoup plus comme un moyen d’exprimer une colère que comme un simple cas de concurrence électoral (les deux appréciations pouvant d’ailleurs s’ajouter, et s’ajoutant effectivement). Cette position serait même assumée par des candidats, puisque nombre de ceux-ci ont basé toute leur campagne sur cette colère qu’ils prétendent exprimer. Il n’y aurait donc aucun désir de compromis, mais, au contraire et une fois de plus, la dynamique de la radicalisation, aussi bien pour sa vertu propre que pour la considération où on la tiendrait d'être une judicieuse tactique électorale.

Tout cela n’a rien pour étonner, puisque c’est la poursuite de la logique du désordre, entraînant paralysie et impuissance, qui caractérise aujourd’hui la situation aux USA. Cette fois, désordre, paralysie et impuissance seraient bien plus proches qu’à aucun autre moment de descendre dans la rue. Voilà une hypothèse de plus pour rendre passionnantes et complètement imprévisibles ces élections à mi-mandat de la présidence de Barack Obama, – lequel, on l'a noté, est bien absent de notre propos...


Mis en ligne le 25 octobre 2010 à 05H55